Intervention de Ivan Guitz

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 juin 2021 à 8h00
Réponse pénale et exécution des peines et projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire — Audition de M. Ivan Guitz président de l'association nationale des juges d'application des peines Mme Virginie Peltier professeur de droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit et science politique de l'université de bordeaux Mm. Laurent Ridel directeur de l'administration pénitentiaire thierry donard directeur adjoint de l'administration pénitentiaire damien savarzeix procureur de la république près le tribunal judiciaire de chalon-sur-saône représentant la conférence nationale des procureurs de la république jean-olivier viout magistrat honoraire ancien procureur général près la cour d'appel de lyon

Ivan Guitz, président de l'Association nationale des juges de l'application des peines :

Concernant l'exécution des peines d'emprisonnement, le projet de loi prévoit deux choses : une réforme des réductions de peine, mais aussi une modification des critères de la libération sous contrainte. Au deux tiers de peine, le principe est qu'il faut aménager, pour éviter la sortie sèche : libération conditionnelle, bracelet électronique, semi-liberté, etc. Le législateur nous demande de manière plus impérative, à l'article 9 du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, que cette libération sous contrainte s'applique de plein droit trois mois avant la fin de la peine, sauf impossibilité matérielle résultant de l'absence d'hébergement. L'on fait souvent un procès en laxisme au juge de l'application des peines, mais, si ce texte est voté tel quel, il aura obligation de déterminer la mesure applicable : libération conditionnelle, bracelet électronique ou semi-liberté. Il n'aura plus d'appréciation sur la question de savoir s'il faut accorder une libération sous contrainte, à partir du moment où un hébergement est disponible. Le critère de dangerosité n'est pas mentionné dans cet article.

L'aménagement de peine est bienvenu, certes : toutes les études montrent que la sortie sèche est facteur de récidive et qu'une période d'aménagement, même courte, réduit le risque. Mais la mise en oeuvre de la libération conditionnelle sera aussi impactée par le nouveau régime des réductions de peine. Depuis 2004, sur une peine d'un an, il y a trois mois de crédits de réduction de peine, qui peuvent être retirés en cas d'incident en détention. En fonction de l'évolution de la détention et des efforts qui sont faits, on peut ajouter trois mois, ce qui fait au total six mois la première année, et cinq mois les années suivantes. Personne ne s'en plaignait.

Le projet est d'examiner la situation du condamné au cours des six premiers mois, en tenant compte de son comportement en détention et de ses efforts de réinsertion. Après avis de la commission d'application des peines, le juge décidera d'accorder entre zéro et six mois de crédits de réduction de peine, au cas par cas. On passe donc d'une forme d'automaticité à l'appréciation du juge. Comme il y avait assez peu de retraits de crédits de réductions de peine, l'étude d'impact montre que le résultat sera une augmentation de la surpopulation carcérale. Et les condamnés auront une moindre visibilité sur l'aménagement de leur peine. En effet, la moitié de la peine, seuil à partir duquel une libération conditionnelle peut être accordée, se calcule actuellement à partir du reliquat de peine, déduction faite du crédit de réduction de peine, qui est immédiat à partir du moment où la condamnation est définitive. Après la réforme, on examinera les aménagements de peines plus tard, et les courtes peines seront moins vite aménageables.

On risque en outre un « télescopage » avec les mesures de libération sous contrainte pour les courtes peines. Le juge pourra être amené à statuer au même moment sur la libération sous contrainte, aux deux tiers de la peine, et sur les réductions de peine. Ce sera moins du cas par cas, et la complexification sera croissante, d'autant que deux régimes vont se superposer, le premier, applicable aux personnes condamnés avant janvier 2023 et le second, à celles condamnées après cette date. J'ajoute que le régime de réduction de peine est déjà mis à mal pour certaines infractions par l'article 50 de la loi pour une sécurité globale préservant les libertés, qui a revu les possibilités de réduction de peine pour ceux qui ont commis des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours sur les représentants de l'autorité publique, dont les élus et les magistrats. Il sera difficile de savoir quel régime s'appliquera, et les critères sont d'une extrême complexité.

Une commission de l'application des peines, c'est parfois 80 dossiers à examiner en une réunion. Cette commission se réunit avec le procureur de la République, le représentant du SPIP, mais aussi le directeur de l'établissement pénitentiaire ou son représentant. Nous essayons de discuter de chaque situation et d'évaluer les risques. Or, nous allons non seulement nous retrouver avec une masse de dossiers considérable, pour lesquels nous devrons examiner le comportement en détention au cas par cas, mais en plus, avant même cet examen, nous devrons nous-mêmes savoir de quel régime de réduction de peine l'intéressé répond. Si la clarification et la simplification des procédures pénales sont une nécessité, on crée ici une véritable « usine à gaz », avec des évolutions que je prédis, à savoir la multiplication des dérogations. Nous perdrons ainsi tout l'attrait de cette réforme. Surtout, réfléchissons concrètement aux conséquences directes de ce dispositif sur la population carcérale. Sur ce sujet, nous allons au-devant de grandes difficultés.

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