Chers collègues, je souhaite également remercier les rapporteurs pour avis pour le travail accompli. Nous avons été placés dans une situation où le Sénat n'est pas respecté. Le Gouvernement fait peu de cas du Parlement alors que nous sommes pratiquement tous en soutien de la ministre des armées. Je ne peux que regretter que cette tentative de ne pas actualiser la LPM par une loi et de passer par un débat se résume à un vote sur un bilan pour les prochaines élections.
Ne pas appliquer l'article 7 de la LPM, qui prévoit explicitement une actualisation en 2021, est une faute car la Nation s'est engagée dans un effort contributif aux armées très important d'ici 2025. Le financement de certains projets, dont par exemple le choix de la propulsion nucléaire pour le futur porte-avions, nous engage sur plusieurs générations.
Le désengagement de Barkhane, annoncé il y a quelques jours par le Président de la République, sans consultation du Parlement, celui-là même qui est appelé à approuver tout engagement extérieur de plus de 4 mois, justifie encore plus la nécessité de débattre des objectifs de cette LPM. Il ne s'agit pas seulement d'une question purement budgétaire, mais de la stratégie et des objectifs que nous assignons à nos forces armées. Certes, je l'avais déjà exprimé publiquement, le retrait de Barkhane était un jour inéluctable mais fallait-il une telle précipitation sans avoir consulté nos partenaires au préalable ? La reconfiguration de notre intervention au Sahel mérite que le Parlement soit consulté sur ce point.
Pour reprendre le fil du périmètre budgétaire d'actualisation que nous a présenté notre président, je voudrais apporter plusieurs précisions d'abord sur certains surcoûts puis, par voie de conséquences puisque le Gouvernement raisonne à enveloppe budgétaire constante, sur les renoncements par rapport aux objectifs de 2025.
S'agissant en premier lieu des surcoûts, nos travaux mettent en évidence deux risques financiers majeurs sur la trajectoire de la LPM, à savoir les OPEX et l'export d'armements.
Le désengagement de Barkhane est un processus qui ne peut être que progressif aussi bien sur le plan opérationnel que sur le plan budgétaire. On peut escompter une diminution en sifflet jusqu'à la fin de la LPM mais la ministre des armées a rappelé que la fin de Barkhane ne signifiait pas la fin de l'engagement au Sahel.
S'agissant du soutien aux exportations, nous rencontrons deux difficultés : d'une part celle de la cession de matériels d'occasion qui sont prélevés sur le parc existant, qu'il faut rééquiper en pièces détachées pour l'export, et qu'il faut remplacer par des appareils neufs pour atteindre le niveau du parc matériel voulu en 2025 ; la seconde difficulté budgétaire est celle de l'accélération de certaines commandes de matériels neufs - les Caracal et la frégate de défense et d'intervention supplémentaires - pour soutenir le plan de charge des entreprises de notre base industrielle et technologique de défense. Dans les deux cas, cet effort contribue à la pérennité et à l'autonomie stratégique de notre industrie de défense. Mais il faut être conscient des limites d'un tel modèle qui affaiblit les capacités opérationnelles des forces et ponctionne le budget de la défense au détriment d'autres programmes.
L'estimation du coût de cession des Rafale d'occasion à la Grèce (12) et à la Croatie (12) demeure délicate. L'absence de données communiquées par le ministère des armées ne doit pas pour autant conduire à faire l'impasse sur un ajustement budgétaire majeur de la présente LPM. Deux éléments doivent être pris en considération : d'une part le reste à charge entre le prix de cession des appareils d'occasion et le prix d'achat des appareils correspondant neufs ; d'autre part le coût du « recomplètement » en pièces des appareils cédés. Sur le premier coût, nous disposons d'une estimation commune avec la commission des finances de l'ordre de 600 millions d'euros. Le second coût est évalué à 180 millions d'euros. Compte tenu du bouclage de l'ensemble de l'opération d'export à la Grèce dans le courant de la présente LPM, ce coût global est estimé à 780 millions d'euros auquel s'ajoute le coût prévisible de 180 millions d'euros pour l'export Croatie - les 12 Rafale prélevés sur le parc devant être livrés en 2024 et 2025 ; en revanche la commande des Rafale neufs de remplacement devrait s'imputer sur la LPM suivante - , soit un total de 960 millions d'euros d'ajustement sur la LPM.
Pour soutenir le plan de charge de Naval Group sur ses chantiers de Lorient, la commande supplémentaire d'une 3ème frégate de défense et d'intervention (FDI), non prévue en LPM, a été passée en mars 2021 pour une livraison en 2025. La question de l'actualisation serait réglée si, et nous l'espérons, cette frégate rencontrait un succès à l'export.
J'en viens maintenant aux renoncements qu'implique cette actualisation. L'absence d'une véritable transparence sur les arbitrages défavorables oblige à procéder par déduction pour identifier les retards ou reports de livraisons au-delà de 2025. Ils sont inévitables si on raisonne à enveloppe constante.
Le report à la LPM suivante est d'ores et déjà acté pour plusieurs programmes : le système de lutte anti-mines futur (SLAM-F), le futur bâtiment hydrographique (CHOF), le système de drones tactiques et le remplacement des poids lourds 4/6 tonnes. Cette liste n'étant à ce stade pas limitative, d'autres programmes pourraient aussi souffrir d'arbitrages défavorables.
D'autres renoncements sur la cible du parc des matériels en 2025 sont à déplorer avec des points de vigilance à signaler :
- une réduction capacitaire dans le parc des Rafale de l'armée de l'air et de l'espace pour l'heure sans solution - le chef d'état-major des armées l'a dit - (117 Rafale en service au lieu de 129), ou au prix d'un surcoût d'entretien et de maintien en conditions opérationnelles du parc de Rafale et de Mirage 2000 ;
- l'ambition d'une LPM « à hauteur d'homme » est remise en cause par les retards de livraison sur les véhicules terrestres (blindés légers et forces spéciales) ;
- un déficit préoccupant de médecins au service de santé des armées. Le déficit est ainsi passé pour les médecins de premier recours de 97 postes en 2020 à 136 en 2021. Cette évolution est extrêmement préoccupante. Ceci conduit à concentrer sur les mêmes personnels la charge de projection du service. Cette sur-sollicitation du personnel a des conséquences néfastes sur la fidélisation des professionnels de santé militaires.