Intervention de Béatrice Martin

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 3 juin 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur le thème « être agricultrice en 2021 »

Béatrice Martin :

Bonjour à toutes et à tous. J'articulerai mon intervention autour des thèmes de la santé, de la charge mentale, du congé maternité, et enfin des femmes d'agriculteurs n'étant pas agricultrices. Ne les oublions pas.

Nous l'avons dit, les métiers de l'agriculture sont souvent représentés comme masculins. Les femmes ne sont donc reconnues que lorsqu'elles sont égales aux hommes sur des postes égaux. Nous sommes considérées si nous montons sur un tracteur, pas si nous gérons la comptabilité, le planning de découpe de viande ou la fromagerie. Nous subissons de ce fait une pression sur notre santé, car nous avons le devoir d'être l'équivalent de l'homme. Comme l'a très bien dit Mme Gautier, nous n'avons pas la même morphologie, ni les mêmes besoins en termes d'ergonomie, d'outils et d'aménagement. Ces éléments conduisent à des problèmes de santé récurrents. Un rapport a montré que les accidents du travail étaient moins nombreux chez les femmes, mais que nous étions touchées par davantage de maladies professionnelles musculo-squelettiques. Au travers de discussions, j'ai réalisé que nous étions nombreuses, dans l'agriculture, à être opérées pour des descentes d'organes. Personne ne nous en parle.

Ces problèmes de santé nous conduisent à réaménager nos postes. Lorsque nous ne pouvons plus porter les mêmes charges ou travailler de la même manière, nous nous sentons dépossédées de certaines tâches. Si nous installons un robot de traite, les femmes en sont exclues, car l'informatique est réservée aux hommes. Il faut croire que nous n'avons pas assez de compétences dans le domaine. Nous sommes écartées de certains postes de notre métier en raison de nos problèmes de santé. Il pourrait être proposé de dispenser davantage d'informations concernant notre morphologie ou notre vieillissement. Ayant eu quatre enfants, ma ceinture pelvienne a été fortement sollicitée.

Les femmes nous indiquaient que les salariés font souvent l'objet de contrôles pour constater l'adaptation de leur travail à leur situation. Les salariés agricoles sont concernés, mais plus les chefs d'exploitation. Nous recevons simplement un courrier nous invitant à consulter notre médecin traitant au bout de cinq ans. Celui-ci se trouve parfois à vingt-cinq ou trente kilomètres de notre domicile. Ce n'est pas notre priorité. Nous n'y pensons pas. Nous avons, nous devons le reconnaître, une culture de sacrifice. Nous passons toujours après nos animaux, après nos enfants. Prendre soin de nous-mêmes n'arrive qu'en dernier lieu.

Abordons à présent la charge mentale. La bande dessinée présentée par Céline tout à l'heure comporte une page représentant une femme sur un tracteur. Dans sa tête, elle pense au rôti à décongeler pour le repas du soir, à la déclaration TVA à envoyer avant la date butoir, à sa mère qui devrait garder les enfants durant quinze jours cet été, pendant la moisson, à la réinscription de sa fille Léa au foot, seule activité de la commune, à la réunion parents-profs au lycée se situant à trente-cinq kilomètres - elle devra voir si son mari peut s'occuper des chèvres pour qu'elle puisse s'y rendre - et, zut, elle a des boutons sur les pieds, elle a sûrement une mycose, mais ne sait pas à quel moment elle pourra placer un rendez-vous chez le médecin. Cette représentation s'approche du quotidien de ces femmes !

Je voulais apporter mon témoignage, vécu durant le confinement. Mon mari était souvent au hangar, juste à l'extérieur de la maison, pour trier les semences. J'étais moi-même dans la maison, en train d'établir mon planning de découpe de viande. Mon fils est descendu pour me demander de faire ceci, cela. Je lui ai indiqué que ce n'était pas possible puisque j'étais en train de travailler, et qu'il demande à son père. Il m'a répondu « mais non, papa travaille ». Quand je lui ai demandé si moi, je ne travaillais pas, il m'a répondu par la négative, car j'étais à la maison. Dans beaucoup de fermes, les bureaux se trouvent dans l'habitation. Lorsque nous sommes dans notre maison, les agents extérieurs et périphériques considèrent que nous ne travaillons pas. Nous n'avons pas, à cet instant, la fonction « travail ». Lorsque nous demandons à la banque de nous prêter de l'argent pour acheter un tracteur, elle accepte. Lorsque nous lui adressons la même demande pour des bureaux à l'extérieur, elle est plus réticente.

Nous constatons en outre que la MSA peut nous fournir des aides à destination des bâtiments ou de l'élevage. Elles concernent toujours l'aspect production. Demander une aide pour construire une pièce extérieure à la maison, dans laquelle réaliser les tâches administratives, est plus compliqué. J'émets donc cette proposition qui permettra d'alléger la charge mentale des femmes : lorsque je suis à l'extérieur de la maison, je travaille.

Sur les congés maternité, je rejoins les propos de ma collègue pointant un problème de compétences. Nous pouvons trouver du monde pour monter sur un tracteur ou soigner les animaux, en regroupant parfois plusieurs exploitations. Nous trouvons moins de personnel pour classer les factures et les envoyer chez le comptable. Il n'y a personne pour préparer la vente et nous remplacer sur le marché !

Le délai de carence des indemnités journalières est de sept jours. Récemment, une femme m'indiquait que son mari s'était ouvert la main en pleine période des foins. Le couple a donc embauché quelqu'un pour le remplacer. Il ne pouvait toucher d'indemnités journalières de 24 euros qu'après sept jours. Les foins étaient terminés après ce délai. Cette carence d'une semaine n'est peut-être pas adaptée à l'agriculture. Lorsque nous avons besoin de quelqu'un, nous en avons besoin tout de suite et pas dans sept jours.

Enfin, nous ne parlons pas suffisamment des femmes d'agriculteurs travaillant à l'extérieur. Nous l'avons dit, l'agriculture est un projet de vie. La femme travaillant à l'extérieur est aussi, de manière indirecte, concernée par la ferme et ses activités. Je suis toujours dépitée d'entendre, lorsqu'une exploitation affronte des difficultés financières, que la femme devrait travailler à l'extérieur pour ramener du revenu. Elle peut trouver un emploi de service, dans une maison de retraite, faire des ménages. La femme devient la variable d'ajustement des problèmes financiers rencontrés à la ferme.

Les femmes travaillant à l'extérieur et devant télétravailler sont les premières victimes de l'éloignement du milieu rural, de la perte de services publics, de l'éloignement des écoles et activités pour les enfants. Lorsqu'on nous parle de télétravail, encore faudrait-il que nous disposions de l'informatique nécessaire, et notamment de la fibre. Or celle-ci ne couvre pas l'ensemble du territoire. Une femme m'a indiqué qu'elle retournait travailler en présentiel, car elle ne bénéficiait pas de moyens informatiques suffisants pour télétravailler à la ferme.

Mes collègues ont indiqué que les femmes agricultrices avaient dû quémander pour faire valoir leurs droits durant la crise Covid et pour être vues comme des professions essentielles. Comme les infirmières, elles ne pouvaient pas emmener leurs enfants partout. J'ai vu des femmes porter leur bébé en écharpe pendant la traite. Je tiens à signaler que les enfants dans le monde agricole endossent parfois le rôle d'un salarié, très tôt. Durant la pandémie, les marchés ont fermé, comme certains magasins. Il a été demandé aux agriculteurs de compenser ces fermetures pour continuer à nourrir la population. Il n'a pas été possible d'ajouter des services sans augmenter les prix. À la ferme, nous faisons de la vente directe. Nous avons demandé à nos enfants de nous aider, pour offrir ce service sans répercuter une hausse des prix sur les consommateurs.

J'aimerais que la MSA se penche sur le sujet des enfants d'agriculteurs souffrant de problèmes de santé, car ils sont amenés à travailler beaucoup plus tôt que dans d'autres professions. Merci.

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