Jean-Michel Arnaud vient de nous livrer ses conclusions sur la situation des finances publiques et la santé financière des entreprises. Mon propos se concentrera sur un aspect spécifique de l'étude du cabinet TAJ, la situation des jeunes.
Tout le monde a salué, à raison, la mise en place de l'activité partielle, qui a permis d'éviter - pour un temps - une vague de licenciements qui aurait eu lieu si les entreprises avaient dû à la fois continuer de verser les salaires sans engranger aucun chiffre d'affaires. Les salariés - c'est sûr - n'ont pas à payer les conséquences des mesures de fermeture décidées par les pouvoirs publics.
Ce dispositif d'activité partielle et, de façon générale, le choix de prendre des mesures essentiellement au bénéfice des salariés en emploi, ont toutefois eu un effet de bord sur l'emploi des jeunes. Ces derniers n'étaient le plus souvent pas titulaires de contrats de travail concernés par l'activité partielle, puisqu'ils travaillaient en CDD ou sur des emplois saisonniers, ou bien étaient sur le point d'entrer sur un marché du travail qui a brutalement arrêté toute embauche.
L'emploi des 15-24 ans est donc fortement affecté depuis le début de la crise. Par exemple, lors de la première vague, en 2020, il a diminué de 11 % en France tandis qu'il s'est à peu près maintenu en Allemagne (- 1 %) et au Royaume-Uni (2 %).
À l'inverse, l'emploi des 25-64 ans a été globalement préservé et le nombre d'actifs de cette classe d'âge est à peu près revenu au niveau de 2019.
Il s'agit d'un choix assumé, délibéré, de concentrer le soutien sur une certaine catégories d'actifs. Les quelques mesures ponctuelles prises en faveur de la jeunesse n'ont évidemment pas été à la hauteur du choc qu'elle a subi, au même titre ou même parfois davantage que les salariés de 25-64 ans.
Bien qu'un rebond ait pu être observé durant l'été 2020, à la faveur notamment des emplois saisonniers, le niveau d'emploi des jeunes se trouvait toujours fin 2020 environ 3 % sous sa moyenne de 2019.
D'autre part, l'étude commandée par la mission observe qu'en mars-avril 2021 « le recul du nombre d'actifs chez les jeunes est quasiment similaire au recul du nombre d'employés par rapport à 2019. En d'autres termes, les pertes d'emplois se sont, in fine, traduites par une sortie des jeunes du marché du travail, et non par une hausse du chômage ». En pratique, de nombreux jeunes actifs ne se sont pas inscrits dans une démarche de recherche d'emploi et se sont éloignés durablement du marché du travail.
Si certains l'ont fait pour reprendre ou prolonger des études, il est très vraisemblable que beaucoup subissent désormais une inactivité prolongée et contrainte.
Cette situation est particulièrement alarmante d'abord sur le plan personnel parce que ces jeunes se retrouvent sans ressource et qu'ils doivent supporter les effets des mesures de lutte contre la pandémie depuis le déclenchement de la crise (confinement, rupture du lien social, cours à distance, etc.). Ensuite, une telle sortie du marché du travail a un impact sur le « capital humain » du pays, les compétences se dépréciant à mesure que l'éloignement de l'emploi perdure. À moyen et long terme, cela se traduira par une perte de productivité et un affaiblissement de la croissance potentielle du pays.
Je note d'ailleurs un certain désintérêt du débat public pour cette question, pourtant cruciale. Le Sénat - lui - s'est à juste titre saisi de la question de la jeunesse au travers de différentes structures temporaires (Mission d'information sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse, Mission d'information sur les conditions de la vie étudiante en France ou encore, de façon indirecte, à l'occasion de la Mission d'information sur l'évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français). Mais l'impact de la crise sur les compétences et la productivité de notre pays est peu abordé, alors qu'il déterminera en grande partie notre croissance à moyen et long terme.
Cibler, comme cela a été fait, le soutien aux salariés je dirai « insérés » était sans doute plus facile que de s'adresser à l'ensemble des situations individuelles plus fragmentées (j'observe d'ailleurs que, contrairement à un certain nombre d'idées reçues, le Royaume-Uni a eu recours au chômage partiel dans des proportions bien supérieures à la France).
Il n'en reste pas moins que, globalement parlant, les jeunes sont les grands oubliés de la réponse budgétaire à la crise sanitaire. Le « quoi qu'il en coûte » a manifestement buté sur la diversité des situations particulières. Je ne dis pas que la solution est toute trouvée mais il me semble du devoir de notre mission d'alerter l'ensemble de nos collègues sur ce point, sans compter qu'il faudra bien un jour rembourser les montagnes de dettes accumulées et que c'est sur les jeunes d'aujourd'hui que cette charge pèsera. Entre les jeunes qui ont laissé tomber leurs études supérieures, ceux qui éprouvent de grandes difficultés à s'insérer sur le marché du travail et ceux qui y parviennent mais à qui on martèle qu'ils n'exerceront pas le même métier tout au long de la vie active, il est clair que les perspectives ne sont pas roses. L'étude menée par Taj montre que ce phénomène n'est pas propre à la France, mais il y est particulièrement préoccupant. Même si nous manquons sans doute de solutions, les pouvoirs publics doivent s'engager très vite pour faire face à ce double impact négatif.