Intervention de Virginie Peltier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 juin 2021 à 8h00
Réponse pénale et exécution des peines et projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire — Audition de M. Ivan Guitz président de l'association nationale des juges d'application des peines Mme Virginie Peltier professeur de droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit et science politique de l'université de bordeaux Mm. Laurent Ridel directeur de l'administration pénitentiaire thierry donard directeur adjoint de l'administration pénitentiaire damien savarzeix procureur de la république près le tribunal judiciaire de chalon-sur-saône représentant la conférence nationale des procureurs de la république jean-olivier viout magistrat honoraire ancien procureur général près la cour d'appel de lyon

Virginie Peltier, professeur de droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit et science politique de l'Université de Bordeaux :

Je suis universitaire et non praticienne, mais je discute avec les professionnels de la justice. La généralisation des cours criminelles, dans un projet de loi qui propose également de filmer les audiences, me gêne. On va filmer les audiences dans un but pédagogique, pour mieux faire connaître la justice et lutter contre le sentiment qu'elle est laxiste. Dans le même temps, on va généraliser les cours criminelles au détriment de la cour d'assises, dont la compétence est réduite puisqu'elle n'aura plus à connaître des crimes passibles de moins de vingt ans de réclusion. N'est-ce pas un préalable à la disparition des cours d'assises ? Elles coûtent cher et prennent du temps. Mais quoi de plus pédagogique pour des citoyens que de juger un crime ? Cela montre le fonctionnement de la justice criminelle, à qui on fait justement un procès en laxisme. Le citoyen qui fait oeuvre de justice voit bien combien c'est difficile - c'est bien pour cela que les cours d'assises sont souvent plus clémentes que ce que l'on voudrait attendre d'elles. En somme, on va diminuer le rôle éducatif de la justice criminelle, au bénéfice d'une justice filmée.

Le rétablissement de la minorité de faveur, dans un texte qui essaie de combattre ce mauvais procès en laxisme, est étonnant. Actuellement si trois magistrats et trois jurés sur six sont pour la culpabilité, l'accusé est déclaré coupable. Avec le rétablissement de la minorité de faveur, si trois magistrats et trois jurés sur six sont pour la culpabilité, l'accusé ne sera pas déclaré coupable. Cela rendra les condamnations plus difficiles.

Le rappel à la loi peut être effectivement un premier degré de réponse pénale adaptée, mais, souvent, il devient un outil de gestion de masse. On a dit que l'alternative était le classement sans suite - ce qui ne plaît pas à la population. Mais si le rappel à la loi n'est utilisé que pour gérer des flux, sans être individualisé, il sera inefficace, et la personne concernée reviendra devant la justice - ce qui ne plaira pas non plus à la population. Le rappel à la loi aurait-il été consacré par le législateur si la justice avait eu véritablement les moyens de son action ? Même question sur les alternatives aux poursuites, les crédits de réduction de peine, ou la promotion du juge unique, même en appel. Y aura-t-il, à la fin de ma carrière, un juge unique à la Cour de cassation ? On vante tout ceci comme des progrès de la justice pénale. Je ne suis pas sûre que ce soit toujours le cas.

Cet affaiblissement des principes du droit pénal est-il dû au fait que la loi pénale devient la loi des victimes plus que celle de l'ordre public ? Oui, je crois qu'on observe une mutation de la justice pénale, qui est de moins en moins rétributive et de plus en plus réparatrice. Pourtant, la justice pénale n'a pas été conçue, au départ, pour les victimes. La réparation emprunte aussi d'autres voies. Mais la victime prend de plus en plus le pas, ce qui fausse les principes du procès pénal. Elle veut être reconnue dans son statut de victime, ce que je peux comprendre, et elle veut pouvoir faire son deuil - c'est bien pour cela que l'on revient sur certains mécanismes comme l'irresponsabilité pénale : il faut pouvoir juger même quelqu'un qui n'a pas compris la portée de son geste. Est-ce le rôle de la justice pénale que de répondre à ces attentes ? Je pense que non, mais le législateur est souverain. En tous cas, cela impliquerait une mutation de notre système pénal.

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