Le sujet abordé aujourd'hui est suffisamment important pour privilégier une approche pragmatique, et pour sortir d'un prisme orienté sur des faits divers, certes dramatiques, mais qui empêchent d'avoir une vision constructive et mesurée.
Je souhaite tout d'abord souligner la difficulté qu'il y a à travailler sur des sujets aussi « humains » que ceux de la justice. Aussi, la prise de risque fait partie intégrante du travail des magistrats et de l'administration pénitentiaire. Si nous avons une obligation de moyens renforcée, il serait parfaitement illusoire et contre-productif d'assigner à la justice et à l'administration pénitentiaire une quelconque obligation de résultat. Cette obligation collective de moyens engage le pouvoir politique et l'ensemble des responsables concernés. Toutefois, on ne peut pas mettre en cause la justice après chaque drame, et s'étonner qu'elle n'ait pas réussi là où toutes les autres instances de socialisation ont échoué : la famille, l'école, les dispositifs sociaux... En réalité, nous ne sommes pas aussi mauvais que cela. Même si leur précision est critiquable, les études brutes montrent que moins d'un délinquant sortant de prison sur deux n'y retourne pas dans les cinq ans qui suivent. Dans ce contexte, je souhaiterais rendre hommage aux acteurs de la justice, aux magistrats, aux greffiers, mais aussi au personnel pénitentiaire. Je pense notamment aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et aux personnels de surveillance, qui ont été beaucoup mis en cause dans les récents faits divers. Pourtant, les rapports d'inspection montrent que leur travail a été correctement réalisé.
Un autre indicateur prouve que le système ne dysfonctionne pas tant que cela : il s'agit du nombre de personnes que nous confient les magistrats. Là encore, nous sommes parfaitement dans la moyenne européenne avec 67 000 détenus, auxquels s'ajoutent les 165 000 personnes suivies en milieu ouvert au travers des SPIP. Au bout du compte, près de 230 000 personnes sont aujourd'hui suivies par l'administration pénitentiaire sur mandat judiciaire. Ce n'est pas rien ! Il en est de même pour le taux d'incarcération en France, de l'ordre de 105 détenus pour 100 000 habitants, soit exactement la moyenne européenne. Il n'y a donc pas d'exception française, et les magistrats français recourent autant à la peine de prison que leurs homologues européens.
En revanche, si exception française il y a, c'est bien du côté de l'encombrement des établissements pénitentiaires. Nous sommes le cinquième pays du Conseil de l'Europe à avoir le taux d'encombrement le plus élevé, après la Belgique, mais aussi derrière des pays non comparables en termes de standards européens. On ne peut que regretter le retard pris en la matière. Le plan de construction de 15 000 places de prison actuellement mis en oeuvre apparaît donc totalement nécessaire. En outre, la durée moyenne des séjours en détention augmente considérablement en France. En effet, nous sommes passés de sept mois il y a quinze ans à près d'un an aujourd'hui. Ainsi, parler d'une érosion des peines de prison est inexact.
Mais mettre à exécution des sanctions judiciaires n'est pas suffisant : encore faut-il que le dispositif soit lisible. Avant 2019, le système était peu compréhensible par nos concitoyens. En effet, un tribunal correctionnel pouvait prononcer une peine allant jusqu'à deux ans de prison ferme, mais le condamné pouvait se retrouver libre à l'issue de la procédure. Cependant, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a introduit un changement de paradigme, et a redonné une crédibilité au dispositif. Elle a d'abord interdit de prononcer des peines d'emprisonnement d'une durée inférieure à un mois. De plus, le tribunal correctionnel ne doit aménager les peines d'emprisonnement que jusqu'à un an. Au-delà, il y a systématiquement écrou et mise à exécution en détention. Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire va, à mes yeux, dans le sens d'une meilleure compréhension de la justice par nos concitoyens en ce qui concerne les réductions de peines, avec la suppression des réductions de peine automatiques. Ces dernières ne pouvaient pas être comprises par le public. Elles sont remplacées par une réduction de peine sur la base de la bonne conduite et des efforts de réinsertion, et non pas d'absence de mauvaise conduite.
En plus d'être lisible, le dispositif se doit également d'être efficace. Le temps de prise en charge pénitentiaire doit être un temps utile, avec pour objectif de prévenir la récidive. Cela se traduit par deux choses, à savoir un travail criminologique de prise de conscience du crime et d'intégration des règles sociales, mais aussi un travail de réinsertion sociale, face à un public qui cumule plusieurs handicaps en la matière. Nous manquons pour cela de places de prison. Mais combien de détenus ont appris à lire en prison ? Combien ont retrouvé le chemin de la santé physique et mentale ? Combien de détenus radicalisés ont entamé un chemin les amenant à réfléchir à leur embrigadement ? Oui, la prison peut et doit être un lieu utile, à condition de pouvoir surmonter l'énorme problème de la surpopulation.
Concernant le milieu ouvert, il faut que l'exécution de la réponse pénale sous le contrôle des SPIP soit crédible, et cela demande des moyens. Depuis vingt ans, nous avons progressé en matière de capacité d'intervention, et nous avons rattrapé notre retard en matière de criminologie opérationnelle. De même, l'effectif des SPIP a augmenté de 20 % en trois ans, et augmentera encore de 20 % d'ici 2023. L'objectif est d'avoir un conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) pour soixante personnes suivies. Parallèlement, nous développons l'aspect qualitatif et pluridisciplinaire, avec la présence de psychologues, d'éducateurs, ou encore d'assistants de services sociaux. Il faut développer ce travail en équipe. Les différents faits divers l'ont prouvé : un véritable suivi est organisé par les CPIP. Il traduit la volonté que la peine soit utile en termes de prévention de la récidive. Il faut également développer les études sur le sujet et renforcer les liens du ministère de la justice avec les universités et le milieu de la recherche.
Par ailleurs, il faut renforcer les relations entre les magistrats de terrain et les services pénitentiaires. Je demande à mes services de proposer au magistrat du siège et au parquet une offre pénitentiaire dans chaque département. Un certain nombre de places de prison et de dispositifs en milieu ouvert sont disponibles, comme des dispositifs de bracelets électroniques, de places de semi-liberté et de stage de citoyenneté. Il faut donner au magistrat la possibilité de prendre une décision personnalisée, en rappelant toutefois que le « risque zéro » n'existe pas.
Enfin, je souhaiterais qu'il y ait un changement de paradigme au sein de notre société : qu'elle assume sa justice, et qu'il y ait un véritable esprit de concorde entre la police, la gendarmerie et les services pénitentiaires. Je suis toujours déçu et agacé lorsque l'on met en cause un magistrat ou un fonctionnaire pénitentiaire qui a fait son travail pour éviter la récidive. L'intérêt des sorties aménagées, préparées pour réduire le risque de récidive, n'est plus à prouver.