La coopération mise en place avec les 82 maires des deux agglomérations de ma juridiction s'est développée autour de quatre thèmes dont le premier est la collaboration entre les élus et les magistrats du Parquet. Lors d'un dépôt de plainte ou d'une transmission de données d'un élu auprès des policiers ou des gendarmes, les élus pensent que le Procureur de la République est immédiatement informé. Ce n'est pas le cas en raison d'un très grand nombre d'affaires en cours dans les services de police et de gendarmerie. Auparavant, dans mon ressort, certaines plaintes ou doléances formulées par les élus étaient toujours dans les services d'enquête un an après leur dépôt. Les élus pensaient donc à tort que le procureur n'agissait pas, alors qu'inversement, il pensait ne pas recevoir d'informations de la part des élus. Nous avons donc mis en place une boîte mail dédiée aux élus qui n'est lue que par moi-même ou ma procureure adjointe. Elle permet aux élus de nous envoyer ce qu'ils souhaitent, dont les problématiques rencontrées dans leurs communes, les plaintes estimées sensibles, ou encore les procédures dressées par leur police municipale et qui leur paraissent importantes. Nous sommes ainsi informés en temps réel et nous pouvons nous assurer de la suite qui est donnée à ces signalements dans des délais raisonnables, avec une enquête de qualité. Pour exemple, récemment, un maire a été gravement menacé par un individu alcoolisé. Après signalement du maire par le canal indiqué, l'individu a été placé en garde à vue et envoyé en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel.
Je souhaite avoir des relations directes et exclusives avec les élus, afin qu'ils puissent bénéficier d'une liberté totale sur leurs propos, ce qui n'est pas toujours le cas en présence des forces de police ou de gendarmerie. Cette relation directe est, après quelques mois, satisfaisante. J'interviendrai d'ailleurs prochainement directement auprès des élus de l'une des deux agglomérations de ma juridiction, s'agissant notamment du contenu de la boîte mail. Nous avons également nommé deux élus référents pour chacune des agglomérations. Ils disposent des numéros de téléphone portables de ma procureure adjointe et de moi-même, ce qui permet un dialogue en urgence. Enfin, je dispose dorénavant des numéros de téléphone portables de l'ensemble des maires de ma juridiction.
Nous avons également mis en place une formation pour les élus, afin qu'ils puissent connaître notre fonctionnement de manière précise. Deux sessions d'une durée de trois heures ont déjà eu lieu avec des groupes de cinq élus, et deux sessions sont prévues avant les vacances d'été. Un document simple et adapté à notre ressource judiciaire a été préparé pour que chaque maire sache précisément quelle est notre action, qu'il soit informé de l'aide que nous pouvons lui apporter ainsi que des compétences de la justice. Nous sommes ainsi en mesure d'avoir un dialogue très direct, très concret et resserré avec les maires.
Je ne suis pas, par ailleurs, particulièrement attaché aux CLSPD ; j'estime en effet qu'ils ne sont pas très opérationnels. À l'inverse, les relations que nous mettons en place avec tous les élus de nos agglomérations le sont bien davantage. La lutte contre la délinquance et la récidive ne peuvent pas être l'apanage du seul Procureur de la République. Les élus locaux ont un rôle extrêmement important à jouer pour le renseignement et dans la construction des réponses judiciaires à apporter, mais également des actions de prévention à mener avec de réelles évaluations sur leur effectivité.
Ces relations doivent être renforcées mais également être régulières. Les sujets de la justice et de la sécurité doivent s'inscrire dans l'ADN des maires au quotidien, et pas seulement lorsqu'une difficulté apparaît dans leur commune. Ces relations doivent être pérennes et s'établir durablement, des maires vers le procureur, et réciproquement. Une commission de proximité a été mise en place dans chaque agglomération. Elle est composée de cinq maires et d'un fonctionnaire territorial, à la demande des élus eux-mêmes. Elle se réunit tous les deux mois afin d'établir un bilan.
L'information donnée aux maires concernant les événements exceptionnels liés à l'action publique est également importante, comme lors d'une opération menée au petit matin contre les trafics de stupéfiants dans une commune, ou lors d'un homicide dans un conflit de voisinage. Nous publions mensuellement un document dématérialisé intitulé « La dépêche du parquet de Valenciennes » qui récapitule l'ensemble des affaires judiciaires que nous estimons utile de leur exposer, ainsi que « La lettre du parquet de Valenciennes » qui présente chaque trimestre les actions que nous avons pu construire avec différents interlocuteurs publics.
Les outrages, menaces et violences à l'égard des élus doivent faire l'objet d'une garde à vue et d'un déferrement au parquet. Les instructions sont claires et pérennes. Six groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) ont été créés depuis septembre 2020, afin de faire remonter certaines affaires détectées par les polices municipales mais qui n'avaient pas fait l'objet de suivi par le parquet, afin qu'une procédure judiciaire soit mise en place avec efficacité, y compris a posteriori.
Dans les projets et les moyens financiers mis en commun avec les élus en matière de lutte contre la délinquance et la récidive, mon expérience de magistrat du parquet et de Procureur de la République m'a confirmé qu'une véritable réflexion doit être engagée. Un Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) existe, destiné à financer jusqu'à 50 % du montant global des actions de prévention qui sont engagées. Or, lors d'une précédente affectation à Beauvais, j'ai constaté que ce Fonds a servi au financement de pièces de théâtre, ce qui n'est pas, à mon sens, directement lié à la prévention de la délinquance ! À l'inverse, dans le Valenciennois, des professionnels ont été embauchés pour assurer le suivi et l'accompagnement de petits délinquants qui sont, pour la moitié d'entre eux, sous l'emprise de l'alcool et des stupéfiants. L'objectif est de les réintégrer socialement et de leur permettre un suivi de soins, alors que beaucoup ne sont plus assurés par la sécurité sociale et que le délai d'obtention d'une carte de couverture maladie universelle (CMU) est de trois mois. Deux cent vingt professionnels ont été recrutés conjointement par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), grâce au FIPD et à la participation financière des deux communautés d'agglomération de ma juridiction, à hauteur de 25 % du coût d'un équivalent temps plein (ETP). 70 % des 220 délinquants pris ainsi en charge, dont certains par l'insertion dans l'activité économique, n'ont pas récidivé après avoir été soignés de leurs addictions. Le coût de ces réinsertions est calculé à 3 euros par jour, alors qu'une place de prison coûte 100 euros par jour, et un individu sous le contrôle d'un bracelet électronique, 18 euros par jour.
Aujourd'hui, une intelligence doit être instaurée avec les collectivités territoriales pour mettre en place des projets innovants. Dans ma juridiction, des travaux non rémunérés (TNR), qui peuvent être imposés par le seul Procureur de la République en alternative aux poursuites, ont été créés avec la mission locale. Un TNR « formation professionnelle » est également en cours de création avec la région des Hauts-de-France afin de lui donner un véritable contenu qui soit à la fois une peine, mais également une possibilité de réinsertion professionnelle pour lutter contre la récidive. Dernier exemple, le maire de Valenciennes et le président de l'agglomération Valenciennes Métropole a proposé la mise en place d'un observatoire des violences conjugales sur son territoire alors que la problématique y est très présente. J'ai pris contact avec lui afin que ce dispositif soit effectif avant l'été.
Cette collaboration avec les élus est selon moi nécessaire et indispensable, mais en cas d'infraction de leur part, je mènerai à bien mes obligations d'action publique. L'article 43 du code de procédure pénale permet également au procureur général de délocaliser une affaire si un élu de sa juridiction est mis en cause.