Je suis intervenu pour la première fois devant l'OPECST en 1998. Vingt-trois ans plus tard, je me retrouve à traiter d'une question similaire. Je m'efforcerai d'y répondre en quatre points : le degré de confiance dans la science, les attitudes à l'égard de l'alimentation, la confiance sociale et la construction de la perception du risque.
Premier point, le sentiment assez répandu est que la confiance dans la science s'est effondrée. Au début des années 2000, environ 90 % des personnes déclaraient avoir confiance dans la science. En 2011, ce taux était de 87 %. En avril 2021, le CEVIPOF donnait un résultat de 78 %. Ce paramètre a ainsi connu une baisse, qui n'est pas un effondrement, de dix points. Notons que ce sont les résultats d'enquêtes, qui peuvent être fragiles, mais ils permettent de faire des comparaisons, dans le temps et par rapport à d'autres secteurs, institutions ou pays.
La science reste néanmoins devant toutes les autres institutions pour ce qui est de la confiance : 69 % pour la police, 48 % pour la justice, 28 % pour les médias. Par comparaison avec les pays voisins, le taux de confiance, s'il est de 78 % en France, atteint 81 % en Allemagne et 86 % en Grande-Bretagne. Alors que le degré de confiance en France est traditionnellement très faible, qu'il s'agisse de politique ou d'institutions, le déficit de confiance par rapport aux autres pays est réel, mais modeste.
Deuxième point, un baromètre de 2019 nous livre trois enseignements sur la question de l'alimentation : la France est au premier rang de l'UE pour le pourcentage de personnes qui s'intéressent au problème de la sécurité alimentaire : 60 % contre 40 % en moyenne, voire beaucoup moins. La France est au premier rang de l'UE pour le pourcentage de personnes qui estiment que les produits alimentaires regorgent de substances nocives : 63 % contre 29 % en Grande-Bretagne. 20 % des Français pensent que les autorités nationales les protègent contre les risques alimentaires, contre 61 % aux Pays-Bas. Ces taux permettent de définir autrement le périmètre du problème, reposé à intervalles réguliers, des nouvelles technologies alimentaires en France.
Troisième point, la confiance sociale possède à mon sens deux composantes fondamentales : croire à la compétence et croire à la probité. Elles se retrouvent dans beaucoup de domaines, aussi bien en politique qu'en science ou dans les rapports avec des prestataires privés. Elles sont mises en question à la fois dans la science et évidemment dans le problème des nouvelles technologies alimentaires.
Quatrième point, la question du risque est évidemment essentielle. Sa complexité se manifeste avec la campagne vaccinale contre la COVID 19. Beaucoup de scientifiques et de politiques estiment sûrement qu'elle devrait être abordée rationnellement, mais elle est pour partie émotionnelle et la population évalue mal les probabilités. Pour les NBT et les OGM, nous voyons bien que chacun pose sa propre équation bénéfices/risques.
Or le défaut considérable de ces technologies réside dans le fait que jamais il n'a été démontré qu'elles avaient un effet bénéfique pour les consommateurs. Pourquoi prendraient-ils un risque, même infinitésimal, dans ces conditions ? Tel était déjà le cas du riz doré censé lutter contre la carence en vitamine A en 1998. Tant que cette interrogation ne sera pas résolue, le problème perdurera.
Mme Claire Marris. - Je conviens également que nous n'avons guère avancé depuis la conférence citoyenne organisée par Jean-Yves Le Déaut et l'OPECST en 1998, mais je voudrais néanmoins nuancer et expliquer ce constat. Chercheure associée à l'INRAE, j'ai travaillé dans cet institut et je vis depuis 2005 au Royaume-Uni. Vue de l'étranger, la France a progressé sur les questions du rapport entre science et société. Cette matinée en témoigne.
Je suis très impressionnée d'assister à un débat assez contradictoire, y compris au sein d'une même institution comme l'INRAE. Cette liberté d'approche ne se rencontre pas ailleurs, et certainement pas au Royaume-Uni où l'institut de recherche pour l'agriculture et l'alimentation a été renommé BBSRC (Biotechnology and Biological Sciences Research Council), au début des années 1990, pour ne plus se concentrer que sur les techniques, et pas sur l'alimentation ou l'agriculture.
Le HCB a aussi été extrêmement innovant. Cette instance était presque unique au monde. Je comprends qu'elle a rencontré des difficultés et subi des démissions. L'annonce de sa suppression est toutefois très triste. Cette décision est un retour en arrière. J'aimerais qu'on explique mieux et de façon plus transparente pourquoi on a décidé de revenir à une séparation entre l'analyse des risques comparés et les discussions économiques, sociales et éthiques.
Au-delà de ces éléments positifs, je pense que nous n'avons pas avancé lorsque j'entends formuler à nouveau les mêmes promesses qu'auparavant. Comme le soulignait à l'instant Monsieur Boy, l'idée que ces aliments allaient nourrir le monde, présenter des avantages pour les consommateurs et permettre une agriculture plus durable, était déjà présente en 1998. Aucun exemple ne prouve jusqu'à présent que ces avancées sont réelles.
D'aucuns affirment que cette situation résulte d'un enlisement réglementaire propre à l'Europe. Ces soi-disant obstacles n'existent pas en Chine, aux États-Unis, au Canada ou en Australie. Dès lors, les innovations devraient y apparaître. Elles ne s'y manifestent pourtant pas davantage. Les OGM qui présenteraient de vrais avantages pour une agriculture plus durable ne sont pas produits. Certains de ces organismes existent bien, mais le débat sur leurs bénéfices réels se poursuit.
Un autre argument couramment avancé consiste à dire que les nouvelles techniques seraient plus précises et donc moins risquées. Le même discours était tenu dans les années 1990 pour promouvoir les OGM. Le gain de précision apporte-t-il une réduction des risques ? La précision au niveau moléculaire va-t-elle nécessairement de pair avec une plus grande précision au niveau de la plante en général ? Nous n'avons toujours pas répondu à cette question.
Que cherchons-nous à faire avec ces nouvelles technologies ? Quels sont nos problèmes prioritaires ? Le débat sur les causes et les problèmes demeure sous-jacent. À mon sens, nous devrions être beaucoup plus explicites sur les raisons des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.