Je m'associe à tout ce qui a été dit. La réflexion que vous nous nous invitez à mener ce matin sur ce procès en laxisme de la justice appelle pour moi plusieurs réflexions. D'abord, je ne pense pas que ce soit le justiciable qui considère que la justice est laxiste, ni l'ensemble des Français. C'est plutôt un procès fait par les réseaux sociaux et les chaînes d'information continue, qui véhiculent toujours les mêmes faits divers, en mettant en avant le fait que l'auteur est un récidiviste, etc. Cela pose une question plus globale. C'est tout à l'honneur du législateur que d'essayer de rapprocher les Français de leur justice, et plus précisément de la justice pénale. Mais jusqu'où faut-il aller précisément ? Si on nous dit que 60 % des Français sont pour la torture des terroristes, faut-il instaurer cette torture ? Non, bien évidemment.
Je m'interroge, au fil des réformes. Faut-il remettre en question les principes du droit pénal et de la procédure pénale au motif qu'une majorité de gens, ou peut-être des minorités influentes, des syndicats, le souhaitent ?
Depuis quelque temps, on observe une remise en cause préoccupante de la présomption d'innocence. Un bon exemple en est la réaction des policiers à l'acquittement au bénéfice du doute dans l'affaire de Viry-Châtillon. Il n'y avait pas de preuves contre certains des accusés : c'est une simple application de la présomption d'innocence ! Il n'a pas été possible de renverser la présomption d'innocence, qui les protégeait. Pourquoi une telle déferlante de critiques ? On a aussi entendu des réactions politiques tout à fait disproportionnées : pas de jugement, des peines automatiques, sans aménagement - au mépris du principe d'individualisation de la peine. On a aussi entendu des associations de victimes parler d'instaurer une présomption irréfragable de véracité de la parole de l'enfant dans des affaires d'infractions sexuelles. Un autre exemple est la remise en cause de la prescription, notamment en matière d'infractions sexuelles. Avec la loi du 21 avril dernier, si une infraction est commise sur un autre mineur par le même auteur, cette infraction interrompt la prescription dans les autres procédures qui concernent ce même auteur sur d'autres mineurs.
On pourrait multiplier les exemples. Il y a actuellement des discussions sur l'irresponsabilité pénale, ce qui est un questionnement tout à fait récent. Bref, au fil des réformes, on grignote petit à petit des règles fondatrices du droit pénal et de la procédure pénale. Ce sont des règles très concrètes, dans la procédure, sur la présomption d'innocence, la prescription, l'irresponsabilité pénale. On a déjà acté le jugement des personnes atteintes de troubles mentaux, depuis 2008, avec l'application de mesures de sûreté - qui, il y a encore trente ans, étaient très anecdotiques. Bien sûr, il faut essayer de rapprocher la population de sa justice pénale. Mais jusqu'où peut-on aller ?
L'arsenal des mesures qui sont à la disposition des magistrats est globalement adapté, et notamment la réponse aux infractions commises contre les policiers : il y a des circonstances aggravantes qui prennent en compte le fait que l'infraction ait été commise contre les forces de l'ordre. Il n'y a plus d'empilement possible des sursis quand l'individu a déjà été condamné pour meurtre ou violences. La loi du 25 mai dernier pour une sécurité globale préservant les libertés a supprimé les crédits de réduction de peine en cas d'infractions violentes commises sur des policiers, des gendarmes, des militaires ou des personnels pénitentiaires. Je ne vois pas très bien ce que l'on pourrait faire de plus du point de vue de l'arsenal des mesures dont disposent les magistrats.
Sur les conditions d'exécution des peines, Laurent Ridel indiquait que la loi de 2019 avait redonné une crédibilité au dispositif. Le seuil de deux ans, auparavant, était très mal compris. Cette loi a abaissé à un an le seuil en dessous duquel l'aménagement est obligatoire. Mais du point de vue de l'impression de laxisme qui est donnée à la population, cela revient au même : pour les petits délits, on ne va pas en prison ! On a dit que les courtes peines étaient désocialisantes. C'est surtout une question de moyens. La prison peut être utile, même pour de courtes peines, mais pas dans un environnement délétère comme les maisons d'arrêt, qui souffrent d'une surpopulation carcérale récurrente. Ce surencombrement de certains établissements, le magistrat en tient compte, évidemment, au moment de prononcer la peine. Il y a donc un faux procès qui est fait au législateur et à la justice. Attention, pour autant, à ne pas aller dans la surenchère !