Intervention de Céline Berthier

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 3 juin 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème « être agricultrice en 2021 »

Céline Berthier, représentant la Confédération paysanne :

La commission femmes de la Confédération paysanne se réunit régulièrement pour discuter des sujets relatifs aux agricultrices. J'ai structuré mon propos en cinq parties : le sexisme auquel nous devons malheureusement faire face tous les jours ; les violences en milieu rural ; les statuts - déjà largement évoqués - ; les freins à l'engagement syndical et quelques propositions d'outils et de pistes. Après cela, je devrai vous laisser pour m'occuper de la fromagerie !

Sur le plan du sexisme malheureusement ordinaire, nous constatons que nous ne sommes considérées que comme des femmes et non comme des individus autonomes ou des professionnelles. Nous plaçons la barre haute, car nous devons toujours faire nos preuves et nous nous sentons sans cesse jugées. Je rejoins l'anecdote de la représentante de la MSA ayant évoqué son arrivée en tracteur devant des spectateurs. J'ai vécu la même chose. Nous sommes dans une impasse, au choix glorifiées parce que nous arrivons à faire un métier d'hommes, ou au contraire reléguées à des tâches « molles » - accueil à la ferme, transformation, ou autres activités pas assez viriles pour que les hommes s'en chargent - ou aux tâches invisibles telles que l'administratif qui nous demande un temps considérable. On nous répond alors que nous avons de la chance car nous gérons la comptabilité au chaud !

Si vous y arrivez, c'est parce que vous êtes une femme et qu'on vous a accordé des privilèges, car vous êtes jolie. Si vous échouez, c'est aussi parce que vous êtes une femme ! Je ne pense pas qu'il y ait plus de sexisme dans le milieu agricole que dans les autres milieux, mais il s'inscrit à la ferme dans une division des tâches très clivée. La femme est complémentaire de l'homme au sein de l'exploitation, mais cette complémentarité est prétexte à cacher des rapports hiérarchiques que nous subissons en tant que femmes. Nous nous retrouvons à assurer les tâches dont monsieur ne veut pas se charger ! Nous avons récolté des témoignages au sein de la Confédération paysanne, sur lesquels j'appuie mes propos. Je suis personnellement associée avec une femme. Je ne rencontre donc pas cette difficulté....

Nous sommes totalement invisibilisées. On nous demande - ça, je le subis aussi - où est le patron, on parle des fromages de « monsieur », des brebis de « monsieur ». Les chèques sont libellés à l'ordre de « monsieur ». Nous serons toujours la soeur de, la fille de, la femme de. Les remarques sexistes font partie de notre quotidien dans l'exercice de notre métier. Au marché, les remarques portent davantage sur notre physique que sur les fromages que nous vendons. Elles sont d'autant plus dures à supporter lorsqu'elles sont inscrites dans un rapport de domination. Je fais face aux remarques sexistes des propriétaires et des chasseurs. J'élève des chèvres et j'utilise une centaine d'hectares pour les faire pâturer. Aller voir ces hommes fait partie de mon quotidien. C'est assez humiliant.

Le cas du matériel inadapté a déjà été évoqué. Les sacs de ciment sont également très lourds, puisqu'ils pèsent 35 kgs. J'espère qu'un jour de plus petits sacs seront vendus ! Il faut exercer un effort physique significatif pour brancher la prise de force ou atteler certains outils. Je pense que nous permettrons également aux hommes de bénéficier d'un matériel moins pénible à utiliser. Nous aurons ainsi tous moins mal au dos pour nos vieux jours ! Nous nous sommes également demandé, avec Béatrice Martin, s'il y avait davantage d'inertie en milieu rural qu'en ville pour faire évoluer les mentalités.

Je voulais aussi parler des violences. Le milieu rural est un petit monde. Tout le monde se connaît. Les femmes peuvent se retrouver assez isolées sur leur ferme. Elles n'osent pas répondre. Elles ont peur de ne pas s'intégrer. Elles craignent le qu'en-dira-t-on et disposent de moins d'échappatoires qu'en ville. Les violences verbales peuvent être très importantes. Une réunion de la CUMA (Coopérative d'utilisation de matériel agricole) devait avoir lieu un mercredi soir. Une femme a indiqué qu'elle ne pourrait pas y prendre part, le mercredi étant le jour des enfants. Un homme lui a répondu « Tu n'avais qu'à avaler ». Pardon d'être crue ! Les intimidations sont également réelles. Des amies bergères entendent des propos tels que « Tu n'as pas peur, seule dans ta caravane ? Tu veux que je vienne te tenir chaud ? » Je suis présidente du petit marché associatif sur ma commune. On m'y a déjà demandé d'enlever mon string. Certaines femmes subissent également des violences physiques de la part de leur conjoint. Elles sont isolées sur leur ferme et n'arrivent pas à en sortir. Toute leur vie se situe là, isolée dans cette ferme : leur revenu, leur maison, leur voiture, leurs enfants. Elles peuvent vite être coupées du monde et subir des violences.

Les statuts ont déjà été largement évoqués. Je voulais ajouter, contrairement à l'intervention précédente, que nous sommes souvent moins crédibles lors d'une installation. Nous le sommes davantage lorsque nous annonçons nous associer avec un homme. Je me demande si l'âge moyen des cheffes d'exploitation n'est pas lié à la retraite de monsieur, laissant la place à sa femme. J'ajouterais que les agricultrices, lorsqu'elles partent à la retraite, sont souvent contraintes de demeurer à la ferme. En sociologie agricole, on parle de « maisonnée ». La maison et la ferme sont fortement liées. Une fois retraitée, l'agricultrice se retrouve sous la dépendance totale de son mari. Elle ne peut pas prendre de logement ailleurs et est confinée à la ferme.

Je suis associée avec une femme. La santé est prioritaire au sein de notre GAEC. Nos rendez-vous médicaux sont pris sur le temps de travail, sans concession. Certaines de mes amies associées avec des hommes peinent à trouver le temps de prendre rendez-vous chez leur gynécologue, entre autres. En plus, en milieu rural, nous devons souvent faire une heure de route pour consulter un spécialiste. Les femmes sont donc là encore face à des contraintes.

Permettez-moi d'aborder maintenant les freins à l'engagement syndical. Une étude a été menée sur les instances agricoles, montrant qu'il n'y avait pas plus de 30 % d'élues en leur sein. Elles y occupent plutôt des postes de secrétaires ou de trésorières, moins valorisées. Nous avons identifié plusieurs freins à leur engagement, dont les contraintes domestiques et parentales, qui seront davantage évoquées par Béatrice Martin. S'y ajoutent notre légitimité, nos compétences étant sans cesse mises en doute. Les réunions restent des espaces créés par et pour les hommes. Elles sont organisées le mercredi soir, jour des enfants, sans penser que les femmes sont de fait discriminées. Il est très difficile d'y prendre la parole. Les outils de distribution de la parole, lorsqu'ils sont mis en place, l'ont été à l'initiative des femmes. Nous nous faisons couper la parole. Nos propos n'ont pas le même poids que ceux d'un homme. Lors de grandes assemblées, je ne sais pas si vous avez pu le constater, mais les hommes lèvent la main avant même de savoir ce qu'ils vont dire, pour occuper l'espace public. Ils n'ont pas honte de répéter ce qui a déjà été dit.

Dans les manifestations, lorsqu'il n'y a pas de femmes à la tribune, on vient nous chercher pour prendre la parole, dans l'unique but de laisser une femme se faire prendre en photo par les journalistes, en nous listant les propos à répéter. On ne nous fait pas confiance.

La parité est un super outil. Pour autant, il ne faut pas chercher les femmes au dernier moment pour faire respecter la parité lors des élections. Ce n'est pas ainsi que nous serons encouragées à nous présenter à des postes importants en termes d'engagement syndical.

Enfin, permettez-moi d'évoquer quelques outils et pistes de réflexion. Selon nous, les groupes non mixtes sont très importants pour prendre conscience du sexisme ambiant que nous vivons. Il ne s'agit pas d'un évènement vécu de manière individuelle, mais d'un mécanisme malheureusement plus universel relevant du patriarcat. Ces groupes non mixtes nous permettent d'imaginer ensemble des solutions. Ce n'est pas une fin en soi, je ne suis pas favorable à une exclusion des hommes de notre société. Nous avons néanmoins besoin de nous retrouver entre femmes pour prendre conscience de la situation avant d'en parler avec des hommes.

Au sein de la Confédération paysanne, nous avons organisé plusieurs stages d'autodéfense, du théâtre-forum, des réflexions sur la façon de répondre ou sur la protection face aux violences. Des jeunes organisent également des chantiers non mixtes, pour que ces messieurs ne nous enlèvent pas les outils des mains. Nous pouvons également apprendre à nous en servir.

Bien sûr, la solidarité est importante. Face à une situation sexiste, il ne faut pas laisser une camarade seule. Nous devons sensibiliser dès le plus jeune âge les filles et les garçons au consentement, au sexisme. Les petites filles doivent être encouragées à faire des choses. Mon père ne m'a jamais laissée monter sur un tracteur ou tuer une poule. Nous recevons beaucoup de demandes de stage de la part de jeunes femmes rassurées de voir que notre ferme est gérée par des femmes. Une jeune fille est arrivée chez nous exténuée et découragée, nous disant qu'elle n'était pas prête à faire ce métier car elle ne s'en sentait pas capable physiquement. En réalité, elle venait d'une ferme où le travail était trop dur. En repartant de chez nous, sa vision du métier était différente et elle l'envisageait à nouveau !

Nous devons rendre les inégalités visibles, en comptant par exemple la répartition genrée des prises de parole lors d'une réunion, ce qui permettra aux hommes et aux femmes de prendre conscience des problématiques. À nos yeux, la parité est certes une forme de discrimination positive, avec ses limites, mais elle est nécessaire. Nous n'avons ainsi pas peur de prendre la place d'un homme. S'il n'y a pas de femme, la place reste vide. Il est important de rejoindre les instances décisionnaires, puisque c'est là que sont prises les décisions. Sinon, les lois continueront d'être établies par des hommes, pour des hommes.

Lever les freins passe également par la poursuite des formations. Nous en avons organisé plusieurs sur la conduite des tracteurs, les bases de la mécanique automobile ou la soudure, pour reprendre le pouvoir sur nos fermes.

L'écriture inclusive nous semble également un moyen de s'adresser à toutes et à tous.

Nous avons déjà parlé du congé maternité. À la Confédération paysanne, nous nous interrogeons aussi sur les femmes souffrant de règles douloureuses tout en assurant un métier difficile. Comment le prendre en compte ? Nous réfléchissons également à l'établissement de critères de modulation de la DJA, pour permettre aux femmes de s'équiper, puisque nous savons qu'elles accèdent difficilement au foncier. Réfléchissons plus largement aux outils qui permettent de faciliter l'accès au métier d'agricultrice pour les femmes.

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