Pourtant, mes chers collègues, le contexte dans lequel se sont déroulés nos débats aurait dû nous convaincre de la responsabilité écologique qui nous incombe : la canicule à Paris, les dérèglements climatiques récurrents, les fuites du nouveau rapport du GIEC anticipant des « retombées climatiques cataclysmiques » ou encore le rapport Tirole-Blanchard qui souligne la « menace existentielle » que fait peser le réchauffement climatique.
Les signes annonciateurs sont là et nous continuons de disserter sur l’autorégulation des agents économiques, de multiplier les expérimentations sans définir de trajectoires claires, de ne pas entendre ce que nous disent les citoyens formés par les meilleurs experts que compte notre pays.
À force de surplace, de communication, d’aveuglement devant les conséquences réelles du changement climatique, devant ce temps que nous laissons filer, nous construisons des usines à gaz et organisons notre propre impuissance, comme avec le démantèlement d’EDF, par exemple, au lieu de nous attaquer vraiment à la réduction des gaz à effet de serre.
Comment voulons-nous revivifier notre démocratie si nous nous condamnons à l’inaction ? Lorsque le Gouvernement abaisse la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), nous n’assumons pas notre leadership écologique, apparu au précédent quinquennat avec l’accord de Paris.
Et pourtant, le ferment du nouvel universalisme français du XXIe siècle consiste bien à lier l’écologie à la justice sociale. Le GIEC nous y invite : « Nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et Gouvernement […] Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation ».
Ce projet de loi y participe-t-il ? Malheureusement non, ou trop fébrilement.
Mes chers collègues, il ne s’agit d’être non pas alarmistes, mais réalistes. Nous ne pouvons que regretter que le Sénat, dans sa majorité, n’ait pas encore terminé sa mue écologique. Trop de vieux réflexes, trop de certitudes nous confinent encore à l’insécurité écologique. Si bien que toute une jeunesse, touchée par la faiblesse générale de nos débats, appelle aujourd’hui à ce que l’ensemble de la classe politique soit formée aux enjeux climatiques, tout comme le furent les 150 citoyens tirés au sort.
Pour notre part, malgré les nombreux amendements que nous avons déposés et défendus, nous n’avons pas réussi à convaincre la majorité sénatoriale de corriger ce projet de loi d’affichage, parcellaire et insuffisant au regard de nos objectifs pour rester en deçà de 1, 5 degré.
Nous pouvons tout de même nous réjouir de l’adoption de quelques-unes des propositions que nous semons depuis bientôt cinq ans – la patience a du bon. Je pense à l’introduction de critères sociaux dans l’affichage environnemental, au renforcement du contrôle des engagements des publicitaires et à l’introduction des objectifs de développement durable (ODD) dans les principes de l’achat public, aux mesures relatives à la pollution des sols, traduction des propositions de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols, dont Gisèle Jourda était rapportrice, et de la proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, portée par Nicole Bonnefoy.
Nous avons également obtenu quelques avancées au titre III comme la création d’un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule propre afin d’alléger le reste à charge des ménages modestes et la réduction du taux de TVA pour le transport ferroviaire de voyageurs.
En outre, comme l’a souligné notre collègue Henri Cabanel, la Haute Assemblée a approuvé la reconnaissance, chère à Franck Montaugé, des externalités positives de l’agriculture et le développement des services environnementaux et d’aménagement des territoires ruraux. Il s’agit d’une avancée très importante, au même titre que l’introduction dans notre politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation de la nécessité de préserver nos agriculteurs de la concurrence déloyale des produits importés ne respectant pas les normes imposées par la réglementation européenne.
Toutefois, au regard des avis défavorables émis par le Gouvernement, il est à craindre que ces quelques acquis ne résistent pas à la commission mixte paritaire…
Par ailleurs, nos critiques sur l’absence de justice sociale demeurent fondées après deux semaines de débat. On ne trouve rien dans ce texte sur la résilience sociale. N’oublions pas que le mouvement des gilets jaunes est né d’une augmentation de la taxe carbone et qu’il a conduit au gel de la trajectoire de la contribution carbone en 2019.
Sans évaluation des impacts sociaux des mesures prises en termes de pouvoir d’achat et d’emplois, la transition écologique est condamnée à échouer, faute d’acceptabilité sociale.
Notre proposition de garantie emploi vert, qui a reçu un avis défavorable, aurait permis la conversion écologique de notre modèle économique. Vous avez préféré reculer face au e-commerce et favoriser la casse sociale et environnementale. Nier la dimension solidaire de la transition écologique ne fera que renforcer les inégalités face au réchauffement climatique.
Je terminerai par une illustration très concrète de nos débats, qui démontre nos difficultés, en tant que groupe de l’opposition, à faire valoir le réalisme écologique : d’un côté, le Gouvernement refuse d’élargir l’interdiction, prévue à l’article 36, des vols réguliers de moins de deux heures trente aux vols effectués en jet privé, car cela « remettrait en cause la liberté d’aller et venir » selon Mme Wargon – ne touchons surtout pas aux ultraprivilégiés ! – alors qu’il s’agit de défendre l’intérêt général et nos enfants ;…