Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 juin 2021 : 1ère réunion
Audition du général andré lanata commandant suprême allié transformation auprès de l'otan sact

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Vous voyez que toutes les sensibilités s'expriment au sein de cette commission, mon général.

Général André Lanata. - C'est le rôle de votre assemblée, monsieur le président !

S'agissant de la dernière question, j'observe qu'il n'y a pas eu de conflit ouvert sur le continent européen depuis la Deuxième Guerre mondiale. C'est en cela qu'il faut considérer l'effet dissuasif, me semble-t-il, qu'amène cette organisation qui continue d'assurer la paix et la sécurité sur notre territoire européen, depuis 72 ans, fait relativement exceptionnel qui mérite d'être souligné. Ce continent n'a jamais vécu de périodes aussi longues sans conflits dévastateurs.

Je ne disconviens pas qu'il y ait une instabilité croissante à la périphérie de l'Alliance atlantique et de sa zone d'action, mais on ne peut en rendre l'Alliance atlantique responsable.

Cela étant dit, l'ensemble de vos questions démontrent non seulement votre intérêt pour l'OTAN, mais aussi votre connaissance des sujets et des enjeux.

La question de Cédric Perrin sur l'innovation fait l'objet d'une déclaration au sommet et se situe au coeur même des attributions mon commandement. J'ai par ailleurs déjà eu l'occasion d'en parler avec lui et de chercher à promouvoir l'innovation dans une autre vie, lorsque j'étais à la tête de l'armée de l'air. Pour tout dire, je crois que la déclaration du sommet manifeste principalement une préoccupation de nos responsables politiques au plus haut niveau sur l'évolution du contexte technologique. Le risque d'une réduction du gap technologique face auquel nous nous trouvons fait partie d'un des avantages stratégiques dont nos forces armées peuvent encore se prévaloir.

Devant le développement de technologies qui ne sont plus uniquement conduites par le secteur de la défense, la préoccupation est de savoir quels sont les véritables enjeux et de connaître les technologies qui nous permettront, demain, de garantir le gap technologique assurant l'efficacité et la supériorité de nos forces armées.

Quel emploi fera-t-on du fonds dont la création a été décidée ? À quelle organisation tout cela conduira-t-il ? Je crois qu'il est un peu tôt pour le dire. La déclaration des chefs d'État consistait à manifester cette préoccupation - ce qui est déjà en soi un acte politique -, et à demander à l'OTAN de prendre des dispositions pour y répondre.

La mise en oeuvre conduira à des débats sur les dispositions, les organisations, les attributions, les rôles, les responsabilités et les équilibres, car il existe des enjeux technologiques et industriels entre les différents membres de l'Alliance atlantique. L'organisation sera validée lors du prochain sommet, en 2022.

Suivons et cherchons à peser dans les débats qui vont s'ouvrir dans le cadre de l'Alliance atlantique pour garantir la mise en oeuvre de l'orientation forte décidée par nos responsables politiques ! Il faut distinguer deux sujets.

Le premier concerne l'innovation traditionnelle de défense à laquelle nous sommes habitués, avec des développements habituels verticaux traditionnels au sein des systèmes de défense. Ainsi, quand on construit un missile hypersonique, nous connaissons les technologies que nous cherchons et nous investissons, à travers notre base industrielle et technologique de défense, pour acquérir ces technologies nécessaires à sa réalisation. Il s'agit d'une innovation dirigée et traditionnelle de la défense, qui a vocation à répondre en général à des menaces symétriques : toutes les nations ne sont pas capables de développer des équipements de cette nature.

Deuxième sujet : nous faisons face à un nouvel enjeu, celui de l'innovation ouverte, qui représente un foisonnement technologique principalement tiré par les marchés. C'est sur ce point qu'il convient d'adapter nos méthodes. Mon commandement a pris un certain nombre d'initiatives à ce sujet. Les démarches traditionnelles ne sont pas adaptées pour ce qui concerne les technologies du numérique telles que le big data ou les algorithmes d'intelligence artificielle. Nous faisons davantage face ici à une bataille des usages, à des technologies déjà disponibles ou en devenir, et il convient d'accompagner la mise en oeuvre de ces technologies dans nos développements capacitaires.

Il est donc important de disposer de centres d'innovation spécialisés sur le besoin militaire. Je rappelle que l'OTAN est une alliance à vocation militaire, dont le rôle principal est d'adapter cet outil militaire aux enjeux auxquels nous faisons face.

C'est pourquoi, quelles que soient les dispositions qui seront prises lors de la mise en oeuvre de l'orientation décidée par les chefs d'État, il sera important de conserver au coeur des processus les utilisateurs qui, eux seuls, pourront dire quels sont les meilleurs usages que l'on peut tirer des technologies pour les importer dans nos développements capacitaires.

Vous m'avez posé une question sur la cyber et l'adéquation entre les politiques nationales et la politique de l'OTAN. Le domaine cyber a été déclaré quatrième domaine opérationnel au sommet de Varsovie. Mon commandement a été chargé de mettre en place la stratégie de l'OTAN pour prendre en compte ces dispositions. Je rappelle que, lors de ce même sommet, les nations n'ont délégué à l'OTAN que le volet défensif de la cyber. Elles ne sont pas parvenues à un consensus pour octroyer à l'OTAN des missions de cyber offensives que la France, comme d'autres Nations, accompliraient si elles le jugeaient nécessaire.

Pour le moment, l'OTAN ne s'occupe que de la protection de ses propres systèmes et, principalement, de ses systèmes de commandement. Elle cherche également à détecter si nous sommes l'objet d'une attaque, et éventuellement faire remonter ces éléments afin de rechercher le consensus politique sur la façon d'y répondre.

À l'OTAN, les décisions fonctionnent sur le principe du consensus, et c'est cette connaissance de ce qui se passe dans le milieu cyber qui permet à nos autorités politiques de prendre des décisions en fonction, d'une part, de leur renseignement national et, d'autre part, de la situation que l'OTAN elle-même fera remonter.

Beaucoup de questions portaient sur la Chine et l'élargissement potentiel des missions de l'OTAN dans la zone Asie-Pacifique. Ce sommet marque un tournant dans l'attitude de l'OTAN à l'égard de la Chine, si j'en juge par le contenu du communiqué. Il s'agit d'une question complexe, où les enjeux stratégiques, militaires, sécuritaires et économiques sont liés.

Que constatons-nous ? Une modernisation impressionnante de l'outil militaire chinois que nous avons du mal à interpréter, une contestation de l'ordre international qui se traduit par une logique d'interdiction quasi de facto en mer de Chine, une volonté d'hégémonie, une contestation du modèle de démocratie occidentale un investissement important dans les nouvelles technologies, des investissements agressifs voire prédateurs dans un certain nombre de domaines. Tout cela est préoccupant et je pense, à titre personnel, qu'il faut cesser d'être naïf avec la Chine.

L'évolution de la situation me paraît extrêmement préoccupante, et je crois que la déclaration de l'OTAN reflète cette prise de conscience.

L'OTAN a décidé du lancement d'un nouveau concept stratégique. C'est dans le cadre de la rédaction de ce concept que l'OTAN devra décider, selon la règle du consensus entre les nations, de son attitude à l'égard de la Chine. Je rappelle encore une fois que l'Alliance a une vocation militaire et régionale. Ce n'est probablement pas le rôle de l'OTAN d'aller conduire des opérations en mer de Chine. Il reviendra évidemment aux alliés de décider de ce point, d'autant qu'il faudra certainement coordonner nos activités dans cette zone, si elles ont lieu, avec d'autres pays riverains. Je note par ailleurs la priorité affichée par les États-Unis face à la Chine. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un fait nouveau, cela reflète une nouvelle dimension dans les rapports de force. C'est un débat que nous avons devant nous, dans lequel il faudra chercher à faire valoir notre sensibilité au sein de l'Alliance atlantique.

Le risque, pour la France, est de voir sa voix diluée alors que les enjeux sont plus larges. C'est pourquoi la coopération entre l'Union européenne et l'OTAN me semble également extrêmement importante. L'Union européenne dispose de leviers pour faire face à la compétition. Il s'agit d'un problème multidimensionnel qui trouvera probablement sa solution d'abord dans le dialogue à l'OTAN et dans les équilibres entre l'OTAN et l'Union européenne, mais dont les enjeux dépassent cette organisation.

La question suivante portait sur la relation entre l'Alliance atlantique et l'Union européenne. Cela fait partie du deuxième sujet au coeur des débats au sein de l'ensemble atlantique. L'Union européenne et l'OTAN sont deux objets différents. L'OTAN est une organisation politique et une alliance militaire qui s'appuie - et c'est relativement unique - sur une structure de commandement militaire permanente, alors que l'Union européenne est une organisation supranationale, à laquelle ses États membres ont délégué une partie de leur souveraineté. Il existe des points communs forts : 21 membres de l'Union européenne sont également membres de l'OTAN et il existe une coopération entre les deux organisations.

Il est évident qu'aucune crise majeure en Europe n'affectera pas simultanément les deux organisations. Je crois donc qu'il faut éviter, dans notre discours et dans notre façon de voir les choses, d'opposer les deux organisations. Nous avons besoin des deux. Elles sont complémentaires et doivent se renforcer mutuellement plutôt que de s'inscrire dans une logique de compétition. C'est là tout l'enjeu. L'une des difficultés, ici, ce sont les obstacles politiques que vous connaissez bien, qui permettent d'établir un meilleur dialogue entre les deux organisations.

Vous m'avez posé une question sur la boussole stratégique. Je pense que l'acte politique de la boussole stratégique est symétrique de la rédaction d'un nouveau concept stratégique à l'OTAN. Il serait incompréhensible que les deux organisations ne se parlent pas sur cette question. Nous connaissons les obstacles politiques qui freinent le dialogue entre les deux organisations. Je pense que cela fait partie du troisième sujet sur lequel l'OTAN devra progresser.

J'ajoute que deux facteurs me semblent plaider pour un élargissement des responsabilités de l'Union européenne ou des Européens.

Le premier, c'est cette volonté des États-Unis de concentrer davantage leurs efforts sur la zone indo-pacifique et la demande explicite des Européens de prendre plus de responsabilités dans leur défense collective. C'est un fait. Comment le traduisons-nous concrètement, c'est une autre question.

Le deuxième facteur, c'est le changement de nature des crises. L'OTAN reste la garantie ultime pour toutes les crises relevant de l'article 5. Cependant, celles que nous observons aujourd'hui se situent davantage dans la zone grise, où l'Union européenne dispose de leviers probablement mieux adaptés dans certains domaines comme le domaine économique, de la réglementation, peut-être même de la cyber, de la protection de nos infrastructures critiques, de la guerre de l'information, sujet clé, me semble-t-il.

Objectivement, l'évolution du contexte démontre qu'il faudra trouver les conditions de ce nouvel équilibre. Quelle forme cela prendra-t-il ? Ce n'est pas au militaire que je suis d'y répondre, mais aux autorités politiques. Des équilibres complexes devront également être discutés. Ils sont au coeur des enjeux pour un pays comme la France.

Faudra-t-il aller vers une autonomie de défense de l'Union européenne ? C'est un sujet qui irrite un certain nombre de nos partenaires européens. Ils y voient en filigrane l'idée d'une compétition entre les deux organisations. Or ils ne conçoivent pas leurs garanties de sécurité en dehors de l'Alliance atlantique, il faut en être conscient. Nous ne progresserons pas sans convaincre nos alliés européens.

Il faudrait également que les Européens fassent les efforts afin de disposr de moyens pour prendre davantage de responsabilités sur les questions de défense - renseignement, spatial et autres capacités clés que vous que vous connaissez bien -, mais c'est aussi une question de présentation. Il n'existe pas deux « sets de force », des forces européennes d'un côté et des forces de l'Alliance atlantique de l'autre. Ce sont les mêmes forces qui contribuent aux missions de l'une ou l'autre des organisations, selon les choix politiques qui sont faits.

La question est donc de savoir ce que feront les Européens pour pouvoir occuper davantage de responsabilités dans le domaine de la défense. Il faut qu'ils s'interrogent sur les capacités clés qui permettent de faire la différence sur le terrain en tant qu'Européens, renforçant la défense collective à cet égard.

La deuxième question concerne le choix politique qui est fait de confier à telle ou telle organisation la réalisation de telle ou telle mission, les efforts effectués étant prises par les pays européens n'ayant pas a priori vocation à servir l'une ou l'autre des organisations, mais visant à renforcer l'une et l'autre. C'est une logique un peu différente.

Concernant la bande sahélo-saharienne et l'Afrique de façon générale, s'agit-il d'un appel de la France aux Européens ou aux États-Unis pour gérer un enjeu de sécurité majeur pour la stabilité du continent européen ? Je pense que tout le monde en est convaincu autour de cette table. Quel est, en contrepoint, le rôle éventuel de l'Alliance atlantique dans la zone ? Il s'agit d'un choix politique. Je crois que les Européens ont répondu dans une certaine mesure à l'appel de la France en contribuant par exemple aux missions de formation (EUTM). Un certain nombre de pays européens participent à la force Takuba, d'autres renforcent nos capacités ici et là. Cela existe. Par ailleurs, les États-Unis d'Amérique nous apportent leur soutien depuis le début de l'opération Serval dans des capacités clés que je connais bien en tant qu'aviateur : ravitaillement en vol, surveillance et transport. On ne peut pas dire que rien n'existe.

Jusqu'où faudra-t-il aller, alors que le Président de la République vient de décider une reconfiguration de l'opération ? Ce n'est pas tellement à l'OTAN d'y répondre pour le moment. Nous verrons le moment venu où l'on en sera. Je pense qu'il faut attendre les réorientations politiques qui seront prises sur cette opération pour savoir si l'OTAN a un rôle à y jouer.

Vous m'avez posé une question sur le grand Nord. C'est un sujet important pour l'Alliance. Je le relierai au changement climatique. En effet, le changement climatique modifie les conditions d'accès à la zone, qui devient de facto une nouvelle zone de compétition stratégique entre les nations.

L'OTAN est naturellement intéressée par le grand Nord, tout simplement parce que, parmi ses membres, un certain nombre d'entre eux sont riverains de cette zone. L'OTAN se doit de garantir les voies de communication pour assurer la sécurité de l'ensemble euro-atlantique. Il s'agit donc d'un enjeu clé pour l'Alliance, même si je ne suis pas persuadé que les pays riverains sont très favorables à ce que d'autres acteurs participent au débat sur la zone arctique. Un espace de coordination politique existe déjà dans le cadre du Conseil de l'Arctique, zone que je distingue du « grand Nord » qui fait partie de l'espace euro-atlantique.

Nous sommes là à la croisée de plusieurs considérations comme le changement climatique, les changements touchant à notre environnement de sécurité et l'extension éventuelle des missions de l'OTAN à d'autres espaces géographiques. Il reviendra aux alliés de trancher ces enjeux dans le cadre du développement du concept stratégique.

J'observe qu'il existe des enjeux considérables dans cette nouvelle zone de confrontation stratégique où la Chine cherche à prendre pied, dans le cadre de sa politique systématique des routes de la soie, ce qui soulève un certain nombre d'interrogations.

Vous m'avez interrogé sur les financements communs et leur signification. Un débat a eu lieu dans le cadre de la préparation de ce sommet. Ce n'est un secret pour personne. Je crois que le compromis qui a été adopté est le bon. Il consiste à reconnaître la nécessité de consacrer un effort supplémentaire fondé sur une analyse précise des besoins, lesquels seront discutés à l'avenir pour savoir dans quel domaine l'OTAN a vocation à investir.

La question de l'innovation a été évoquée : pourquoi pas ? Comme vous le savez, les deux commandements stratégiques, le mien et celui pour les opérations, ont produit, par ailleurs, récemment des concepts structurants qui fondent l'évolution de notre outil militaire. Le concept sur la dissuasion et la défense de l'espace euro-atlantique pour le commandement allié opérations (ACO), celui sur le concept cadre sur l'évolution de nos capacités, qui donne une orientation à long terme sur nos développements capacitaires pour ce qui concerne le commandement ACT.

Ces concepts déboucheront probablement sur des demandes de réalisation, notamment dans le domaine du commandement et du contrôle, comme le commandement et le contrôle multidomaine ou l'espace - les dispositions à prendre face aux nouveaux missiles russes appelleront probablement un certain nombre de besoins. Il en ira certainement de même pour la résilience, en particulier concernant les infrastructures de l'OTAN. Ces besoins seront analysés, débattus entre alliés, et nous verrons quelles augmentations en résultent en matière de besoins de financement en commun.

Le plan d'action sur le changement climatique a également fait l'objet d'une question. Je voudrais insister ici encore une fois sur la vocation de l'Alliance atlantique. L'Alliance atlantique n'a pas vocation à se transformer en agence de l'environnement, mais il existe plusieurs dimensions pour l'Alliance atlantique dans ce sujet. Tout d'abord, la prise en compte des enjeux de sécurité et défense, qui résultent de l'évolution de l'environnement sécuritaire consécutifs à ces changements. J'ai déjà cité le cas du grand Nord.

Par ailleurs, la prise en compte, dans le domaine des capacités militaires, d'une part de la réponse aux enjeux de sécurité associés au changement climatique, mais aussi et d'autre part de la recherche d'une empreinte environnementale plus verte pour le développement de nos capacités. Il s'agit ici principalement d'une responsabilité des nations, quand bien même l'Alliance doit se préoccuper de son empreinte environnementale elle-même.

La question sur la Turquie est complexe. Elle a fait l'objet de débats entre alliés. Quel rôle l'OTAN doit-elle jouer dans le Haut-Karabakh ? Je n'ai pas senti un consensus des alliés sur cette question.

Sur le plan militaire, l'introduction de nouveaux systèmes de défense sol-air tels que le S-400 interroge sur l'intégrité de nos systèmes de commandement et de contrôle. Je crois que l'OTAN a répondu très clairement sur ce point.

Sur l'ensemble des autres sujets, il ne faut pas demander à une autorité militaire d'apporter des réponses à des questions principalement politiques. L'OTAN constitue un forum où ces sujets sont abordés. Pour le dire différemment, quels seraient nos rapports avec la Turquie si celle-ci n'était pas dans l'OTAN aujourd'hui ? L'Alliance joue un rôle positif dans ce domaine. La Turquie apporte une valeur ajoutée du fait de sa situation géostratégique, de la crédibilité des forces armées, et l'Alliance offre un forum où un certain nombre de différends entre nations - comme cela a existé auparavant avec d'autres au sein de l'Alliance atlantique - peuvent être traités.

Vous m'avez attribué une déclaration sur le fait que l'organisation militaire agirait sans se préoccuper des orientations politiques. Je voudrais préciser ma pensée à ce sujet. Je pense ne jamais avoir dit que l'organisation militaire de l'OTAN n'était pas sous contrôle politique. C'est évident. Simplement, ces dernières années, un certain nombre de débats politiques ont animé l'Alliance atlantique. C'était en particulier le fait de la précédente administration américaine, mais pas seulement, ce qui a donné lieu à un certain nombre de réactions par ailleurs. Je voulais simplement dire que selon moi, l'organisation militaire est relativement épargnée par ces débats politiques et nous avons continué à travailler sereinement pour développer notre outil et garantir, malgré les débats, les missions et la stabilité de l'espace euro-atlantique. J'ai simplement voulu souligner la stabilité et la sérénité qu'apportait l'organisation militaire au sein de l'Alliance atlantique.

Cette séquence était à la fois d'actualité et tout à fait passionnante, au moment où l'on assiste de toute part à la montée des États puissance et que nous devons à répondre à un certain nombre de provocations.

Il était bon de remettre en perspective quelques notions. Il est vrai que les interrogations, pour certaines, demeurent. Vous avez parlé de la Turquie. Il est intéressant de les retrouver au sein d'un forum, et on est tout à fait heureux de voir que le dialogue entre la France et la Turquie a repris, mais les mêmes causes produisent les mêmes effets, et le fait que la Turquie ait fait appel à un système russe S-400 pose quand même un véritable problème. On peut le prendre comme on veut, dire qu'on n'en tient pas compte et qu'on oublie les paroles désagréables qui ont été échangées, les systèmes demeurent !

Général André Lanata. - Je suis d'accord, mais l'OTAN a été très claire sur ce point : il n'est pas question de connecter ce système. Chaque pays est souverain dans ses acquisitions. Libre à la Turquie d'acheter le matériel qu'elle souhaite. L'important, c'est que ce système ne soit pas connecté au système de commandement intégré de l'OTAN.

J'ajoute que ce qui est difficile - et on le voit bien dans les relations que nous avons notamment avec nos voisins européens -, c'est l'articulation entre l'effort que nous faisons, sous l'autorité du Président de la République, et que nous approuvons, en matière de renforcement des moyens européens de défense et d'autonomie stratégique, sur laquelle nous allons travailler et qui reste importante.

Un certain nombre de nos voisins et amis, comme la Pologne et quelques autres, n'ont pas toujours la même compréhension de l'articulation qui peut exister entre l'OTAN et l'autonomie stratégique européenne telle que nous la concevons. Je crois que cela nécessite des explications.

Je reviens d'Estonie, où le raisonnement est tout à fait clair : hors l'OTAN, point de salut ! Pourtant, à force d'explications, ils sont en train de rentrer dans notre dispositif, puisque je rappelle que c'est le premier pays qui a rejoint Barkhane et Takuba.

Ces échanges et ces contacts peuvent donc être utiles lorsque les enjeux sont bien expliqués et qu'on n'agite pas la thématique d'une armée européenne, qui avait fait des dégâts considérables.

Parler de la politique des briques, admettre que l'on puisse vendre des Rafale à la Grèce et ainsi faciliter l'interopérabilité, comme entre la Belgique et la France, renforce à mon sens une bonne articulation entre les efforts de l'Europe et ceux de l'OTAN.

Général André Lanata. - Ce qui m'a frappé, sans trahir de secret d'État, lorsque j'étais autour de la table, à Bruxelles, avec les chefs d'État, c'est l'inflexion autour de l'idée que l'Europe renforce l'Alliance. De très nombreux alliés, y compris certains n'appartenant pas à l'Union européenne, que je ne pourrai pas citer, ont réclamé davantage d'Europe.

C'est un mouvement nouveau, qui est assez récent.

Général André Lanata. - Cela me paraît récent, en effet. Comment cela sera-t-il traduit dans les faits, compte tenu des autres obstacles bien réels qui demeurent, pour les raisons que nous venons d'évoquer ? C'est une autre affaire, mais je crois qu'il faut maintenant considérer cet appel comme une demande de renforcement de l'Alliance atlantique. Ce n'est pas un jeu à somme nulle.

Il y a là une réelle opportunité. Les États-Unis aussi réclament implicitement davantage d'Europe en reconnaissent eux-mêmes les limites de leur puissance face à la Chine et la réorientation vers la zone indo-pacifique. Encore une fois, la nature des crises a changé. Comme je l'ai dit dans mon propos introductif, l'outil militaire n'est pas la solution à l'ensemble des crises.

L'innovation peut constituer un levier très concret de coopération entre l'Union européenne et l'OTAN, au moment où l'OTAN s'interroge sur la localisation d'un centre d'innovation. Pourquoi ne serait-ce pas un centre d'innovation OTAN-UE, auquel des fonds européens pourraient participer ? Ce serait une traduction très concrète de la coopération entre les deux organisations.

À condition que les intérêts industriels, qui sont évidemment très présents, ne s'en mêlent pas ! On voit bien, sur un certain nombre de marchés sur lesquels nous sommes en concurrence que, malgré tout, il arrive un moment où les États-Unis disent que ce qui est à eux leur appartient et que ce qui est à nous peut être négocié.

Cette présentation a démontré une fois de plus l'importance de partager nos analyses à propos de l'OTAN et de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, où siègent certains d'entre nous. C'est un élément particulièrement utile. Quelques-uns ici y exercent des responsabilités importantes. Il faut que nous soyons bien conscients que nous sommes dans une phase de transition de l'articulation de ces deux organisations. Nous devons donc être convaincants.

Je suis quant à moi submergé de demandes de visioconférences avec des collègues présidents de commission de la défense, notamment des Balkans, qui posent systématiquement la question pour savoir comment nous voyons les choses. Cela montre que la France a encore un rôle à jouer. Je pense que les lignes bougent et qu'il existe une prise de conscience que l'Europe doit faire un peu plus.

Mon général, c'est peut-être la dernière fois que vous venez ès qualités devant cette commission, car je crois que vous quittez votre commandement assez prochainement. Je tiens à vous remercier à double type. Vous avez été un très grand chef d'état-major de l'armée de l'air et avez su, d'entrée de jeu, établir entre nous les relations de confiance nécessaires. Cela a été par ailleurs une fierté de vous voir devenir SACT car c'est, comme vous l'avez souligné, un poste dont la France doit s'honorer, et qu'elle ne connaît peut-être pas suffisamment.

Nous espérons pouvoir continuer à entretenir avec vous des relations suivies. Les anciens chefs militaires, que je fréquente un peu, nous apportent souvent des éléments de jugement qui nous sont très utiles, libérés qu'ils sont de leurs contraintes, non lorsqu'ils tombent dans le grand âge et commettent des impairs ou des pamphlets mais, au contraire, lorsqu'ils nous éclairent sur de vrais sujets ! J'en ai fait encore l'expérience récemment avec deux anciens chefs d'état-major.

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