Intervention de Amélie de Montchalin

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 juin 2021 à 9h00
Numérisation de la justice — Audition de M. éric duPond-moretti garde des sceaux ministre de la justice et Mme Amélie de Montchalin ministre de la transformation et de la fonction publiques

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

Je vous remercie pour cette opportunité d'échanger sur un sujet qui est au coeur des préoccupations des Français, et du Gouvernement dans son ensemble. C'est, je le sais, une préoccupation partagée par votre commission. La transformation numérique de nos services publics est une priorité. Elle concerne en premier lieu le service public de la justice, et nous y travaillons en étroite collaboration avec le garde des sceaux, comme en témoigne cette audition conjointe, avec une relation chaleureuse et précise, alignée avec la stratégie numérique de transformation de l'action publique que je porte.

C'est un enjeu majeur car, derrière le numérique, il s'agit bien de garantir l'effectivité de l'accès au droit et au service public et donc, pour ce qui nous occupe aujourd'hui, à la justice. Je partage avec le garde des sceaux la conviction que c'est un élément fondamental de notre pacte républicain et une condition essentielle du bon fonctionnement de l'État de droit.

Cette transformation tient donc une place particulière dans le chantier majeur de la modernisation de l'administration que je conduis au sein du ministère de la transformation et de la fonction publiques, qui réunit pour la première fois dans une même maison la gestion des ressources humaines, les outils numériques des agents et des usages, et la transformation des organisations publiques.

La numérisation des services publics est une priorité de la transformation des administrations pour ce quinquennat. Le constat est simple : les Français peuvent faire leurs courses sur internet, payer leur abonnement en ligne, préparer leurs vacances depuis chez eux, mais doivent encore trop souvent réaliser les démarches administratives en papier ou se déplacer pour aller déposer un dossier auprès de services publics. Nous ne pouvons pas nous y résoudre. Nous devons faire entrer complètement nos services publics dans le XXIe siècle en y mettant la méthode, l'énergie et les moyens nécessaires.

Le Président de la République nous avait fixé un cap en 2017: en 2022, tous les services publics du quotidien devaient être accessibles en ligne. Le garde des sceaux l'a souligné : cette ambition s'est vue réaffirmée par la crise sanitaire, qui est venue renforcer les attentes de nos concitoyens pour des services publics de qualité, plus proches, plus efficaces. Cette crise sanitaire nous a également conduits à accélérer de façon très significative les chantiers que nous avions engagés.

Le ministère de la transformation et de la fonction publiques a la responsabilité du numérique de l'État. II se trouve donc au coeur de cet engagement ambitieux de numériser tous les services publics du quotidien, et il doit s'assurer de sa déclinaison dans tous les périmètres ministériels. En tant que ministre, j'exerce une pression amicale sur mes collègues ministres mais, surtout, j'apporte un soutien humain et financier pour accompagner ces transformations qui sont particulièrement lourdes pour les organisations.

Pour que chacun puisse suivre la mise en oeuvre de cet engagement, je publie, de manière totalement transparente, tous les trimestres, un point d'avancement sur la numérisation des 250 démarches les plus usuelles des Français dans tous les domaines. La dernière publication a eu lieu en avril et la prochaine aura lieu en juillet. Je vous en transmettrai une copie, monsieur le président.

Nous pouvons mesurer l'étendue des progrès accomplis : en 2017, 63 % des 250 démarches en question étaient numérisées, tous ministères confondus. Aujourd'hui, nous sommes à 83 % de numérisation. Nous visons 100 % pour 2022. Cela dit, c'est surtout la qualité qui compte. Nous nous assurons donc que chaque démarche donne l'occasion à l'usager de donner son avis, grâce à un bouton conçu à cet effet. La note moyenne recueillie sur les services publics en ligne est de 7,3/10. Nous pouvons faire mieux, d'autant que 80 % des premiers contacts avec une administration se font en ligne...

Il ne s'agit pas de tout passer sous un format numérique. Plus fondamentalement, le numérique participe à renouveler le rapport qu'ont nos concitoyens avec l'administration, notamment en facilitant le partage de données entre administrations. Le préremplissage des formulaires, par exemple, simplifie le quotidien des Français. Nous allons renforcer cette pratique, dans le respect de la protection des données personnelles, en particulier pour simplifier la demande d'aide juridictionnelle en préremplissant les ressources grâce aux données déjà connues de l'État. La partie simplification du projet de loi 4D, que je porte, contient des dispositions à ce sujet. J'aurai l'occasion d'y revenir devant votre commission demain à l'occasion de mon audition sur ce texte.

Je tiens enfin à souligner que le numérique doit être un facteur d'efficacité de nos services publics et en aucun cas ne doit se développer au détriment du maintien d'un accès diversifié aux services publics, sur tout le territoire. Il peut s'agir d'un accueil physique ou d'un point téléphonique pour les publics qui seraient éloignés du numérique. Je sais que vous y êtes, en tant que représentants des territoires, particulièrement attachés.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux de numérisation, nous avons mis en place une stratégie de transformation numérique des administrations. Je l'ai présentée le 4 mars dernier. Cette transformation vise trois principaux publics.

Le citoyen, tout d'abord, c'est-à-dire - pour le sujet qui nous concerne aujourd'hui - le justiciable, qu'il soit particulier, entreprise ou encore association. Ce sont bien entendu ceux pour qui nous travaillons d'abord et avant tout. L'agent public, ensuite. Ce sont les hommes et les femmes dont j'ai la charge en tant que ministre de la fonction publique. Ils ont parfois été délaissés, le numérique prenant souvent le visage de l'usager, et moins celui de l'agent qui est derrière le guichet. Trop souvent, les agents ont vu le numérique comme une contrainte, voire une menace, alors qu'il est une opportunité s'il est correctement déployé, et si l'accompagnement nécessaire est prévu. Je pense aux greffiers bien sûr, aux magistrats et à tous les agents qui travaillent au quotidien pour que la justice soit rendue dans ce pays.

En matière d'équipement, nous avons déployé 185 000 ordinateurs portables à l'interministériel en un an entre mars 2020 et mars 2021. C'est plus de quatre années normales de déploiement. Nous devons aller plus loin pour simplifier les procédures, réduire l'usage du papier, développer la signature électronique... Je sais que le garde des sceaux y travaille avec beaucoup de conviction au sein de son ministère.

Le troisième public est constitué par les partenaires de l'action publique, ceux qui contribuent au service public. L'action publique, ce n'est pas que l'État : le service public de la justice dépend de professions règlementées, comme les avocats, les huissiers, ou les notaires, qui doivent être associées à cette transformation.

La stratégie de transformation que je porte repose sur trois enjeux principaux : qualité, transparence, et souveraineté. La qualité concerne l'expérience pour les usagers du service public, et les outils en interne des agents doivent permettre des gains de productivité, et donc un meilleur service.

La transparence renvoie à l'enjeu de l'open data. Notre culture administrative est souvent trop verticale et trop centrée sur l'État. L'ouverture, c'est aussi l'ouverture des données. Le Premier ministre a récemment réaffirmé notre ambition très forte en la matière dans l'ensemble des champs ministériels. Nous avons décidé d'ouvrir plus de 60 nouveaux jeux de données particulièrement demandés en 2021, comme la carte scolaire des collèges, les fichiers fonciers des personnes morales ou encore les données d'information routière en temps réel. L'open data est aussi un enjeu très important pour les décisions de justice, sur lequel nous travaillons.

Enfin, il y a un vrai enjeu de souveraineté. La souveraineté, c'est s'assurer à la fois que l'on garde la main sur les solutions que l'on achète, celles qu'on développe, et nos usages en matière de données personnelles. Le 17 mai dernier, avec Bruno Le Maire et Cédric O, nous avons présenté la stratégie du Gouvernement en matière d'hébergement et de cloud. J'ai acté que les administrations devaient mobiliser les technologies d'hébergement du meilleur niveau technologique, mais à deux conditions extrêmement strictes : d'une part, une protection de haut niveau sur les enjeux de cybersécurité, et d'autre part une protection contre toute règle extraterritoriale, afin de s'assurer que les données restent sur le territoire européen. Ce sujet de la souveraineté est particulièrement prégnant dans la justice, car les attentes de nos citoyens en matière de protection de leurs données sont très légitimes dans un domaine éminemment régalien. Je connais la préoccupation constante du garde des sceaux sur cette question.

Afin de mener cette transformation à bien, le ministère de la transformation et de la fonction publiques déploie des moyens inédits pour soutenir tous les autres ministères, notamment dans le cadre de la relance. Dès mon arrivée en juillet, j'ai souhaité renforcer les moyens dédiés à la transformation numérique de l'État et j'ai obtenu une enveloppe dédiée dans le cadre de France Relance. Jamais autant de moyens n'avaient été déployés pour le numérique de l'État.

Ces moyens, ce sont bien entendu des crédits budgétaires, avec les 700 millions d'euros du fonds pour la transformation de l'action publique lancé par le Président de la République dès le début du quinquennat, qui a notamment financé la procédure pénale numérique ou le système d'information de l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle. Ces crédits, ce sont aussi 1 milliard d'euros du plan de relance destinés à la transformation numérique des administrations d'État, dont 500 millions pilotés par mon ministère et répartis comme suit : 208 millions d'euros permettent de financer une amélioration sensible de la qualité des outils des agents, avec l'augmentation des débits réseau au sein de plus de 800 services et juridictions du ministère de la justice ; 204 millions d'euros permettent d'améliorer les services pour les usagers, et financent la numérisation des démarches judiciaires, comme la saisine du tribunal de proximité pour le contentieux locatif ; 88 millions d'euros sont destinés à la transformation numérique des collectivités territoriales.

Ces moyens, ce sont aussi des méthodes, avec le suivi des réformes prioritaires, que je réalise en toute transparence via le baromètre des résultats de l'action publique sur le site du Gouvernement. Il contient une réforme emblématique du ministère de la justice : le suivi du travail d'intérêt général et, demain, l'accès à l'aide juridictionnelle. Sur le site internet du Gouvernement, vous pouvez voir précisément le nombre de postes de travail d'intérêt général proposés en tant que peine, département par département.

Pour transformer, l'ingrédient essentiel sera toujours les femmes et les hommes qui conduisent le changement, nos agents publics. C'est la raison pour laquelle, entre externalisation et internalisation, nous portons une vraie stratégie en matière de ressources humaines au sein de la fonction publique. J'ai présenté ma stratégie pour la filière numérique publique le 20 mai dernier dans une école d'ingénieurs en informatique. Elle repose sur quatre principales actions. D'abord, renforcer l'attractivité des métiers du numérique de l'État, en améliorant notre marque employeur ; favoriser la diversité ; simplifier les modalités de recrutement, en proposant notamment des grilles salariales adaptées à la concurrence ; enfin, former les agents tout au long de leur carrière, que ce soit dans la filière numérique ou en dehors.

Enfin, mon ministère développe et déploie des services numériques mutualisés et essentiels. Je pense en particulier, en matière d'identité numérique, à FranceConnect, qui avait 500 000 utilisateurs en 2017. Il en compte 23 millions aujourd'hui. C'est FranceConnect qui permet de récupérer en ligne son certificat de vaccination, ou encore de faire sa procuration pour les élections. Nous en étendrons l'usage au maximum de démarches relevant du ministère de la justice.

Je ne vais pas revenir bien entendu sur les points détaillés par le garde des sceaux à l'instant. Nous sommes en train d'accélérer, avec des échéances qui se calculent non plus en années mais en mois, notamment pour la PPN, l'aide juridictionnelle ou encore le travail d'intérêt général. Mes équipes sont mobilisées pour appuyer la Chancellerie sur ces différents travaux.

Nous voulons un numérique choisi, et pas un numérique subi par les Français. Le numérique dans le service public doit être un canal d'accès additionnel, en complément des guichets et d'autres canaux comme le téléphone ou l'accueil physique. Le but n'est pas d'arriver à une justice 100 % dématérialisée, mais d'offrir, à ceux qui le souhaitent et à ceux qui le peuvent, la capacité de réaliser leurs démarches en ligne. C'est la raison pour laquelle nous déployons très volontairement les espaces France Services. Il y en a 1 304 sur le territoire aujourd'hui, et il y en aura 2 000 en 2 022, qui offrent un bouquet de services publics : les impôts, les allocations familiales, Pôle emploi, l'assurance retraite ou encore le ministère de la justice - qui n'a jamais eu, à lui tout seul, 2 000 points d'accueil ! D'ici 2022, chaque usager pourra trouver une maison France Service à moins de 20 minutes de son domicile.

Le Premier ministre a également annoncé le 5 février 2021 le lancement d'un plan téléphone : les usagers pourront contacter un numéro de téléphone support pour toutes leurs démarches.

La transformation numérique de la justice s'inscrit donc, vous l'aurez compris, dans une ambition de transformation de nos administrations que nous portons collectivement au sein de ce Gouvernement : le sujet est abordé chaque trimestre au sein du conseil des ministres. Nous voulons améliorer concrètement le service public au quotidien pour les Français, et renforcer l'efficacité de notre action publique. Le chantier engagé est important mais, au regard de la qualité de la coopération entre mon ministère et la Chancellerie, nous ne pouvons qu'espérer que les objectifs fixés soient atteints dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais.

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