Intervention de Natacha Guillemet

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 3 juin 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème « être agricultrice en 2021 »

Natacha Guillemet, agricultrice, représentant la Coordination rurale :

Madame la présidente, merci. Bonjour à vous toutes et à vous tous.

J'ai bien écouté vos interventions mais je vais me concentrer sur les « sans statut », que nous estimons au nombre de 5 000 ou 6 000. Ces chiffres sont très élevés ! Ils devraient fortement diminuer avec la loi PACTE, qui impose d'opter pour un statut. Encore faudrait-il qu'elle soit effectivement appliquée. Certains exploitants travaillent encore en couple, mais il est parfois compliqué de dégager assez de revenus pour assurer deux contributions à la MSA. C'est alors très souvent la femme qui en fait les frais, car sans statut, elle n'est que « femme à la ferme ». Ne nous voilons pas la face, en France, certaines exploitations ne dégagent pas suffisamment de revenus pour payer deux contributions à la MSA. Tant que cela perdurera, ces femmes sans statut n'auront pas de protection propre. Certes, la loi EGalim (loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous) doit permettre aux agriculteurs et agricultrices d'atteindre de meilleurs revenus. Nous voyons bien ses limites, d'où les discussions portant sur une loi EGalim 2. J'espère que nous arriverons à un résultat positif pour aider ces 5 000 femmes encore sans statut.

En ce qui concerne le statut de conjointe-collaboratrice, je rejoins la FNSEA. Nous aimerions qu'il soit limité à cinq ans, pour leur donner, à terme, un vrai statut. Nous souhaitons qu'elles puissent se diriger vers le statut de salariée ou de cheffe d'exploitation, sans partir travailler hors de l'exploitation. Nous devons « prendre le taureau par les cornes ». Ces femmes, après cinq ans, doivent pouvoir exister, vivre pour elles-mêmes et ne pas dépendre que de leur seul mari. Pour ces raisons, ce statut doit être limité dans le temps.

En introduction, vous avez mentionné des « prix de femmes » pour nous valoriser. Ayant travaillé dans l'éducation avant d'être agricultrice, cela me semble très important pour valoriser la condition des agricultrices, et faire évoluer les mentalités souvent empruntes d'un sexisme involontaire. À l'heure où nous nous interrogeons sur la situation des agricultrices et sur leurs besoins, je me pose une question. Les femmes ont tenu un rôle très important pendant les guerres. Vous l'avez évoqué. Si elles n'avaient alors pas le statut d'agricultrices à proprement dit - ce terme n'existe que depuis 1961 - elles ont tout de même nourri la France à l'appel de René Viviani, président du Conseil des ministres, le 2 août 1914. Elles n'avaient pas de fusils, mais leur courage, leur abnégation et les outils des champs leur ont servi d'armes. Ils leur ont permis de nourrir les soldats, les enfants, les vieillards, la France, afin qu'elle reste debout. Ces femmes ont fait partie des héroïnes cachées des grandes guerres. Y pensons-nous ? Leur rendons-nous hommage ? Non. Aussi, je propose un effort de mémoire qui pourrait se traduire lors des fêtes nationales des grandes guerres ou d'une journée qui leur serait dédiée. Cet effort de mémoire ferait également avancer le débat sur les agricultrices d'aujourd'hui, sur leur reconnaissance, sur leur statut. Ce serait également le moyen de bouleverser certaines mentalités quant aux préjugés sur leurs capacités. Beaucoup doutent en effet encore de nos aptitudes au métier d'exploitante agricole.

Cet effort de mémoire pourrait également être développé dans les écoles. Il participerait à l'éducation des jeunes enfants. Si cette journée était présentée dans les écoles primaires, les collèges et les lycées, ses effets seraient doublés. Peut-être est-il temps de répondre à la promesse de René Viviani, qui assurait « il y aura demain de la gloire pour tout le monde. »

Si je vous livre cette réflexion, c'est aussi pour changer les regards de certains hommes et de certaines femmes. Je vais m'avancer sur le foncier, qui fait partie des réalités agricoles. Pour participer à cette table ronde, j'ai téléphoné à un certain nombre d'agricultrices. J'ai réalisé que certains agriculteurs, ex-agriculteurs ou propriétaires ne souhaitaient pas donner la terre à des femmes. Dans leur esprit, ce n'est pas possible. À un moment donné, nous devons révolutionner les mentalités. Tout est cohérent. Si nous ne revoyons pas l'éducation, si nous ne posons pas un regard neuf sur l'histoire des femmes, nous n'aboutirons pas. Combien ont regardé ces images de femmes tirant des charrettes à la place des boeufs ou des chevaux, avec une femme dirigeant à l'arrière ? J'ai cette peinture en tête. Elle est très marquante quant à l'abnégation de ces femmes, à leur force physique et mentale. Elle nous prouve que les agricultrices sont légitimes à acquérir du foncier agricole. Pourtant, certains banquiers nous disent que cela n'est pas possible. Je noircis le tableau à dessein, bien que bon nombre d'agricultrices soient installées, aient obtenu des crédits et disposent de terres. Elles ne sont toutefois pas majoritaires. Elles subissent ces freins qui perdurent dans l'esprit masculin, de manière souvent involontaire. Ces préjugés sont profondément ancrés dans certains esprits. Pour accéder aux prêts, au foncier, je pense que nous devons révolutionner les idées. Si nous le faisons dès l'école primaire, nous pourrons faire évoluer les mentalités sur le rôle joué par ces femmes.

Avant cette table ronde, j'ai communiqué par téléphone avec une agricultrice, Élise, qui s'est installée après un parcours scolaire sans fautes. J'ai relevé chez toutes les filles que j'ai contactées le merveilleux accueil des éducateurs dans les écoles d'agriculture. Lors de leurs stages, en revanche, elles n'avaient souvent pas le droit de conduire un tracteur. Elles ne pouvaient que regarder. La recherche de stage a souvent été compliquée par le seul fait d'être femme. Élise a elle-même essuyé des remarques très déplaisantes. Lorsqu'elle s'est installée, ce n'est pas au niveau de la Commission départementale d'orientation agricole (CDOA) qu'elle a rencontré des blocages, mais plutôt parmi le voisinage de son exploitation pour lequel une femme conduisant un tracteur semblait anormal. Elle est pourtant installée en tant que céréalière bio. Des femmes réussissent, bien sûr, mais elles doivent jouer des coudes pour prouver leurs compétences. Je ne suis pas née avec un tracteur dans les mains, pourtant j'en conduis un. Le matériel a connu des progrès fantastiques. De nombreux outils existent et rendent la tâche des agricultrices bien plus facile. La MSA verse d'ailleurs une aide spécifique pour simplifier notre travail et éliminer certains problèmes d'ordre physique.

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