Intervention de Françoise Liébert

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 3 juin 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème « être agricultrice en 2021 »

Françoise Liébert, haute fonctionnaire en charge de l'égalité femmes-hommes au ministère de l'agriculture et de l'alimentation :

Merci Madame la présidente. Bonjour à toutes.

Effectivement, le métier d'agricultrice est particulier. Comme dans l'artisanat, les femmes y ont toujours été présentes, surtout en tant que conjointes. Leur rôle, s'il a été déterminant, a rarement été remarqué, sauf durant la Grande Guerre de 14-18, ainsi que l'a souligné un colloque organisé par votre délégation en octobre 2018. Leur rôle est généralement resté invisible sur le plan économique, juridique et social. Depuis une vingtaine d'années, et en particulier depuis 2013, le ministère met en place des feuilles de route successives pour faire progresser l'égalité entre les femmes et les hommes. Dans ce cadre, plusieurs objectifs sont poursuivis pour plus d'égalité en agriculture. Ces objectifs correspondent à de nombreuses recommandations figurant dans votre rapport de 2017. Pour y parvenir, le ministère utilise différents outils. Soit nous modifions directement la réglementation, soit nous intervenons pour la faire évoluer. C'est le cas des statuts, des droits sociaux, de la gouvernance des instances représentatives. Nous agissons également beaucoup par l'intermédiaire de l'enseignement agricole, en développant des actions pédagogiques auprès des élèves, notamment grâce à un réseau « insertion égalité » et à l'enseignement socioculturel. Cette particularité de l'enseignement agricole vise à plus de respect mutuel, d'égalité, de mixité des métiers. Dans ce cadre et depuis les années 2000, nous signons régulièrement la convention interministérielle pour l'égalité filles-garçons dans l'éducation. De nombreux indicateurs poursuivent ces mêmes buts. Nous organisons également des journées d'information ciblées en partenariat avec la MSA, les organisations professionnelles agricoles ou des associations telles que 100 000 entrepreneurs, intervenant dans les forums d'orientation professionnelle et faisant la promotion de l'entreprenariat, notamment auprès des jeunes filles. Le ministère intervient également par sa communication sur Internet et intranet. Il met à disposition des informations en lien avec la MSA. Il incite à certaines actions, et met en lumière des initiatives.

Le statut des conjointes participant aux travaux a longtemps persisté en raison du modèle conjugal des exploitations promu par les organisations professionnelles et par l'État. Le ministère l'a fait évoluer en créant celui de co-exploitante et de cheffe d'exploitation en 1981. Le statut de conjoint-collaborateur, créé en 1999, a permis de renforcer la protection sociale du conjoint, de même que la fin, en 2009,du statut de conjoint participant aux travaux. Pour autant, et nous pourrons en rediscuter lorsque nous évoquerons les retraites, ces statuts secondaires porteurs d'avancées sociales importantes n'octroient que des droits restreints. Pour cette raison, le ministère souhaite limiter le bénéfice du statut de conjoint-collaborateur dans le temps. S'il peut être utile pendant la phase d'installation, une durée maximale fixée à cinq ans nous semblerait adéquate. Elle est en cours d'expertise.

Le cadre juridique des entreprises agricoles s'est adapté. Les conjointes peuvent être actionnaires à parts égales de leur mari au sein d'une Exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) depuis 1985, et au sein d'un Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) depuis 2010. Ce dernier point doit être souligné, compte tenu de la reconnaissance de la transparence des GAEC en 2015. Il constitue un réel avantage pour les couples exploitant en commun.

Concernant la formation, les filles représentent actuellement environ 45 % des élèves, étudiants et apprentis de l'enseignement agricole. Nous avons récemment assisté à une légère diminution de cette proportion, qui varie fortement selon les voies de formation. L'apprentissage ne compte que 24 % de filles. C'est la voie privilégiée dans la filière production. Les filles sont plus présentes dans les formations à diplômes élevés. Elles sont plus souvent orientées vers les filières de services ou de transformation, en raison de nombreux stéréotypes dès le stade de l'orientation et de l'information initiale, stéréotypes souvent culturels ou familiaux. Les arguments de la faiblesse physique et de la pénibilité du travail reviennent souvent pour les dissuader de s'engager dans certains secteurs.

La situation évolue, bien que lentement, ce qui doit être souligné. Je peux espérer que cela résulte de la pédagogie mise en oeuvre auprès des élèves. Actuellement, dans le secteur de la production, plus de 38 % des apprenants sont des filles, contre 33 % il y a dix ans. 78 % des filles sont concentrées dans le secteur des services, contre 85 % en 2011. Des difficultés persistent en termes d'insertion professionnelle. Le taux net d'emploi des filles, trente-trois mois après l'obtention de leur diplôme, est inférieur de 5 à 7 % à celui des garçons, à diplôme égal. 16 à 33 % des filles occupent un temps partiel, contre seulement 2 à 12 % des garçons ayant obtenu le même diplôme.

La nécessité de renouvellement des exploitants s'annonce massive dans les prochaines années. La question de l'installation des femmes en agriculture est donc cruciale. Néanmoins, le nombre de femmes à la tête d'une exploitation agricole stagne, depuis dix ans, autour de 24 à 25 %. Est-ce uniquement lié à la dotation jeunes agriculteurs (DJA) ? Nous constatons que 20 % seulement des dotations jeunes agriculteurs sont attribuées à des femmes. 44 % des femmes, contre 80 % des hommes, s'installent avant l'âge de 40 ans. Le ministère est favorable à un report de l'âge limite de la DJA au-delà de 40 ans1(*). D'autres pays de l'Union européenne y sont également ouverts. Des discussions sont en cours mais je ne dispose d'aucune information quant à leur aboutissement.

Si vous le souhaitez, je pourrai répondre plus spécifiquement à des questions concernant les retraites ou la gouvernance des organisations agricoles, dans lesquelles la place des femmes doit être plus importante. Leur participation aux décisions des différentes instances agricoles permettra de faire évoluer les organisations et les matériels pour pallier les éventuels problèmes de pénibilité et d'adaptation des équipements, afin de prendre en compte les besoins et les attentes des agricultrices.

Tant pour le ministère de l'agriculture que selon moi, imposer le même taux de femmes dans les instances de gouvernance de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) permettrait de les y rendre plus visibles.

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