Je vous remercie vivement pour votre invitation. Comme vous le savez, le Premier président de la Cour, Pierre Moscovici, ne pouvait être présent pour cette audition traditionnelle sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Il m'a donc demandé de le suppléer et de vous présenter non pas un mais deux rapports : d'une part, le rapport que la Cour des comptes a préparé à la demande du Premier ministre sur la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise. Il a été remis au président de la République et au Premier ministre et rendu public en début de semaine dernière ; d'autre part, le rapport que la Cour réalise chaque année sur la situation et les perspectives des finances publiques prévu par la LOLF dans le cadre de sa mission d'assistance au Parlement, qui a été rendu public hier.
Ces deux rapports sont complémentaires : l'un présente la situation des finances publiques et commente la trajectoire présentée par le gouvernement dans le programme de stabilité envoyé en avril à la Commission européenne ; l'autre, sur la base du constat dressé dans ce premier rapport, propose une stratégie pour assurer durablement la soutenabilité de finances publiques.
Je suis venu accompagné des principaux membres de l'équipe nombreuse de la Cour qui a conduit de manière conjointe tout au long des quatre derniers mois les travaux ayant abouti à ces deux rapports : Michel Houdebine, François Kruger et Martine Latare, qui se sont particulièrement consacrés au rapport en réponse à la demande du Premier ministre, Stéphane Guéné, rapporteur général du RSPFP, ainsi que Jean-Pierre Laboureix, conseiller maître qui en a assuré le contre-rapport.
La demande de l'exécutif d'un rapport sur la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise a été perçue par la Cour comme une grande marque de confiance. La mission a suscité, dès le début, un très vif enthousiasme au sein de la Cour et les équipes se sont rapidement mobilisées pour relever le défi, un défi qui était de taille puisqu'il s'agissait d'apporter, en peu de temps, une contribution que nous espérons utile au débat public sur ce sujet central qu'est la sortie de crise de Covid-19.
La demande du Premier ministre comportait trois volets : l'un sur les finances publiques, un autre sur les modalités de sortie des dispositifs d'urgence mis en place pendant la crise, un troisième enfin sur les réformes structurelles à mettre en oeuvre pour renforcer à l'avenir l'efficience des politiques publiques. Le délai de réalisation initialement accordé à la Cour, qui devait nous conduire à remettre nos premières conclusions début avril, a été prolongé à l'initiative de l'exécutif pour nous permettre de conduire nos travaux dans les meilleures conditions et de lui remettre en même temps ces trois volets.
Pour réaliser ce rapport, les équipes de contrôle se sont appuyées sur les récentes publications de la Cour mais aussi sur des travaux en cours d'instruction. La Cour a également réalisé une quarantaine d'auditions et bénéficié de l'éclairage de responsables politiques, français et européens, de parlementaires, d'économistes de renommée mondiale, mais aussi des présidents des trois grandes associations de collectivités territoriales, de partenaires sociaux et de représentants du monde économique.
Quels sont les principaux messages qui ressortent de ces deux rapports ?
Les deux premiers messages sont principalement détaillés dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques.
Le premier message est que notre pays a abordé la crise sanitaire avec des finances publiques insuffisamment redressées. Ce constat n'est pas nouveau. La Cour l'avait déjà souligné dans son rapport de l'année dernière. Nous avons souhaité conforter notre analyse en présentant, dans le premier chapitre du RSPFP, l'évolution des finances publiques au cours des deux décennies qui ont précédé la crise : entre 2000 et 2019, notre pays a connu 15 exercices qui se sont clôturés par un déficit public supérieur à 3 points de PIB. Sous l'effet de ces déficits récurrents, le niveau de la dette publique a augmenté de près de 40 points de PIB, passant d'un peu moins de 60 points de PIB en 2000 à 96,7 points de PIB en 2019.
S'il est incontestable - comme l'a montré la sortie de la procédure de déficit excessif -, le redressement de nos finances publiques après les crises de 2008 et 2010 a été moins important que chez nos partenaires européens. Ainsi, le solde public s'est amélioré sensiblement entre 2010 et 2019, de près de 4 points de PIB, mais moins que la zone euro ou que l'Allemagne (près de 6 points de PIB).
En conséquence, alors que le taux d'endettement public de la France était proche de celui de l'Allemagne et de la zone euro avant la crise de 2008, il se situe maintenant 40 points de PIB au-dessus de celui de l'Allemagne et 15 points au-dessus de celui de la zone euro.
Cette trajectoire de déficit et de dette en décalage avec celle de nos principaux partenaires européens tient beaucoup à la dynamique de la dépense publique. Même si celle-ci a globalement ralenti sur les 20 dernières années, sa croissance a été en moyenne plus élevée que celle de l'activité économique, conduisant à une hausse du ratio des dépenses sur PIB de près de 4 points et plaçant la France près de 9 points de PIB au-dessus du niveau de l'Union européenne.
Ce sont principalement les dépenses de protection sociale qui ont poussé les dépenses à la hausse : ainsi, entre 2000 et 2019, elles expliquent 80 % de l'augmentation des dépenses, lorsque celles-ci sont calculées par habitant.
Dans le même temps, les recettes ont augmenté mais moins que les dépenses et leur dynamique a souvent été pro-cyclique : nous avons eu tendance à accroître les impôts en bas de cycle, au risque de freiner la croissance, et à les diminuer en haut de cycle, en augmentant les déficits à un moment où, au contraire, il faudrait retrouver des marges de manoeuvre.
Ainsi, après deux décennies de déséquilibres financiers, la France était avec l'Espagne en 2019, le seul pays de la zone euro qui affichait un déficit primaire. Fin 2019, sa dette approchait le seuil de 100 % du PIB et son déficit public était supérieur à 3 %, une situation bien moins favorable que la majorité des autres États membres de la zone euro.
Le deuxième message est que, sans surprise, la France sortira de la crise avec des niveaux de déficit et de dette publics encore plus élevés.
En 2020, le déficit public a atteint 9,2 points de PIB, soit le niveau le plus élevé de l'après-guerre.
Ce déficit massif résulte d'une forte contraction des recettes du fait du recul brutal du PIB en 2020, de près de 8 %.
Il résulte également, et c'est une différence notable par rapport à la crise de 2009, d'une hausse des dépenses sous l'effet des mesures d'urgence et, dans une moindre mesure, des premiers décaissements du plan de relance.
Au total, la dette publique a augmenté de près de 20 points de PIB par rapport à 2019, pour s'établir à un niveau proche de 117 points de PIB.
Les mesures de soutien à l'économie, dont les principales sont l'indemnisation de l'activité partielle, le fonds de solidarité et le surcoût en termes de dépenses de santé liées au covid, ont ainsi totalisé plus de 70 milliards d'euros en 2020. Hors mesure de soutien, la dépense publique a progressé de 1,5 % en valeur, soit un rythme comparable à la situation d'avant crise, malgré le tassement de la dépense locale, la baisse des charges d'intérêt et les effets induits à la baisse sur certaines dépenses.
En 2021, malgré le rebond de l'activité économique, le déficit serait toujours élevé, à 9,4 % du PIB selon les prévisions du projet de loi de finances rectificative déposé le 2 juin. La croissance pourrait atteindre 5 % en 2021, prévision jugée réaliste par le Haut Conseil des finances publiques.
Les prévisions publiées par la Banque de France sont venues conforter ce jugement avec une croissance attendue à 5,75 % en 2021. Pour autant, l'activité économique resterait en 2021 plus de 3 % inférieure à son niveau de 2019. Cette perte d'activité est similaire à celle attendue pour la zone euro et plus faible que celles attendues pour l'Espagne et l'Italie mais supérieure à celle attendue pour l'Allemagne.
Le rebond de l'activité économique conduirait à un ressaut partiel des recettes, freiné cependant par des baisses importantes de prélèvements obligatoires : 15 milliards d'euros de baisses de prélèvements, dont 10 milliards pour la baisse des impôts de production du plan de relance, viendraient en effet réduire les recettes.
Les dépenses seraient en hausse de 3,6 %, notamment sous l'effet de près de 70 milliards d'euros de dépenses de soutien et 30 milliards d'euros de dépenses de relance. Hors dépenses de soutien et de relance, elles resteraient dynamiques à + 2,3 % en volume. Parmi ces dernières, on peut relever l'impact notable des mesures de revalorisation salariale dans le cadre du Ségur de la santé qui viendraient, avec les augmentations mises en place en 2020 et 2021, augmenter les dépenses de manière pérenne de près de 8 milliards d'euros.
La Cour estime que le déficit structurel, c'est-à-dire celui qui n'est pas expliqué par la conjoncture économique, se situerait autour de 4,5 points de PIB en 2021 - une fois retiré l'impact des mesures de soutien à l'économie qui ont vocation à s'éteindre en 2022 - contre 2,5 points de PIB en 2019. Il s'est donc considérablement dégradé. C'est la conséquence des mesures pérennes qui viennent peser, de manière durable, sur le solde public. Il s'agit principalement de la poursuite des baisses de prélèvements (taxe d'habitation, impôts de production, impôts sur les sociétés) et des mesures du Ségur de la santé. C'est la conséquence également des effets négatifs durables de la crise sur l'activité et la situation du marché du travail.
Le troisième message de la Cour est que la crise aura un impact durable sur la trajectoire de nos finances publiques. Comme elle l'avait fait il y a un an dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour s'est attachée dans son rapport sur la stratégie de sortie de crise à éclairer les évolutions susceptibles d'intervenir dans la décennie à venir, en s'appuyant sur des scénarios à vocation illustrative.
Nous avons, cette fois encore, retenu trois scénarios en fonction du rebond de l'activité après la crise et des perspectives de croissance à moyen terme : un scénario de rattrapage où la France récupèrerait à la fois la production d'avant crise et son rythme de croissance potentielle antérieure à la crise de 1,25 % par an, un scénario de perte limitée où la perte de production due à la crise n'est pas récupérée mais où nous retrouvons le rythme de croissance d'avant crise ; enfin un scénario de faiblesse persistante où la crise affecte à la fois nos capacités de production et le rythme de croissance.
Quel que soit le scénario retenu, l'enseignement est le même : le retour de la croissance de l'économie française ne permettra pas à lui seul d'infléchir durablement notre trajectoire de dette publique. Si nous ne faisons pas d'effort de consolidation des finances publiques, la dette restera sur une trajectoire d'augmentation.
Ce constat ressort également de l'analyse que la Cour a faite de la trajectoire à moyen terme du programme de stabilité envoyé à la Commission européenne en avril dernier : sous l'hypothèse d'un rebond marqué de l'activité économique en 2021 et 2022, la dette pourrait refluer à partir de 2027, sous l'effet d'un ajustement structurel constant et modéré de 0,3 point de PIB chaque année entre 2023 et 2027 qui permet de faire passer le solde structurel de 4 ½ points à 2,8 points de PIB en 2027.
Malgré cet effort d'ajustement programmé, la trajectoire d'amélioration des finances publiques du programme de stabilité de la France est en décalage avec celle prévue par la plupart de nos partenaires européens. Ainsi, en 2024, qui correspond à l'horizon minimal pour les programmes de stabilité, la France aurait le déficit le plus élevé des principaux pays de la zone euro et sa dette serait globalement stable à cet horizon à un peu moins de 120 points de PIB, alors que celle des autres pays européens sont prévues en baisse.
Pour assurer la soutenabilité de nos finances publiques dans la durée, et c'est son quatrième message, la Cour propose, dans son rapport au Premier ministre, une stratégie qui allie renforcement de la croissance et réduction progressive du déficit public.
La croissance économique est en effet la première condition pour renouer avec une trajectoire soutenable.
À cette fin, nous proposons de poursuivre quatre objectifs complémentaires.
Le premier consiste à concentrer l'effort d'investissement public sur l'innovation et la recherche, l'industrie et les activités à forte valeur ajoutée, ainsi que sur le développement des compétences. Comme nous l'avions évoqué dans le rapport sur les aides à l'innovation réalisé à la demande de votre commission, nous recommandons en particulier d'accroître les synergies entre la recherche publique, la recherche privée et les entreprises, de favoriser les innovations de rupture et de soutenir notre industrie qui est porteuse d'importants gains de productivité. Nous pensons d'ailleurs à cet égard que la période est propice à un renouveau de la politique industrielle trop longtemps délaissée.
Nous proposons aussi de soutenir la transition écologique pour favoriser une croissance plus durable. La Cour recommande à cet égard de mieux définir les investissements prioritaires « verts », par exemple dans le domaine des transports ou de l'énergie. Notre rapport appelle aussi à mieux tirer parti des effets amplificateurs de la transition écologique, notamment en termes d'emplois, et à accompagner les mutations.
Le troisième objectif est d'accélérer la transformation numérique. Cet effort implique en priorité d'accompagner l'essor de technologies numériques performantes, inclusives et sécurisées et d'amplifier l'adaptation numérique des entreprises et des services publics. S'agissant du secteur public, la mobilisation du numérique dans la santé et l'éducation constituent à nos yeux deux axes prioritaires.
Enfin, et c'est le quatrième objectif, il faut renforcer nos capacités de résilience. L'époque récente a en effet été marquée par une succession de chocs de différente nature - financiers, terroristes, épidémies - qui ont tous eu un impact majeur sur la situation économique et sociale de notre pays, sur ses finances publiques, et bien souvent des répercussions géopolitiques. L'absence d'anticipation de ces chocs a un coût qui peut être élevé et durable : la pandémie de Covid-19 en offre un exemple parlant. Il faut donc, selon nous, mieux hiérarchiser, évaluer et prévenir les risques de toute nature, et se préparer plus activement à la gestion de crise.
Orientée sur ces quatre priorités, la stratégie de croissance devra s'accompagner d'une feuille de route pour réduire progressivement le déficit public et engager la décrue de la dette au plus tard à compter de 2027.
Cette consolidation progressive pourrait débuter selon nous en 2023, une fois retrouvé le niveau d'activité économique d'avant-crise, sous l'hypothèse d'une fin de la crise sanitaire d'ici la fin de cette année. Qu'il n'y ait pas à cet égard de contresens : nous ne proposons pas de ne rien faire d'ici là ! Bien au contraire : 2021 et 2022 doivent être mises à profit pour sortir progressivement des principales mesures de soutien au revenu des ménages et des entreprises.
Ces mesures, qu'il s'agisse par exemple du fonds de solidarité, des allègements de charge ou du soutien à l'activité partielle, étaient indispensables. Tous nos partenaires en ont mis en place de comparables pour limiter l'impact de la crise sur leurs économies et sur les ménages.
Elles ont pleinement rempli leurs objectifs, mais leur prolongation au-delà du nécessaire augmenterait les risques de fraudes, déjà avérés s'agissant de l'activité partielle, et présenterait un coût important. Les récentes annonces du Gouvernement quant au repli progressif de certaines d'entre elles vont dans le sens des recommandations que formule la Cour. Nous proposons ainsi d'évoluer vers des dispositifs plus sélectifs, axés sur la solvabilité des entreprises et le renforcement des fonds propres, notamment en faveur des PME les plus endettées.
Concernant la trajectoire de finances publiques à retenir à partir de 2023, il nous semble prématuré d'en fixer les paramètres compte tenu du niveau élevé d'incertitudes. Mais nous fournissons ce qui, selon nous, devrait en être les principes directeurs.
Cette trajectoire devrait d'abord être inscrite dans une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Cette dernière, qui pourrait être votée à l'automne 2022 pour une mise en oeuvre à compter de 2023, porterait sur l'ensemble de la législature.
La réduction du déficit public devrait ensuite porter de manière privilégiée sur la dépense publique. L'analyse des expériences des pays de l'OCDE met en effet en évidence une plus grande efficacité de l'effort ciblé de maîtrise de la dépense pour réduire l'endettement public par rapport aux baisses généralisées - aux coups de rabot - ou aux hausses de prélèvements obligatoires. Cette dernière option apparaît, de toute façon, peu souhaitable pour notre pays, qui présente le taux de prélèvements le plus élevé de l'Union européenne.
L'effort en dépense devrait être suffisamment ambitieux pour permettre un infléchissement rapide de la dette, au plus tard à compter de 2027, afin de ne pas s'écarter des trajectoires retenues par nos partenaires.
Nous avons ainsi réalisé différentes projections d'évolution du solde public et de la dette publique à horizon 2030, sur la base du scénario dit de « perte limitée », un peu moins favorable que celui retenu par le gouvernement pour son programme de stabilité. La conclusion est claire : plus le rythme de progression des dépenses publiques est contenu, plus forte est l'assurance de d'inverser la courbe de l'endettement avant 2027.
En même temps, l'ajustement doit aussi permettre la poursuite de la croissance, dans le cadre d'une action coordonnée au sein de la zone euro pour favoriser la reprise de l'activité. C'est pourquoi nous privilégions un rythme d'effort structurel d'un niveau raisonnable mais constant dans la durée.
À cette fin, la Cour formule, dans la dernière partie du rapport d'audit pour le Premier ministre, une série de pistes de travail, en quelque sorte une « boîte à outils » pour maîtriser la dépense publique et renforcer l'efficacité et l'efficience de nos politiques.
Notre niveau de dépenses publiques, nous le savons, est l'un des plus élevés au monde. Avant même la survenance de la crise, en 2019, il s'élevait à 55,6 % du PIB, près de 9 points de plus que la moyenne de la zone euro, un ensemble de pays qui par bien des aspects nous ressemblent. Cet écart avec la zone euro a quasiment doublé en 20 ans. Cette divergence est apparue sans que les indicateurs économiques, sociaux, ou de développement humain ne permettent de l'expliquer, pas plus d'ailleurs que l'évolution de la qualité et de l'efficacité de nos politiques et de nos services publics comparativement à nos voisins. Ce phénomène affecte notamment les secteurs de la protection sociale et de la santé. Nous invitons donc à nouveau à engager sans délai des revues de dépenses, pour identifier les leviers d'une meilleure équité et d'une meilleure efficacité des dépenses publiques.
Sans sous-estimer l'importance des autres postes de dépenses, la Cour a choisi d'analyser dans ce rapport cinq secteurs clés de la dépense publique.
Le premier d'entre eux touche au système des retraites. Compte tenu notamment des évolutions démographiques et de l'allongement de la durée de la vie, une reprise de la réforme engagée avant la crise ou un ajustement des paramètres d'ouverture des droits ou de calcul de la pension devront être envisagés et débattus sans tarder. L'enjeu est à la fois de maîtriser l'évolution des dépenses et d'en accroître l'équité mais aussi de favoriser le dynamisme de la population active. Cela devra se faire après une concertation approfondie et avec un calendrier de mise en oeuvre suffisamment étalé pour en faciliter l'acceptation et permettre les adaptations nécessaires dans les entreprises.
Renforcer l'efficience et la qualité de notre système de santé constitue une priorité. Cela nécessite de coordonner plus étroitement les acteurs de ville et hospitaliers, avec pour ambition de renforcer la qualité et la sécurité des soins, et de remettre en place une régulation effective des dépenses d'assurance maladie par l'Ondam pour en stabiliser leur part dans le PIB et rééquilibrer l'assurance maladie.
La troisième priorité concerne la politique de l'emploi. Il s'agit ici d'adapter les dispositifs d'indemnisation du chômage et d'aides à l'emploi à l'évolution des cycles économiques, mais aussi de renforcer l'insertion durable dans l'emploi des publics fragiles et la prévention du chômage de longue durée, particulièrement après la crise que nous venons de traverser.
Les minimas sociaux constituent un quatrième domaine où les défis sont majeurs. L'enjeu est d'assurer une plus grande efficacité et équité de ces dispositifs, en renforçant l'incitation à l'activité, mais aussi de veiller à leur soutenabilité et à leur contrôle, en procédant à leur harmonisation et à leur simplification.
Enfin, la Cour appelle à simplifier et territorialiser davantage les instruments de la politique du logement. Les interventions publiques devraient cibler en priorité les ménages les plus défavorisés. Et les dispositifs, notamment fiscaux, dont l'efficience et l'efficacité apparaissent insuffisantes devraient être supprimés.
Ces réformes doivent nous permettre tout à la fois de mieux soutenir la croissance, de contribuer à résorber les fractures sociales et territoriales et d'infléchir le rythme de progression des dépenses publiques, pour conserver nos marges de manoeuvre. Pour qu'elles portent pleinement leurs fruits, elles doivent être mises en oeuvre par des administrations plus stratèges et recentrées sur leur vocation première.
C'est pourquoi notre rapport d'audit se conclut par des recommandations pour rénover le secteur public et l'aider à mieux accomplir les missions qu'attendent de lui les citoyens. Elles recouvrent quatre axes : une revue des missions de l'ensemble des acteurs publics, pour supprimer les missions que la sphère publique n'a plus vocation à exercer, donner toute sa portée au principe de subsidiarité et mettre fin aux doublons administratifs, notamment au niveau local ; une démarche de contractualisation pluriannuelle sur les objectifs et les moyens, y compris vis-à-vis des collectivités territoriales, en contrepartie d'une plus grande liberté confiée aux gestionnaires publics ; la simplification des organisations publiques, des procédures administratives et des normes. Enfin, l'évaluation de politiques publiques, et le renforcement de la lutte contre la fraude.
La Cour est prête à prendre toute sa part dans ces chantiers, et entend notamment devenir l'acteur majeur dans la conduite de l'évaluation des politiques publiques en France, mission que lui confie la Constitution.
Revue des missions, contractualisation, simplification, transparence : toutes ces mesures peuvent donner une impression de déjà-vu, mais rarement un sentiment de déjà fait. Ces outils ont pu être partiellement mobilisés par le passé, notre rapport le rappelle, mais sans que les résultats attendus soient toujours au rendez-vous, alors qu'ils constituent, s'ils sont appliqués avec toute la détermination nécessaire, des leviers indispensables de transformation de l'ensemble du secteur public. Nous devons cette transformation à nos concitoyens, qui attendent que l'argent de leurs impôts soit employé plus efficacement.
Le choc massif subi par nos finances publiques du fait de la crise doit aujourd'hui nous inviter à rénover le cadre de gouvernance dans lequel elles évoluent, à la fois au niveau européen et national. C'est le cinquième message de la Cour
Les règles budgétaires européennes apparaissent en effet inadaptées au contexte de sortie de crise et la Cour recommande de les réformer rapidement, dans le sillage des réflexions initiées par la Commission européenne à la veille de l'épidémie. Ces évolutions permettraient de rendre le Pacte de stabilité et de croissance plus simple, en privilégiant une norme de dépenses, moins pro-cyclique et plus adaptée à la situation de chaque pays. Nous espérons également qu'une réforme permettra de renforcer son appropriation par les États membres, dont la France, notamment grâce à un rôle accru des institutions budgétaires indépendantes, comme le Haut Conseil des finances publiques. La présidence française de l'Union européenne pourrait constituer une étape importante pour faire avancer ce chantier.
Pour accompagner les efforts à réaliser, le cadre national a également besoin d'être rénové. Nous avons publié en novembre dernier un important rapport sur ce sujet, qui détaillait nos recommandations. J'en rappelle les principaux objectifs, qui n'ont rien perdu de leur actualité : renforcer la programmation pluriannuelle, étendre le champ des lois financières, accroître la surveillance de la trajectoire par le Haut Conseil des finances publiques en élargissant son mandat, et améliorer l'appropriation des questions de soutenabilité, notamment par un débat au Parlement sur la dette publique.
Certaines des orientations proposées par la Cour se retrouvent, et nous en sommes très heureux, dans les deux propositions de loi organique déposés récemment à l'Assemblée nationale.
Je terminerai cette présentation en évoquant le dernier message de la Cour, celui relatif à la dette. Vous l'aurez compris, pour la Cour, la question de la soutenabilité de la dette est centrale dans les deux rapports que nous rendons publics.
La dette publique a fortement augmenté au cours des deux dernières décennies, à l'occasion des deux crises que la France a traversées, et, jusqu'à ce jour, sans jamais baisser durablement. Elle est principalement portée par l'État qui concentre 80 % la dette publique, sans pour autant que cet endettement massif ait contribué à accroître l'actif de l'État, comme le montre l'analyse de la situation financière de l'État à laquelle nous avons procédé pour la première fois à partir des données de la comptabilité générale dans l'annexe du RSPFP dont je vous recommande la lecture.
Nous n'avons pas un discours alarmiste : des déficits temporaires, même importants, n'affectent pas nécessairement la soutenabilité des finances publiques ; le contexte de taux d'intérêt historiquement bas tend à renforcer à court terme la viabilité de la trajectoire des finances publiques ; enfin la France n'a pas rencontré jusqu'ici de difficultés pour financer sa dette.
Nous avons un discours prudent et réaliste. Les analyses de soutenabilité menées notamment par la Commission européenne classe la France parmi les pays pour lesquelles il existe des risques de tension sur la dette à court et moyen terme. Nous devons y être attentifs.
Certains pensent que la progression de la dette et les niveaux élevés qu'elle atteint dans certains pays ne constituent pas un problème, surtout en période de taux d'intérêt bas, voire négatifs, et même que l'on pourrait tout simplement annuler la dette de crise, d'autant qu'elle a été largement rachetée par la Banque centrale européenne.
Ce n'est pas la position de la Cour, car une dette doit toujours être remboursée.
Il y va de la crédibilité de notre pays. Au-delà de cette question de principe, nous estimons qu'une trajectoire de dette qui continuerait de croître présenterait des risques que la France ne devrait pas prendre.
Pour le moment, le placement des titres de dette s'est fait de manière globalement fluide, facilité par le programme d'achats massifs de titres publics par la BCE, le contexte de taux d'intérêt bas et une politique avisée de l'Agence France Trésor sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir à la demande de votre Commission.
Mais ces programmes d'achat ont vocation à s'éteindre, même si nous ne savons pas encore quand. Le contexte de taux bas n'est pas non plus une donnée intangible, notamment si la croissance économique repart de manière dynamique ou si la confiance des investisseurs se dégrade. Celle-ci n'est en effet jamais acquise et peut se perdre brutalement quand la trajectoire d'un pays diverge de celle de ses partenaires et que les observateurs doutent de sa capacité à faire face à ses échéances financières. Pour un pays, perdre la confiance des investisseurs, c'est risquer de perdre sa souveraineté avec des ajustements sous contrainte des recettes et des dépenses.
La sortie de crise sanitaire s'accompagne également d'une réflexion sur le traitement de ce qu'on appelle la « dette Covid », c'est-à-dire celle provoqué par la crise sanitaire. Les interrogations portent principalement sur l'opportunité ou non de cantonner cette dette. C'est une question posée explicitement à la Cour par le Premier ministre. Pour y répondre, il faudrait d'abord être en mesure d'identifier la dette de crise. C'est un exercice complexe qui reposerait nécessairement sur des conventions parfois contestables : faut-il se limiter au surcroît de dette de 2020 ? Prendre en compte l'année 2021 ? Faut-il se limiter à la seule dette supplémentaire de l'État ou prendre en compte celles d'autres administrations publiques qui sortiront de la crise avec une dette très fortement alourdie ? Je pense notamment à celle de l'Unédic qui devrait atteindre 70 milliards d'euros en fin d'année.
Sans nier l'intérêt pédagogique d'un cantonnement, en ce qu'il ferait clairement apparaître que la dette « Covid » fait partie des engagements financiers que la France devra honorer, la Cour souligne que le seul cantonnement ne permettrait pas de modifier la trajectoire de dette publique : qu'elle soit ou non traitée à part, la dette ne se réduira pas toute seule.
Voilà, monsieur le Président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, j'en ai terminé avec la présentation de ces deux rapports.
Avant de venir aux échanges et de répondre à vos questions, je souhaiterais insister sur l'esprit dans lequel nous avons conçu et rédigé ces rapports. Il ne s'agit pas d'être alarmiste sur ce qui attend notre pays à la sortie de la crise, mais d'être lucide, car c'est ce qui permet de prendre de bonnes décisions.
Pour faire face à cette situation inédite, la Cour recommande une stratégie de finances publiques qui allie renforcement de la croissance et réduction progressive du déficit public. Elle estime ainsi que les finances publiques devraient être mobilisées pour renforcer la croissance potentielle dans la durée, en concentrant l'effort d'investissement public, en soutenant les transitions écologique et numérique et en renforçant les capacités de résilience.
Parallèlement, la Cour recommande, une fois la crise sanitaire circonscrite et l'activité suffisamment rétablie, d'engager à partir de 2023 une consolidation des finances publiques en modérant la progression des dépenses de manière à permettre une décrue de l'endettement public au plus tard à compter de 2027.
À cette fin, elle propose des réformes clés pour infléchir le rythme et améliorer la qualité de la dépense publique et souligne la nécessité d'une action continue en vue de renforcer leur efficience et d'améliorer la qualité des services rendus aux citoyens.
Je vous remercie de votre écoute et suis à votre disposition pour répondre à vos questions, avec les membres de la Cour qui ont participé à ces travaux.