Pour poursuivre le débat sur la place de la région, qui représente une préoccupation importante, je rappellerai que notre rapport propose de confier l'élaboration d'un programme d'évaluation à la CTAP. Ce programme ne serait pas imposé par la région mais donnerait lieu à une discussion avec l'État et l'ensemble des collectivités présentes. Cela nous paraît effectivement une idée intéressante.
On pourrait également envisager l'appui d'un conseil scientifique qui réunirait les ressources existantes au sein du territoire régional (les conseils économiques et sociaux régionaux, les universités, etc...). Ce conseil scientifique apporterait un appui méthodologique et pourrait être le garant de la démarche. De son côté, le CTAP définirait le programme d'évaluation et en assurerait le suivi, la région jouant uniquement un rôle de coordination et peut-être d'identification des ressources disponibles. En revanche, elle ne jouerait en aucun cas un rôle d'opérateur. Ces opérateurs pourraient être multiples et inclure notamment des prestataires privés, ce qui supposerait naturellement que la CTAP dispose des moyens, y compris financiers, d'assurer ces évaluations. La CTAP me semble constituer un lieu intéressant en même temps qu'unique, puisque l'État et toutes les collectivités y sont représentés et que son champ de compétence est fortement marqué par cette question de la coopération territoriale.
Madame la présidente, dans votre propos introductif, vous m'avez interrogé sur les suites que pourrait trouver cette réflexion sur l'évaluation partagée. À cet égard, j'attirerai votre attention sur l'un des articles de la loi 4D qui prévoit la possibilité pour les départements et les régions de solliciter les chambres régionales des comptes pour effectuer des évaluations, ces chambres faisant déjà partie du processus d'évaluation mis en oeuvre au niveau national par la Cour des comptes. Un schéma similaire à celui qui permet au parlement de saisir la Cour des comptes serait donc mis en place au niveau régional. Les chambres régionales des comptes disposent effectivement de ressources intéressantes dans ce domaine.
Toutefois, une telle approche pose des questions complexes en matière de moyens et de culture. C'est la raison pour laquelle le projet de loi n'a prévu à ce stade cette possibilité que pour les régions, les départements et non pour le bloc communal. Je pense que les chambres régionales des comptes craignent d'être submergées par les demandes et de ne pas pouvoir y donner suite.
La région semble donc être un périmètre adéquat notamment en ce qui concerne cette fonction de coordination.
Monsieur le sénateur, vous posiez la question des périmètres pertinents pour l'évaluation. Dans notre rapport, nous considérons que ces périmètres ne renvoient pas au découpage institutionnel (circonscriptions régionales, départements, etc...) mais aux territoires pertinents pour l'exercice d'une politique publique. Ces territoires peuvent être extrêmement différents selon la politique évaluée et ne coïncident pas nécessairement avec les découpages administratifs mais doivent plutôt les transcender ou les « mixer ».
Dès lors, un des premiers objets de l'évaluation consiste à déterminer le territoire sur lequel doit s'effectuer l'évaluation. Il peut s'agir du département, notamment pour l'exercice d'un certain nombre de compétences dans le domaine social. Cependant, encore une fois, l'évaluation peut s'exercer sur un périmètre qui s'affranchit des découpages administratifs. L'évaluation doit en outre impliquer tous les acteurs publics concernés, des départements aux communes. L'enjeu lié au périmètre nous paraît ainsi essentiel.
Je reviens maintenant sur les questions de formation et d'acculturation à la problématique de l'évaluation. Cette acculturation doit être mise en oeuvre auprès de deux catégories d'acteurs essentiels, au premier rang desquels se trouvent les élus locaux. Dans les collectivités, ces élus sont souvent peu impliqués dans les processus d'évaluation et sont rarement à l'origine des propositions d'évaluation. Le suivi en est, en outre, très distendu. Au mieux, il est procédé à une restitution des résultats de l'évaluation devant la commission compétente. Dès lors, compte tenu du caractère relativement technocratique de cette démarche, l'évaluation reste pour les élus un objet complexe et lointain qui ne présente pas toujours d'enjeu politique.
Dans ces conditions, les services d'évaluation doivent donc parvenir à travailler avec les élus afin que l'évaluation devienne pour eux un enjeu important. De ce point de vue, le lien avec le processus de décision est essentiel. Les élus ne s'intéresseront à l'évaluation que lorsqu'ils constateront son impact sur la politique menée par la collectivité.
Nous avons constaté dans quelques collectivités (en Bretagne) que les résultats d'une évaluation y étaient présentés en même temps que la délibération qui en tire les conséquences. Ainsi, on ne dissocie pas la présentation de l'évaluation de son impact sur l'action publique. Les vice-présidents présentent donc ces évaluations et évoquent aussitôt après les enseignements qu'ils en tirent.
Cette approche me semble intéressante dans la construction de l'évaluation, mais elle renvoie aussi à une autre difficulté : celle du calendrier de l'évaluation par rapport au calendrier politique. Nous savons qu'au cours d'un mandat, certains moments sont plus favorables que d'autres au lancement d'une évaluation et à la présentation de ses résultats. Cet élément doit être pris en compte, quitte à ce que, dans la conduite de l'évaluation, on mette en place des moyens moins lourds et qu'on aboutisse à une enquête plus synthétique. Le rapport d'évaluation pourra ainsi être publié au moment opportun, lorsqu'il pourra avoir un impact.
Nous avons précédemment rédigé un rapport sur la formation des élus locaux, qui a ensuite trouvé une traduction législative. Nous avons alors constaté que la dimension de l'évaluation était très peu présente dans les formations dispensées aux élus.
La seconde catégorie d'interlocuteurs dont la formation et l'acculturation sont essentielles renvoie aux fonctionnaires de l'État et territoriaux. Vous avez raison de souligner que des formations et une expertise sont d'ores et déjà en place en la matière et qu'elles devront être pérennisées. Cependant, au-delà de la pérennisation de ces ressources, il est important que les écoles de service public (qu'il s'agisse des écoles de l'État ou territoriales) travaillent ensemble sur ce sujet.
Par ailleurs, ces formations et l'expertise acquise en matière d'évaluation doivent également être mises en valeur dans les parcours et reconnues comme des éléments positifs dans la carrière des évaluateurs. C'est toutefois encore très loin d'être le cas aujourd'hui.
Cet enjeu d'acculturation est donc absolument essentiel.