Intervention de Denis Couvet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 18 mars 2021 à 9h05
La troisième table ronde : quelle place pour les nbt dans la société

Denis Couvet, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, membre de l'Académie d'agriculture et du Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) :

Professeur au Muséum national d'histoire naturelle, président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, membre de l'Académie d'agriculture et du Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB). - 

Je ferai part de trois interrogations :

La première concerne le contexte de la transition agroécologique. Le maître-mot est sans doute « diversité » : diversité des cultures, diversité génétique au sein des cultures, diversité des filières, diversité les produits alimentaires. Il y a des enjeux sociaux forts et cette transition est difficile pour tous : pour la recherche publique, pour le secteur économique et pour la société civile. Elle demande à remettre en cause des modes de pensée, des pratiques et des routines. La filière semencière sera sans doute « bousculée » par la transition agroécologique.

Nous venons d'éditer un ouvrage de 600 pages sur le sujet de la transition agroécologique avec un groupe de travail de l'Académie d'agriculture, 600 pages qui ont été nécessaires pour retracer l'histoire de l'agroécologie, ses échecs, son développement et ses enjeux.

La gestion de la diversité et de la complexité n'est pas aisée. L'agroécologie n'est pas envisagée de la même façon au Brésil, en Inde ou en Europe. Cette contextualisation géographique est très importante. J'éprouve des craintes eu égard au modèle économique présidant à l'agroécologie. La réflexion n'est pas suffisante. Les techniques évoquées sont prometteuses, mais j'estime, comme Daniel Boy, que nous manquons d'exemples convaincants dans le cadre de la transition agroécologique. La teneur des débats changera le jour où nous aurons ces exemples convaincants.

Ma deuxième interrogation porte sur les techniques. Il peut y avoir un effet systémique des techniques. En écologie scientifique, le concept émergent de « système adaptatif complexe » montre qu'une intention se diffuse dans le système social et écologique de telle sorte que chacun l'interprète à sa manière. Par exemple, les politiques publiques n'ont souvent pas l'effet attendu, car chacun s'y adapte.

Les plantes génétiquement modifiées sont un succès commercial considérable. Elles couvrent actuellement 200 millions d'hectares. Il est donc possible de dresser un bilan, même si, j'en conviens, le passé ne préjuge pas de ce qu'il adviendra. 90 % de ces plantes, en termes de surface cultivée, relèvent de quatre espèces : le maïs, le soja, le coton et le colza. 90 % de ces plantes correspondent à deux caractères : tolérance au glyphosate et production de BT. La diversité n'est donc pas fameuse.

Les plantes génétiquement modifiées sont essentiellement présentes en Amérique, seuls pays où elles couvrent 25 % des sols agricoles. Ce taux atteint 80 % en Uruguay et au Paraguay, 50 % aux États-Unis. Ce n'est que 10 % en Chine, même si ce pays nourrit une grande appétence à leur égard. Ce dernier chiffre s'explique sans doute par le fait que les plantes génétiquement modifiées ne sont pas adaptées à un système agronomique chinois constitué de petites exploitations agricoles. Celles-ci n'auraient pas le même intérêt à les utiliser que des grandes exploitations, qui y sont mieux adaptées, même si ce n'était pas l'intention initiale.

Ma troisième interrogation porte sur ce que David Hicks appelle un « différend épistémologique profond ». Il constate que les scientifiques ne sont quasiment d'accord sur rien dans cette controverse sur les OGM. Certains diront que nous savons presque tout sur la plante et sur la manière dont les systèmes agronomiques fonctionnent. D'autres feront part de leur grande ignorance. C'est pourquoi l'intervention des praticiens et des savoirs vernaculaires est particulièrement précieuse. Le différent épistémologique porte aussi sur la manière dont chacun se positionne dans la société vis-à-vis d'une problématique. Il y a des divergences profondes à ce sujet : agit-on pour le bien commun ? Les inventions sont-elles détournées au profit de quelques-uns ?

L'Académie d'agriculture a publié un avis sous le titre « Réécriture du génome, éthique et confiance », qui intègre, plus ou moins, ces interrogations. Notre groupe de travail a formulé quatre types de recommandations : 1. « Agir de façon responsable », 2. « Respecter le principe de précaution », 3. « Associer largement le public. Informer. Agir de façon transparente », 4. « Procéder à des réévaluations régulières ».

Enfin, une suggestion, à la lumière de ces interrogations. Peut-être l'OPECST pourrait-il constituer un groupe sur l'agroécologie et sur les semences paysannes. Car les enjeux scientifiques, techniques et économiques de la transition agroécologique ont été largement sous-estimés et demandent à être mieux envisagés

M. Cédric Villani, député, président de l'Office. - Ces sujets ont déjà été portés au Parlement, notamment par le député Dominique Potier et le sénateur Joël Labbé. J'ignore si l'Office a travaillé sur le sujet. Il serait naturel que nous l'abordions à l'avenir.

M. Jean-Christophe Pagès. - Le HCB, qui existe depuis un peu plus d'une décennie, a produit deux avis sur la question du jour. Le premier porte sur les NPBT en général. Il avait notamment soulevé les questions de la propriété intellectuelle et de l'information. Le comité scientifique, comme l'a rappelé Joël Guillemain, avait suggéré une approche proportionnée, un scénario intermédiaire, mais ouvert à l'évaluation des produits issus de ces nouvelles techniques.

Nous avions effectivement porté notre attention sur les produits dans la mesure où CRISPR est une technique qui permet de faire mille produits et modifications différentes. Pour répondre à Madame Bensaude-Vincent, il n'y a pas d'opposition étant donné que la contrainte de l'espèce biologique sur laquelle la modification est produite perdure au-delà de la modification et de l'utilisation de la technique. Il ne faut pas oublier que les contraintes biologiques sont énormes et limitent l'utilisation de la technique.

S'agissant des suites aux décisions de la CJUE et du Conseil d'État, Monsieur Prud'homme n'a pas précisé que ce dernier avait ajouté la distinction in vitro / in vivo. Or nous ne sommes pas capables de distinguer ce qui se produit in vitro ou in vivo par de la mutagénèse. Si cette distinction a un sens juridique, comme l'a reconnu le CEES (comité éthique, économique et social du HCB), elle ne repose pas sur une réalité biologique.

Pourquoi l'expérience du HCB, qui est amené à disparaître, a-t-elle été riche, mais un peu difficile ? Le HCB s'était vu accorder une place très proche du centre de la décision politique. La discussion dans ces conditions est nécessairement extraordinairement tendue, parce que les personnes savent que l'intervenant qui aura le dernier mot emportera la décision.

Il s'agissait néanmoins d'une expérience tout à fait originale dans le monde. Cette instance a montré les limites de la coexistence entre une expertise sur des questions extraordinairement « pointues » et un public qui ne dispose pas de toutes les « clefs » pour accéder à cette connaissance et à cette expertise. Les experts n'ont pas non plus l'habitude de discuter d'écologie dans ses aspects philosophiques, au-delà des aspects biologiques, il y a donc un déficit de formation de ce côté-là aussi.

Un autre aspect concerne cette fameuse « économie de la promesse ». Les experts scientifiques du HCB ne venaient pas défendre les OGM. Ils n'avaient pas pour mandat de convaincre de l'intérêt de leur utilisation.

Sur la question de l'appréciation des bénéfices et des risques, j'ouvre une parenthèse : le problème de l'acceptabilité du riz doré à cause de son changement de couleur ne se retrouvera certainement pas dans le cas de la patate douce dans laquelle on a introduit des gènes pour augmenter la production de carotène.

La notion de risque est aussi très importante. On a régulièrement cité l'aphorisme : « L'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence ». Or un comité scientifique ne peut pas gérer cette question. Jamais il ne signera un texte affirmant l'absence de risque, car les scientifiques pourront toujours établir des scénarios rationnels montrant qu'il existe un risque. Nous ne pouvions pas répondre à l'attente des pouvoirs publics en la matière. De l'extérieur, ces réflexions étaient interprétées comme des controverses. Le grand public se plaignait que nous ne soyons pas capables de le rassurer, alors que tel n'était pas notre objectif.

La question de la symétrie des argumentaires mérite également d'être posée. Je ne sais pas la résoudre. Toutes les publications et les expériences des laboratoires montrent que la précision des mutations est parfaite, c'est vérifié par séquençage des plantes. Dans les essais qui vont être réalisés chez l'homme, en médecine, notamment sur les bêta-thalassémies, il n'y a pas de différence et pas d'effets hors-cible. C'est pourquoi je m'inscris dans une logique optimiste qui permet ensuite de construire au plan réglementaire.

Le HCB était également confronté à des difficultés avec la question des données socioéconomiques. Il est en effet très difficile de faire de la prospective dans ce domaine car tout dépendra du modèle de développement. S'agissant de l'éthique, Madame Besaude-Vincent a bien monté que l'éthique diffère suivant les domaines auxquels elle s'applique. Si mettre en culture une bactérie dans un erlenmeyer est jugé comme allant contre les lois de la sélection naturelle, la modification d'un génome est certainement bien pire.

Dans le domaine sociologique, Daniel Boy a bien montré que la principale difficulté tient au fait que nous ignorons le degré d'information de l'opinion. Le seul fait de poser une question sur un risque oriente son attitude.

Enfin, sur la question juridique, je pense qu'il faut commencer par caractériser les nouvelles techniques, dire dans quels champs on souhaite les appliquer pour ensuite proposer un encadrement adapté. La réglementation peut toujours être modifiée, il ne faut pas rester bloqué sur une loi au motif qu'elle a été entérinée.

Monsieur Villani m'interrogeait sur la définition des OGM au sens de la directive 2001/18/CE. Tout entre dans ce champ d'application. Cela n'est pas si grave si l'on considère qu'elle prévoit un grand nombre d'exemptions. Tel était précisément le problème posé par la fameuse annexe 1B, à l'origine du contentieux soulevé auprès du Conseil d'État et des discussions au sein de la CJUE. Des techniques peuvent être ajoutées à la liste des exemptions et les tests à réaliser peuvent également évoluer, en ajustant la structure des dossiers déposés en fonction des techniques.

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