Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 juin 2021 : 1ère réunion
Actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025 — Examen du rapport d'information

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Chers collègues, avec Jean-Marc Todeschini nous vous présentons le rapport sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2019-2025. Avant toute chose, je voudrais remercier nos rapporteurs pour avis du budget de la défense qui ont travaillé dans des conditions tendues et difficiles du fait de délais très courts et du manque d'enthousiasme de nos interlocuteurs pour nous fournir les indications, notamment chiffrées, que nous étions en droit d'attendre. Ils ont malgré tout levé un voile d'ombre que n'avaient pas dissipé nos auditions en réunion plénière tant de la ministre des armées, que du délégué général de l'armement ou du chef d'état-major des armées, sur la réalité des ajustements en cours de la programmation militaire.

J'en viens à mon propos que j'articulerai autour de trois questions. Tout d'abord, pourquoi l'actualisation est légitime, avec un contrôle renforcé du Parlement ? Ensuite, pourquoi les faits justifient d'adapter la trajectoire budgétaire de la LPM à la crise du COVID et à l'évolution du contexte géostratégique. Et enfin, en quoi les constats sur des ajustements se chiffrant en milliards d'euros nécessitent que nous débattions des changements d'équilibres et d'objectifs de la LPM.

Ensuite, Jean-Marc Todeschini nous alertera sur les renoncements en germe dans cette actualisation et les points de vigilance à surveiller pour la suite de la LPM, ce qui inspirera la position de chaque groupe en prévision du débat qui aura lieu le 23 juin prochain.

Sur la première question, je voudrais rappeler que le Sénat avait soutenu ce projet de loi dans ses intentions : celles de préserver un modèle d'armée complet - autonome sur tout le spectre d'intervention, capable « d'entrer en premier » et d'affronter des conflits de haute intensité. Cette LPM constituait une première étape vers l'ambition opérationnelle 2030 définie par la Revue stratégique de 2017. L'objectif - et nous continuons à partager cet objectif - était de porter progressivement l'effort de défense à 2 % du PIB, pour atteindre une enveloppe globale de 295 milliards d'euros sur toute la période de programmation. Ce qui importe, c'est ce chiffre en valeur, plutôt qu'en pourcentage du PIB puisque celui-ci a considérablement baissé suite à la crise de la Covid.

D'emblée, le principe d'une actualisation de la programmation militaire en 2021 était acté puisqu'il figurait dans le texte initial du projet de loi déposé par le Gouvernement. L'engagement de la ministre des armées ne pouvait être plus explicite. Je la cite dans les débats de l'époque : « le Gouvernement ne désire pas se soustraire à l'engagement permettant à la majorité en place d'assumer, devant les représentants de la Nation, l'évaluation de l'exécution des exercices déjà réalisés et, surtout, de tracer la voie permettant de tenir l'engagement du Président de la République : atteindre en 2025 l'objectif des 2 % ». La chose semblait donc entendue.

Devant l'effort budgétaire demandé à la Nation, il apparaissait logique de renforcer le contrôle parlementaire. Je pense que personne ne s'oppose au principe selon lequel plus il y a de dépenses publiques, plus il y a de contrôle parlementaire. Mais malgré nos demandes réitérées, point de loi d'actualisation à l'horizon. Le ministère des armées a travaillé sur des ajustements, mais n'y a pas associé le Parlement. C'est un point de gravité que je souhaite souligner ici, avec responsabilité et avec regret, dans la mesure où c'était pour nous une fierté d'avoir voté cette LPM avec un score qui montrait que nous étions aux côtés du président de la République et du Gouvernement sur ce sujet.

Que le Gouvernement se délie de ses engagements est une chose. Mais il ne lui appartient pas de s'affranchir de la loi et du Parlement.

Remplacer l'actualisation législative par une déclaration, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution, c'est faire l'impasse sur le dépôt d'un projet de loi, sur une étude d'impact. C'est faire l'impasse sur le débat démocratique et sur une discussion minutieuse, article par article, avec la possibilité de déposer des amendements, notamment si l'on découvre que des ajustements majeurs d'objectifs et de moyens sont apportés à la LPM. Ce que la loi a fait, seule une loi peut le défaire. Surtout, un débat même assorti d'un vote n'a pas de valeur juridique. Il était donc légitime que notre commission exerce ce « droit de suite » en contrôlant l'exécution de la LPM et rappelle le Gouvernement à ses engagements et à son devoir de transparence.

Sur la deuxième question : pourquoi l'actualisation se justifie aussi dans les faits ? La trajectoire budgétaire de la LPM comportait structurellement des fragilités à surveiller dans le cadre de la revoyure de 2021.

Seules les 5 premières annuités de 2019 à 2023 ont été votées, pour un montant global de 197,8 milliards d'euros, renvoyant les 2 dernières annuités 2024-2025 à un arbitrage ultérieur prenant en compte la situation macroéconomique à la date de l'actualisation et l'objectif de porter l'effort de défense à 2 % du PIB en 2025.

L'enveloppe globale de la LPM de 295 milliards d'euros sur toute la période n'est évoquée que dans le rapport annexé à l'article 2 de la LPM. Il reste donc 97 milliards d'euros à confirmer sur les deux dernières annuités : 47 milliards d'euros en 2024 et 50 milliards d'euros en 2025.

Nous l'avions critiqué en 2018 : ce rythme de progression annuelle des crédits est déséquilibré : plus 1,7 milliard d'euros par an jusqu'en 2022, puis plus 3 milliards d'euros par an à compter de 2023 jusqu'en 2025. L'essentiel de l'effort budgétaire est en réalité renvoyé à une majorité politique postérieure à la présidentielle de 2022. C'est un risque que nous avions pointé.

Par ailleurs, l'impact de la crise de la COVID sur le PIB pourrait rendre caduc l'objectif de 2 % des dépenses de défense en 2025. Nous sommes d'ailleurs peut-être déjà au-dessus de ce seuil. C'est pour cela qu'il faut s'attacher à un niveau de dépenses en valeur (295 milliards d'euros sur 7 ans).

L'actualisation stratégique 2021 faisait état de nouvelles menaces qui nécessitent d'orienter des crédits supplémentaires vers le renseignement, le cyber et l'espace.

Enfin, nous avons identifié un périmètre d'actualisation de l'ordre de 8,6 milliards d'euros. Il s'agit d'une part de surcoûts constatés, évalués à 7,4 milliards d'euros, auxquels peuvent s'ajouter environ 1,2 milliard d'euros de surcoûts à prévoir pour remplir les objectifs 2025 de préparation opérationnelle, d'entretien programmé du matériel (EPM) et de préparation au combat à la haute intensité.

Sur les trois premières années de la LPM, acte a été donné du respect de la trajectoire de programmation. J'ai rendu hommage au Gouvernement sur ce point et le refait aujourd'hui. Mais l'exécution des crédits sur les deux premiers exercices budgétaires (2019 et 2020) n'est conforme qu'en apparence. Nous avons relevé au moins deux ajustements majeurs.

S'agissant des OPEX et des missions intérieures, la LPM a relevé la provision, mais un surcoût net de 400 millions d'euros en 2019 et 200 millions d'euros en 2020 est resté à la charge du seul budget de la défense. Or nous nous étions battus sur l'article 4 de la LPM pour que le surcoût des OPEX soit pris en charge par la solidarité interministérielle. Tel n'a pas été le cas.

Par ailleurs, les deux premières annuités 2019 et 2020 ont donné lieu à des ajustements annuels de la programmation militaire (A2PM) dont l'impact s'établit à 2,1 milliards d'euros jusqu'en 2025. Ce n'est pas anormal en soi. Ces ajustements concernent des programmes à effets majeurs (PEM) prioritaires dans le spatial, le numérique ainsi que la marine (800 millions d'euros de provision) pour les études de la propulsion nucléaire du futur porte-avions de nouvelle génération, l'amélioration de la vie militaire (240 millions d'euros).

Le chef d'état-major des armées (CEMA) avait indiqué lors de son audition de la semaine dernière que l'actualisation, limitée à un milliard d'euros, serait « modeste » au regard de l'enveloppe globale de la LPM : mais c'est le chiffre pour la seule année 2021.

La communication sur une actualisation limitée à un milliard d'euros est donc très largement partielle : si l'on totalise tous les ajustements 2019, 2020 et 2021, le vrai coût s'établit à 3,1 milliards d'euros.

Pour être complet, il faut en outre y ajouter tous les autres surcoûts. Ils seront détaillés dans le rapport :

- Barkhane, dont l'annonce du retrait rebat les cartes budgétaires et stratégiques ;

- les dépenses différées de la crise de la COVID-19 pour 1,1 milliard d'euros de retards de facturation et d'arrêt de chantiers d'infrastructure ;

- l'estimation du reste à charge de la cession des Rafale d'occasion à la Grèce et à la Croatie demeure délicate, mais sans doute de l'ordre du milliard d'euros. Nous nous réjouissons bien sûr de ces contrats, mais il est évident que lorsqu'on vend au prix de l'occasion et que l'on rachète au prix du neuf, il y a un différentiel. J'ajoute qu'il faudrait instituer un retour au budget de la défense de l'intégralité du produit de cession à l'export de matériels d'occasion à l'instar de ce que prévoit la LPM pour les cessions immobilières ;

- la commande supplémentaire d'une 3ème frégate de défense et d'intervention (FDI), non prévue en LPM (une FDI coûte entre 750 millions d'euros et 1 milliard d'euros) ;

- les autres dépenses de soutien et d'imprévus (450 millions d'euros) dont par exemple la réparation du SNA Perle - qui du reste est magnifiquement remis à l'eau - et le financement du « Ségur de la santé ».

Au total, nous avons délimité un périmètre de 8,6 milliards d'euros d'actualisation. Ce montant suffit à démontrer l'absolue nécessité de procéder à une véritable actualisation législative. Il ne s'agit pas nécessairement de dépenses supplémentaires, mais de priorités qui impliquent par ailleurs des économies ou des reports qui mériteraient d'être arbitrés dans le cadre d'une discussion devant le Parlement.

J'ai toujours dit qu'une loi d'actualisation n'était pas statique. Si on lance de nouvelles dépenses, pas de problème, mais il faut dire où on en enlève. C'est un choix qui revient à l'Exécutif pour la décision et au Parlement pour le contrôle.

Je passe la parole à mon co-rapporteur Jean-Marc Todeschini pour la suite de nos constats et recommandations.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion