Intervention de Jean-Michel Arnaud

Mission commune d'information Effets des mesures en matière de confinement — Réunion du 5 juillet 2021 à 14h35
Examen des recommandations sanitaires économiques et budgétaires

Photo de Jean-Michel ArnaudJean-Michel Arnaud, rapporteur :

L'étude de comparaison internationale que la mission a commandée au cabinet TAJ revient sur un certain nombre de constats, appuyés par des comparaisons internationales entre la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni.

Pour faire face à l'épidémie et aux conséquences des restrictions de liberté, la réponse économique de l'ensemble de ces États a principalement été portée par l'endettement public, de sorte que ce sera, encore une fois, aux générations futures d'assumer les conséquences des choix budgétaires qui ont été faits.

Les déficits publics ont en effet été décuplés par un effet ciseau composé d'une baisse des recettes publiques et d'une hausse des dépenses : ainsi, en France en 2020, les recettes de prélèvements obligatoires ont diminué de 44 milliards d'euros, tandis que les dépenses ont augmenté de 73,5 milliards d'euros.

En plus de la croissance de la dette, le produit intérieur brut a fortement diminué, de sorte que le ratio de dette sur PIB a augmenté de 17,5 points, pour atteindre environ 117 % du PIB.

Il faut ici rappeler que la France est entrée dans la crise avec des finances publiques qui n'avaient pas été assainies et un niveau de dettes publiques très élevé, déjà proche des 100 points de PIB.

Si les dépenses publiques doivent avoir un rôle contra-cyclique en période de crise, il semble indispensable de rappeler que la hausse de l'endettement public, si elle n'est pas maîtrisée, peut également avoir des conséquences très négatives lorsque les États ne dégagent pas d'excédents en phase haute du cycle pour rembourser leurs dettes. Ces recommandations, souvent avancées dans le débat public, semblent avoir été volontairement ignorées durant toutes ces années...

Alors que la sortie de la pandémie reste une perspective incertaine, le faible espace budgétaire dont la France dispose pour faire face à une nouvelle dégradation de la situation demeure particulièrement inquiétante. En d'autres termes, nos marges de manoeuvre sont devenues particulièrement faibles.

À l'inverse, et à titre d'exemple, l'Allemagne disposait avant la crise d'un espace budgétaire beaucoup plus conséquent et a pu mobiliser une capacité d'endettement d'autant plus importante pour apporter un soutien massif à son économie.

Pour soutenir l'économie, le choix de l'exécutif français a porté sur le soutien aux liquidités des entreprises, principalement via les prêts garantis par l'État (PGE), tandis que d'autres pays ont davantage mis l'accent sur la solvabilité, c'est-à-dire la viabilité des entreprises. En d'autres termes, la France a choisi de s'assurer que les entreprises ne manquent pas de trésorerie, tandis que certains de nos voisins ont choisi de les prémunir de la faillite. En effet, il ne suffit pas de disposer d'avances de fonds pour connaître un développement pérenne. Encore faut-il être capable de les rembourser.

D'après une étude du fonds monétaire international, les dispositifs mis en oeuvre par les différents États européens auraient permis de répondre à hauteur de 80 % aux besoins de liquidités, mais ne permettraient de répondre qu'à 40 % des besoins en solvabilité, en particularité concernant les petites et moyennes entreprises.

Le maintien de l'accès aux liquidités a permis de reporter les faillites dans la plupart des États de la comparaison : hors le cas de l'Espagne, on a en effet observé une baisse du nombre de faillites en 2020.

C'est également ce que montre la comparaison du cabinet TAJ : dans l'ensemble des pays étudiés, la crise de la liquidité a été plutôt bien évitée et les entreprises ont dans l'ensemble réussi à obtenir des financements grâce aux dispositifs mis en oeuvre. En revanche, comme nous l'avons vu, la question de la solvabilité a fait l'objet d'un traitement différencié entre les différents pays.

Je cite l'étude TAJ : « l'Allemagne a aidé les entreprises au travers d'apports en fonds propres et de réductions de coûts fixes [et] le Royaume-Uni a eu moins recours aux prêts garantis, privilégiant les aides financières directes. »

La question de la solvabilité et de la viabilité d'un grand nombre d'entreprises françaises reste donc pleinement posée.

D'après la note de la direction générale du Trésor sur « L'impact de la pandémie de Covid-19 sur les entreprises françaises », plus optimiste, la part des entreprises qui seraient devenues insolvables sans les soutiens publics s'élèverait à 11,9 %, tandis qu'une fois pris en compte les différents dispositifs, cette part descendrait à 6,6 %. La note relève également que la hausse du niveau d'endettement des entreprises françaises pourrait freiner leurs investissements à l'avenir. Ainsi, même en cas de retour de l'activité au même niveau qu'avant crise, la baisse du niveau de l'investissement privé atteindrait près de 4 milliards d'euros.

Pour préciser cette analyse, le cabinet Taj s'est efforcé d'évaluer l'impact de la crise dans plusieurs secteurs si les mesures de soutien n'avaient pas été mises en oeuvre.

Ainsi, les entreprises du secteur de la restauration et de l'hébergement auraient perdu 13,1 points de rentabilité par rapport à 2019, ce qui aurait entraîné une perte de trésorerie se traduisant par une augmentation du nombre d'entreprises illiquides de 34 %. Après les mesures de soutien mises en oeuvre, cette perte ne représente plus « que » 1,3 point, soit une compensation de 11,8 points.

Dans le secteur du transport de personnes, les entreprises auraient perdu 10,5 points de rentabilité sans mesure de soutien, ce qui aurait entraîné une augmentation du nombre d'entreprises illiquides de 61,9 %. A contrario, les dispositifs d'aide auraient permis de ramener cette perte à 0,3 point, soit une compensation quasi-intégrale des pertes subies.

L'objectif du « quoi qu'il en coûte » n'a donc pas été atteint.

L'étude commandée par la mission d'information montre clairement que les différents dispositifs n'ont pas permis de préserver la situation de l'économie française : la baisse de marge très forte des entreprises françaises sur la période, de l'ordre de 14 %, est la plus forte des pays sous revue après l'Espagne (- 17 %). À l'inverse, les entreprises britanniques et allemandes n'ont quasiment subi aucune baisse de marge, et celle constatée en Italie est restée bien plus modérée qu'en France (- 6 %).

En outre, selon l'étude, la part d'entreprises insolvables atteindrait 18 %, laissant ainsi présager une vague massive de faillites dans les mois à venir.

Le « quoi qu'il en coûte » ne signifiait pas uniquement que les vannes de la dépense étaient grandes ouvertes. En cela, il a rempli son objectif. Cela signifiait également que tous les salariés et toutes les entreprises devaient être protégés par ce soutien public. Or, sur ce point, les chiffres que je viens de rappeler témoignent que l'objectif n'a pas été atteint.

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