Intervention de Christian Charpy

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 23 juin 2021 à 9h30
Rapport relatif à la stratégie de finances publiques pour la sortie de crise et rapport relatif à la situation et aux perspectives des finances publiques — Audition de M. Christian Charpy président de la première chambre de la cour des comptes

Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes :

Merci beaucoup pour ces questions. Je vais essayer d'y répondre le plus précisément possible.

Je commencerai par le sujet des recettes et de l'épargne. Vous avez raison, monsieur le Président, nous intervenons peu, dans notre rapport, sur le sujet des recettes. L'idée est que si nous baissons les recettes, nous devrions en retrouver d'autres. Nous avons fondé nos travaux sur une hypothèse de prélèvement constant. Le Parlement et le Gouvernement font leurs choix s'agissant des évolutions de la fiscalité, comme ce fut le cas sur la taxe d'habitation. Il ne nous appartient pas de juger de la qualité de telles mesures, mais plutôt de rappeler que les baisses de recettes rendent plus difficile l'atteinte de l'équilibre des finances publiques si elles ne sont pas compensées par d'autres mesures.

Sur les impôts de production, le Gouvernement a prévu dix milliards d'euros de baisse d'impôts de production. Faut-il aller au-delà ? Il est vrai que le niveau des impôts de production en France est plus élevé que dans d'autres pays comparables. En même temps, je ne suis pas convaincu que nous avons aujourd'hui la marge de manoeuvre suffisante pour poursuivre la baisse des impôts de production. Il faut être prudent en matière de baisses de recettes.

Plusieurs de vos questions ont porté sur la TVA. Le taux réduit de TVA sur la restauration avait été, à l'époque, une revendication constante des professionnels de l'hôtellerie-restauration. Cette baisse ciblée était supposée permettre de soutenir le secteur, d'augmenter la consommation et d'accroître les embauches, mais ses résultats réels restent à préciser. Un bilan de cette mesure était prévu en 2020, mais il a été reporté compte tenu de la conjoncture. Je ne suis pas convaincu de la pertinence de l'outil TVA pour le soutien sectoriel, c'est un levier à utiliser avec prudence.

En réponse à la question de M. Delahaye, je ne pense pas nous n'ayons jamais été dans une situation d'austérité, si l'on définit l'austérité comme la baisse de la dépense publique. Imaginer baisser la dépense publique aujourd'hui, alors que nous n'avons même jamais réussi à en limiter l'augmentation, me paraît peu probable. D'autant que nous avons des facteurs fondamentaux qui alourdissent les besoins de dépense publique : les retraites, la santé et le vieillissement de la population. Ce qu'il faut surtout, c'est limiter le rythme de croissance des dépenses publiques en volume, et stabiliser la part de dépenses publiques rapportée au PIB.

S'agissant des dépenses publiques de résilience, je pense que nos efforts peuvent porter sur plusieurs éléments. D'abord, nous avons découvert, au début de la crise, nos lacunes en matière de cartographie des risques. Il nous faut identifier les risques, notamment sanitaires, et maintenir une vigilance et des moyens de réaction aux crises dans la durée. Ensuite, je pense qu'il faut mieux se préparer à la gestion de crise. Au début de la crise, la France a eu quelques difficultés à prendre la mesure des événements, avant de se redresser et de prendre en charge cette crise. Également, la cyber sécurité me paraît être un sujet massif en même temps qu'un objet essentiel d'investissement. Enfin, je pense qu'il y a des éléments de la chaîne de production que nous avions externalisés, et dont l'absence peut être créatrice de vulnérabilité pour la France en cas de crise. Nous devons engager une réflexion globale sur l'anticipation des crises et leurs effets sur l'économie, les personnes et les finances publiques.

La question de l'agenda budgétaire à l'horizon 2021 et 2022 a également été évoquée. Je pense d'abord qu'il faut réduire les dépenses de crise au niveau nécessaire, mettre en oeuvre les mesures de relance et de soutien à l'économie. Un travail de programmation devra être engagé et cela rejoint l'interrogation du président Raynal ; pour qu'une programmation soit crédible, il faut qu'elle engage politiquement. Ce que nous répétons dans notre rapport, c'est que nous croyons à la nécessité d'une programmation. Plusieurs pays mettent en oeuvre un contrat de gouvernement, et cela fonctionne. Nous n'avons pas souhaité proposer de modification de la Constitution, parce que ce n'est pas notre rôle en tant que juridiction financière, et qu'une révision constitutionnelle prend du temps.

Nous avons toutefois proposé des mesures plus pragmatiques, qui pourraient s'inscrire dans le chantier de réforme de la loi organique relative aux lois de finances. Nous proposons de fixer le contenu des lois de programmation, en intégrant un objectif de dépenses pour l'ensemble des administrations publiques, décliné par secteur. Nous avons également proposé la mise en place d'une réserve de programmation pour faire face aux aléas. Je ne suis pas convaincu, compte tenu du fond constitutionnel de la France, que l'on puisse contraindre le Gouvernement et le Parlement, sous peine d'inconstitutionnalité, à respecter les trajectoires de programmation qu'ils se sont fixés. C'est pour cela que nous privilégions une logique de « réaliser l'objectif ou expliquer l'échec », avec un compteur des écarts qui obligerait le Gouvernement à expliquer pourquoi il pourrait s'écarter d'une loi de programmation. C'est également pour ces raisons que nous n'avons pas proposé de règle d'or, qui nécessiterait en outre une modification constitutionnelle.

Nous portons un regard attentif aux deux propositions de loi organiques déposées à l'Assemblée nationale afin de réformer la loi organique relative aux lois de finances et la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ainsi que la proposition de loi organique déposée au sein de la commission des affaires sociales du Sénat. Tout ce qui permettra de renforcer la cohérence des lois financières, en permettant une meilleure prise en compte des dépenses de sécurité sociale, et de faire advenir une logique d'ensemble intégrant toutes les administrations publiques, me paraît aller dans le bon sens.

Plusieurs questions ont porté sur la dette publique, et notamment celle contractée du fait du Covid. De manière générale, les dettes d'État ne se remboursent pas, elles se roulent. C'est la croissance du PIB qui doit permettre d'en diminuer le poids. Cette règle admet une exception, la caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), dont on espère qu'elle permettra un jour de rembourser l'ensemble de la dette sociale. Il aurait pu être imaginé que l'État reprenne l'ensemble des dettes Covid contractées par les administrations publiques. Nous ne défendons pas une telle position. Toutefois nous soulignons, dans notre rapport, la nécessité de se pencher sur la situation de l'Unédic, qui supporte 70 milliards d'euros de dette, dont 30 milliards d'euros du fait de la crise sanitaire.

S'agissant de la dette de la sécurité sociale, le Gouvernement a préféré l'intégrer aux dettes déjà gérées par la CADES, dont la fin de mission a été repoussée à 2033, pour l'instant. Nous n'étions pourtant pas loin de l'équilibre de la sécurité sociale, dans les années qui ont précédé la crise. Cette perspective est compromise. Il convient de noter que la reprise de dette décidée en 2020 n'a pas été accompagnée d'un plan de retour à l'équilibre pour la CADES, ce qui est une première, et n'est pas normal.

Concernant la BCE et les questions portant sur son intervention pendant la crise. La France a émis 260 milliards d'euros de dette publique en 2020, dont 185 milliards d'euros ont été rachetés par la BCE, ce qui représente près de 70 %. L'Allemagne a émis 250 milliards d'euros de dette, dont 226 milliards d'euros ont été rachetés par la BCE, c'est-à-dire près de 90 %. L'écart entre les deux s'explique par la clé de répartition des achats de la BCE, qui limite son intervention en fonction du PIB des États européens. Pour la dette italienne par exemple, la BCE n'a racheté que 50 % des titres émis.

Heureusement que la BCE était là. Nous avions appris de la crise de 2008 qu'il était nécessaire que la BCE intervienne. Désormais, le problème sera de sortir progressivement dans cette situation qui s'assimile à de la création monétaire. Il faut désormais, au moment opportun, que la BCE réduise ses programmes d'achats massifs de dette. Si la BCE réduit progressivement ses achats, ce qui sera le cas à un moment à un autre, la France doit réduire son flux d'émission de dette. Nous ne sommes pas favorables à l'annulation de la dette publique, même celle détenue par la BCE.

Sur la garantie jeunes, je ne peux pas vous répondre précisément. Ce que nous soutenons néanmoins, c'est que ce qui compte c'est l'accompagnement, particulièrement pour les jeunes. Soutenir financièrement l'accompagnement au retour à l'emploi me paraît judicieux. De ce point de vue-là, la garantie jeunes me semble avoir joué son rôle.

S'agissant de la fusion des minimas sociaux, je ne souhaite pas que l'on fusionne dans un même creuset des choses qui ne relèvent pas des mêmes problématiques. Entre les sujets d''accès à l'emploi des personnes en situation de handicap, en difficulté sociale ou le minimum vieillesse, l'approche ne saurait être identique. Je pense toutefois que nous pouvons gagner en cohérence, notamment au niveau des critères d'attribution et des barèmes, qui restent trop compliqués.

Sur la réforme des impôts sur les revenus du capital, et l'éventualité, évoquée précédemment, d'un élargissement du financement de la sécurité sociale, le financement de la sécurité sociale repose beaucoup moins sur le travail aujourd'hui qu'il ne reposait avant. Il repose désormais essentiellement sur les revenus, avec la CSG, qui représente près de 140 milliards d'euros de recettes pour la sécurité sociale. Je rappellerai également que la TVA n'est plus strictement un impôt de l'État, qui ne récupère plus que 50 % de ses recettes. La sécurité sociale bénéficie de près de 25 % des recettes de la TVA, et le reste bénéficie aux collectivités territoriales. Je rappellerai enfin que les revenus du capital contribuent au financement de la sécurité sociale, via la CSG, ainsi qu'au financement de l'État.

La Cour des comptes ne dit pas qu'il fallait diminuer les dépenses d'assurance maladie en 2020. Nous devions faire face à la crise et nous avons fait ce qu'il fallait. Nous aurons toutefois l'occasion, dans un prochain rapport, de faire un bilan des dépenses de crise. Nous aurons peut-être à cette occasion un regard critique, notamment sur le coût des tests pour l'assurance maladie. En revanche, il ne serait pas soutenable de supporter un surcoût persistant de 14 milliards d'euros, chaque année, sur l'objectif de dépenses de l'assurance maladie. Une fois passé le choc, il faudra retrouver les moyens d'équilibrer l'assurance maladie, je laisse le soin au Gouvernement de trouver la solution. Je sais que c'est un discours qui n'est pas facile à tenir, mais il doit être possible d'accroître l'efficience des dépenses de santé, en renforçant les groupements d'hôpitaux, en améliorant la gestion des stocks de médicaments par exemple.

Enfin, s'agissant de la mobilisation de l'épargne, on peut essayer d'orienter son utilisation, pour l'industrie comme évoqué plus tôt. Faire un impôt pour taxer cette épargne surnuméraire me paraît toutefois difficile voire confiscatoire, surtout que celle-ci peut être motivée par l'incertitude des ménages. Personnellement, je pense que c'est surtout le retour de la confiance qui permettra de remettre l'épargne dans le circuit productif.

Enfin, je pense qu'il y a une petite incompréhension s'agissant des dépenses des services généraux. D'après ce qu'on m'explique, elles auraient diminué de 480 euros par tête entre 2000 et 2019. Certains éléments complémentaires pourront être apportés sur ce sujet.

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