C'est un lieu commun aujourd'hui que d'affirmer que l'appréciation de nos concitoyens sur l'efficacité de notre justice pénale est négative, et dire le contraire reviendrait à se boucher les oreilles. Le problème est de savoir si ce sentiment d'inefficacité, voire de laxisme de la justice pénale, repose sur la réalité. En effet, les chiffres bruts semblent infirmer ce sentiment. S'exprimant récemment au Beauvau de la sécurité, le procureur de la République de Clermont-Ferrand rappelait que, en 2019, 132 000 peines de prison ferme avaient été prononcées par nos juridictions pénales, contre 88 000 seulement en 2010 et 76 000 en 2000. Les juridictions ne prononcent donc pas moins de peines d'incarcération. Et pourtant, la conviction d'une insuffisante répression des atteintes aux personnes et aux biens est aujourd'hui ancrée dans l'esprit du plus grand nombre. Les décisions de justice pénale paraissent souvent être à géométrie variable selon le ressort judiciaire où l'on se trouve, et la mollesse de certaines décisions ne s'explique pas seulement par la nécessité d'individualiser la peine. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il existe un double degré de juridiction permettant au parquet de faire appel des décisions. Mais cette faculté d'appel est, là encore, utilisée de manière diversifiée, trop souvent freinée par l'engorgement de nombreuses chambres des appels correctionnels.
Concernant les violences sur les forces de l'ordre, il faut certes entendre la voix des organisations syndicales des personnels en tenue, mais il faut aussi entendre celles, beaucoup plus modérées, des agents et officiers de police judiciaire (OPJ) qui sont tous les jours au contact de l'autorité judiciaire. Dialoguez avec eux, et vous constaterez rapidement que les affirmations brutales sur la disparition de la confiance entre la police et la justice ne reposent pas sur une réalité quotidienne. Les enquêteurs comprennent bien souvent la logique des décisions qui peuvent paraître insuffisamment sévères. De plus, lorsque l'une d'entre elles est notoirement insuffisante, il existe un dialogue entre les agents et officiers de police et les parquets sur les voies de recours. Oui, pendant un certain nombre d'années, nous avons insuffisamment pris en compte les atteintes et outrages aux représentants de l'ordre, mais les choses ont considérablement évolué aujourd'hui.
De manière générale, la critique principale est l'absence de lisibilité de la justice pénale. Le problème se situe à trois niveaux distincts : d'abord, au niveau du recueil et du traitement des plaintes ; ensuite, au niveau du recours massif par les parquets aux alternatives aux poursuites ; enfin, au niveau de l'écart entre la peine prononcée et la peine réellement exécutée, que le citoyen ne comprend pas.
Les plaintes et signalements sont traités de façon différente selon le service de police ou de gendarmerie auquel vous vous adressez. C'est le problème du plaignant qui, se présentant pour déposer une plainte dans un commissariat ou une brigade de gendarmerie, se voit répondre qu'une main courante suffira. De fait, le choix d'enregistrer une plainte en bonne et due forme ou de se contenter d'une simple main courante échappe au parquet. Je ne force pas le trait : le rapport d'information du 7 juillet 2020 sur les violences faites aux femmes et aux enfants au sein de la famille, publié par la délégation sénatoriale au droit des femmes, pointait que le protocole de novembre 2014, signé entre les ministères de l'intérieur, de la justice et des droits des femmes, qui préconisait contre ce type d'infraction l'abandon de toute main courante et la systématisation d'un procès-verbal de plainte, n'était que très imparfaitement appliqué. Qui plus est, si le parquet est bien destinataire des plaintes, il n'est pas destinataire des mains courantes. Ainsi, la disparité des choix entre enregistrement des plaintes ou simple mention en main courante est la première explication de l'absence de lisibilité de la réponse pénale. L'égalité des citoyens devant la loi passe par l'égalité de traitement des victimes effectuant la démarche de dénonciation d'une infraction pénale dont elles ont eu à pâtir.
La deuxième cause d'incompréhension concerne le recours massif aux alternatives aux poursuites, qui représentent près de 47 % de la réponse pénale sur notre territoire, et sont parfois vidées de toute substance. Certes, le classement sous condition, le travail non rémunéré, l'éloignement de l'auteur de l'infraction et la médiation pénale ont un réel sens. Mais peut-on en dire autant du rappel à la loi ? J'irai même plus loin : qu'est devenu ce rappel à la loi ? J'ai moi-même vécu cette évolution.
Le rappel à la loi est une création prétorienne des magistrats du ministère public, en l'espèce, du procureur général Marc Moinard, qui créa en 1990 les maisons de la justice et du droit (MJD). Dès lors qu'il était délinquant primaire, l'auteur d'une infraction de faible importance y était convoqué. Il y était reçu par un délégué du procureur, qui lui notifiait solennellement le rappel à la loi, après avoir vérifié que le trouble causé par l'infraction avait cessé, notamment par la totale réparation du préjudice causé. Le succès de ces MJD et le caractère pédagogique du rappel à la loi a conduit à sa consécration législative dans le code de procédure pénale, en 1999. Mais très rapidement débordés, on a transféré les rappels à la loi à l'OPJ sans convocation en MJD, dont l'extension a par ailleurs été freinée. Si bien que l'enquêteur se contente aujourd'hui de téléphoner au parquet, et d'indiquer le rappel à la loi par une simple mention au bas de son procès-verbal. N'ayons pas peur des mots : le rappel à la loi par OPJ est devenu une variable d'ajustement de l'évacuation des flux pénaux. Il faut être conscient de cette problématique : nous avons en France plus de 1,3 million d'affaires « poursuivables », c'est-à-dire pour lesquels l'infraction est bien constituée et l'auteur connu, et les parquets sont confrontés à un problème de capacité d'absorption des procédures par leurs juridictions de jugement. Ces rappels à la loi par OPJ, on en a fait des classements sans suite qui ne disaient pas leur nom, et qui nourrissaient des éléments de langage abusivement flatteurs quant au taux de la réponse pénale.
La dernière cause de cette absence de lisibilité est le temps de latence, d'une part, entre le moment de l'infraction et celui du jugement, d'autre part, entre le moment où intervient le jugement et celui où est mise à exécution la sanction prononcée. Il existe donc aujourd'hui la conviction que les peines seraient de plus en plus souvent aménagées, avec une tolérance et une souplesse non justifiées. Un grand quotidien national écrivait récemment : « Sans doute parce que ce pan de l'administration pénitentiaire n'a retenu de son sacerdoce que le mot réinsertion, mais a un peu trop omis celui de probation. » Je trouve cette critique injuste lorsque l'on connaît les moyens dont dispose l'administration pénitentiaire chargée du milieu ouvert. En effet, les services de probation et d'insertion ne cessent de recevoir des missions nouvelles, avec des dispositions très généreuses d'aménagement de peines et de nouvelles méthodes de probation, mais qui se trouvent aujourd'hui au seuil de la rupture. Il y a un véritable problème au niveau de l'exécution de ces aménagements de peine et de la réponse donnée aux incidents les affectant.