Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 24 juillet 2015 fixait pour la première fois le cadre légal de l’action des agents de la communauté du renseignement français. Notre rapporteur Philippe Bas affirmait, à l’occasion des débats parlementaires, qu’elle était « le signe de la maturité de notre démocratie ».
Cette maturité repose sur un subtil équilibre entre la recherche de l’efficacité des services de renseignement, qui sont essentiels à la défense de notre souveraineté, et la protection des droits et libertés constitutionnels, au premier rang desquels se situe la protection de la vie privée.
Six ans plus tard, il convient de consolider cet équilibre, afin de faire face à une double évolution : d’une part, celle de la menace qui pèse sur la sécurité intérieure et la défense de notre pays ; d’autre part, celle qui est liée à l’essor des nouvelles technologies.
Les derniers attentats, ceux de Conflans-Sainte-Honorine et de Rambouillet par exemple, ont montré que le risque terroriste évoluait vers un « djihadisme d’atmosphère », comme le qualifie Gilles Kepel, nécessitant de nouvelles méthodes pour détecter les « signaux faibles » du passage à l’acte. S’y ajoute une menace exogène persistante et la montée en puissance de certaines mouvances contestataires, via l’exacerbation d’actions subversives violentes.
Par ailleurs, les nouvelles techniques de communication, comme la 5G ou les communications satellitaires, imposent de doter les services de la communauté du renseignement français des moyens adaptés à l’évolution des pratiques des terroristes et des criminels.
Si le caractère contraint des délais encadrant l’examen de ce texte nous paraît regrettable, il est justifié par une double menace juridique.
Le terme de l’expérimentation du recours aux algorithmes a tout d’abord été reporté au 31 décembre 2021, ce qui risque de priver les services du renseignement d’une technique prometteuse. Limité à la finalité de la lutte contre le terrorisme, le traitement automatisé des données de connexion a montré tout son potentiel.
C’est pourquoi nous vous proposerons de pérenniser cette technique dans son principe, tout en limitant son extension aux URL à une expérimentation d’une durée de quatre ans, à l’issue de laquelle nous espérons avoir davantage de recul sur son utilisation. Le rapport sur les algorithmes promis au Parlement avant demain fait toujours défaut, ce qui n’aide pas à éclairer nos travaux.
L’autre menace juridique qui pèse sur les techniques de renseignement provient directement de l’application des normes européennes ! L’arrêt La Quadrature du Net de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020, ainsi que celui du Conseil d’État, French Data Network, qui en tire les conséquences, fragilise le système de conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation.
Les articles 15 et 16 du projet de loi, profitant du « chemin de crête » tracé par le Conseil d’État, précisent et encadrent la conservation de ces données. Ils la conditionnent à une « menace grave, actuelle et prévisible » et limitent l’utilisation des données à la sauvegarde de la sécurité nationale et à la lutte contre la criminalité grave.
Bien que les dispositions visées risquent de réduire les capacités d’enquête des autorités judicaires en cas d’infractions pénales ordinaires, je vous propose d’adopter ces articles qui maintiennent les capacités opérationnelles des services de renseignement.
Néanmoins, afin d’en atténuer l’impact, je vous soumettrai un amendement visant à préciser que les données de trafic et de localisation peuvent être utilisées pour la recherche des auteurs d’actes de criminalité et de délinquance grave.
Le corollaire de l’extension des moyens des services de renseignement est le renforcement du contrôle.
Le secret qui entoure naturellement le travail quotidien des agents des services de renseignement, auquel je veux rendre hommage pour leur dévouement et pour la protection qu’ils nous garantissent, est souvent source de fantasmes. Ces services sont pourtant soumis à de nombreux contrôles, par ailleurs renforcés dans ce texte : contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dont les pouvoirs seront dorénavant contraignants, en vertu de l’article 16 ; contrôle de la délégation parlementaire au renseignement, dont les capacités de surveillance sont élargies.
Quant à la difficile question de l’accès aux archives intéressant la défense nationale, elle a fait l’objet d’échanges nombreux entre les commissions des lois, de la défense et des affaires culturelles du Sénat.
Le choix est fait, à l’article 19, d’une large ouverture des archives intéressant la défense nationale, mais, en contrepartie, le même article crée certaines exceptions au délai de cinquante ans prévu pour les documents d’une particulière sensibilité et dont la communication prématurée serait de nature à nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation.
À condition – nous y insisterons – que les services détenteurs de ces documents sensibles fassent leur inventaire dans des délais raccourcis, l’équilibre entre la protection du secret-défense et le libre accès aux archives est, selon nous, assuré par ce texte.
Mes chers collègues, je vous demanderai de soutenir ce texte qui, par l’équilibre trouvé en commission des lois, renforcera les deux piliers de notre République que sont la liberté et la sécurité.