Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver pour l’examen du projet de loi de finances rectificative (PLFR), dont j’avais déjà évoqué la nécessité au mois de mai dernier, lors de mon audition par la commission des finances sur le projet de décret d’avance.
Il s’agit d’assurer le financement d’un certain nombre de besoins et d’engagements qui ont d’ores et déjà été pris, et de proroger des dispositifs qui nous paraissent utiles. Nous voulons permettre à nos concitoyens et à notre économie d’affronter cette période si particulière de sortie d’une crise qui n’a que trop duré.
Le projet de loi de finances rectificative est organisé en quatre volets.
Premièrement, ce texte permet la sortie de crise et le financement des différentes mesures nécessaires pour l’accompagnement des entreprises et des Français pendant la période transitoire.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons d’inscrire 15, 5 milliards d’euros au titre des dispositifs d’urgence.
Parmi ces crédits, 4 milliards d’euros sont destinés à compenser à la sécurité sociale les exonérations de cotisations que vous avez décidées dans différents textes.
En outre, 3, 4 milliards d’euros sont consacrés au financement du fonds de solidarité, avec son caractère dégressif, jusqu’à la fin du mois d’août. Je tiens à le souligner, à l’heure actuelle, plus de 30 milliards d’euros ont été engagés dans ce cadre depuis le 15 mars 2020, au bénéfice de 2, 2 millions d’entreprises.
Nous vous proposons également d’inscrire 6, 4 milliards d’euros au titre du financement de l’activité partielle. Je souhaite apporter une précision. Un mécanisme de prise en charge de l’activité partielle spécifique à la période de l’épidémie de covid-19 a été largement mobilisé. Cela nous a amenés à utiliser la trésorerie disponible sur l’activité partielle de longue durée, comme c’était prévu dans le cadre du plan de relance. Le crédit de 6, 4 milliards d’euros que nous vous proposons d’ouvrir permet donc à la fois de financer l’activité partielle, dite covid, mais aussi de « recharger » les crédits nécessaires au financement de l’activité partielle de longue durée, dispositif auquel les entreprises auront recours à partir de cet été.
Nous souhaitons aussi inscrire 150 millions d’euros de mesures spécifiques et sectorielles pour la culture, afin d’accompagner la sortie de crise du secteur, qui a connu, vous le savez, des difficultés.
Et nous vous proposons – j’y reviendrai dans un instant – d’inscrire 200 millions d’euros de soutien aux collectivités locales, en particulier à celles qui gèrent un certain nombre de services publics en régie et qui ont vu leurs recettes très largement détériorées par la crise économique.
Ces 15, 5 milliards d’euros de mesures d’urgence représentent un engagement massif de l’État et expliquent la dégradation du déficit, sur laquelle je reviendrai à la fin de mon propos.
Deuxièmement, nous voulons faciliter et accélérer la mise en œuvre du plan de relance.
Nous vous proposons ainsi des redéploiements limités, qui ne remettent pas en cause le caractère « vert » du plan de relance. Il s’agit de transférer des crédits aujourd’hui ouverts dans le budget vers des crédits ouverts dans le cadre du programme d’investissements d’avenir (PIA), mais avec la volonté de maintenir les efforts en matière de verdissement de l’économie.
Nous voulons aussi permettre des redéploiements pour assurer le financement des dispositifs relatifs à l’industrie du futur, mais aussi à la numérisation de l’économie et à l’agriculture. Autant de dispositifs qui ont connu un succès plus important que nous ne l’avions prévu et qui nécessitent de voir les crédits qui leur sont affectés rehaussés.
Troisièmement, le projet de loi de finances rectificative comporte des mesures nouvelles. Je tiens à le préciser, celles-ci ne se traduisent pas par une dégradation du déficit public.
Nous avons veillé à ce qu’elles soient gagées, entre autres, par des annulations de crédits placés en réserve de précaution. Nous avons fait en sorte de ne jamais annuler plus de 30 % à 40 % d’une même réserve de précaution.
Nous n’avons pas sollicité les ministères dont les budgets sont les plus tendus, comme les armées, les relations avec les collectivités locales ou l’égalité entre les femmes et les hommes.
Nous avons aussi gagé ces dépenses nouvelles en diminuant les crédits consacrés aux appels de garanties liés aux prêts garantis par l’État (PGE), et ce pour deux raisons. D’une part, la sinistralité que nous pouvions craindre sur les PGE sera moins importante que prévu. D’autre part, nous avons permis aux entreprises de reporter la date de première échéance de remboursement, ce qui éloigne mécaniquement le risque de sinistralité.
Si les mesures que nous vous proposons d’inscrire ne dégradent pas le déficit public, elles permettent de consacrer 700 millions d’euros à l’hébergement d’urgence : nous avons pris la décision de maintenir le nombre de places pendant tout l’été au même niveau que pendant la période hivernale.
En outre, 350 millions d’euros sont inscrits au bénéfice de l’agriculture pour financer les premières mesures d’indemnisation des agriculteurs touchés par le gel au cours du printemps dernier, mais aussi pour assurer le financement de dispositifs spécifiques, notamment en matière de grippe aviaire ou de jaunisse de la betterave.
Il s’agit aussi de financer le Pass’Sport, annoncé par le Président de la République, à hauteur de 100 millions d’euros ; de mettre en place des mesures spécifiques aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, pour 57 millions d’euros ; d’assurer le financement de l’augmentation des bourses versées aux étudiants du fait de la dégradation de la situation économique l’année dernière, à hauteur de 150 millions d’euros ; et, enfin, de prévoir une aide spécifique à la Nouvelle-Calédonie, pour 82 millions d’euros.
Quatrièmement, le projet de loi de finances rectificative accompagne la sortie de crise.
Pour cela, il comporte un certain nombre d’articles « de lettres », tendant notamment à reconduire pour la troisième année consécutive la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, exonérée de fiscalité et de cotisations. Cette prime exceptionnelle, que les entreprises peuvent verser si elles le veulent, a bénéficié à 3, 1 millions de personnes l’année dernière au sein de 560 000 établissements. Nous avons jugé utile de la reconduire pour permettre aux entreprises le souhaitant et le pouvant d’accompagner et de reconnaître l’investissement de leurs salariés.
Le texte permettra aux entreprises qui en ont besoin de contracter des prêts garantis par l’État jusqu’à la fin non pas du mois de juin, mais du mois de décembre, comme nous nous étions engagés lors de l’examen du programme de stabilité (PSTAB). Il permettra aussi de déplafonner et d’étaler dans le temps les dispositifs dits de carry back.
Deux mesures complémentaires ont été adoptées à l’Assemblée nationale. La première tend à proroger la durée de majoration du taux en matière d’IR-PME. La seconde renouvelle le dispositif de défiscalisation des abandons de créances pour les loyers professionnels. La première a été présentée sur l’initiative de Laurent Saint-Martin et la seconde sur celle de Jean-Noël Barrot.
Nous allons prévoir dans ces mêmes articles « de lettres » le dispositif spécifique aux collectivités locales. Il s’agit d’indemniser les régies, qui, confrontées à des situations souvent très particulières, ont connu une année 2020 extrêmement difficile.
Il s’agit en général de régies présentant une forme d’asymétrie dans leur organisation, avec des services publics administratifs assurés par des agents recrutés avec des contrats de droit privé ou, au contraire, des services publics industriels et commerciaux assurés par des agents recrutés avec des contrats de droit public ou dans le cadre du statut de la fonction publique.
Pour ces raisons, ces régies ont pu perdre beaucoup de recettes tarifaires sans pouvoir bénéficier des dispositifs d’accompagnement propres au secteur concurrentiel comme le prêt garanti par l’État, la mise en place de l’activité partielle ou encore le fonds de solidarité.
C’est la raison pour laquelle nous avons prévu un dispositif qui autorisera la compensation de la perte d’épargne brute de ces régies à hauteur de 120 millions d’euros. Nous avons veillé à faire en sorte qu’il concerne à la fois les communes, les intercommunalités, mais aussi leurs établissements publics. Un certain nombre de délégations de service public pourront être intégrées, dans des cas très particuliers, à ce dispositif de soutien.
J’aurai l’occasion de vous présenter un amendement pour que les régies publiques relevant d’un conseil départemental puissent être intégrées au dispositif, même si cela concerne très peu de structures ; en l’occurrence, j’ai notamment en tête les thermes du Gers.
Il y a dans le dispositif propre aux collectivités locales une deuxième enveloppe de 80 millions d’euros. Elle a pour objet d’accompagner les collectivités, communes et intercommunalités, qui, du fait d’une perte de recettes tarifaires plus importante que la moyenne, auraient vu leur épargne brute chuter de manière extrêmement importante, en tout cas beaucoup plus fortement que la baisse d’épargne brute des communes et des intercommunalités, une baisse que nous estimons à 7, 5 % pour l’année 2020.
Ces mêmes dispositions « de lettres » permettront un certain nombre d’avancées. Elles sont le fruit d’amendements déposés par les députés et adoptés par l’Assemblée nationale.
Le premier que j’évoquerai concerne les collectivités locales. Les députés ont proposé, et nous avons accepté, d’intégrer Île-de-France Mobilités dans le cadre du « filet de protection » en matière de recettes fiscales tel qu’il a été renouvelé dans le projet de loi de finances pour 2021.
De la même manière, les membres de l’Assemblée nationale nous ont suggéré de renouveler le dispositif dit des « vieux parents », qui permet aux ménages les plus modestes et aux ménages composés de personnes relativement âgées les plus modestes bénéficiant d’un certain nombre d’exonérations de continuer à en bénéficier dans le cadre de la réforme de la taxe d’habitation et de l’exonération de contribution à l’audiovisuel public.
Toujours en matière fiscale, un amendement a été adopté sur l’initiative du Gouvernement pour reporter encore la date d’entrée en vigueur du nouveau tarif en matière de gazole non routier (GNR). Nous avons considéré que, à la sortie de la crise, les difficultés relatives à l’approvisionnement en matières premières et la nécessité d’accompagner les entreprises sur le chemin de la reprise justifiaient un tel report.
L’Assemblée nationale a aussi adopté un amendement du Gouvernement qui permettra à la société d’exploitation du tunnel sous la Manche d’installer un espace de détaxe à l’entrée du tunnel et sur les quais d’embarquement de l’Eurostar.
Enfin, le projet de loi de finances rectificative comporte un certain nombre de mesures qui ont, certes, un caractère budgétaire, mais qui ne dégradent pas le déficit public. En effet, elles n’ont pas de « caractère maastrichtien », pour reprendre un barbarisme dont l’emploi est devenu monnaie courante.
Il s’agit à la fois d’autoriser l’Agence des participations de l’État à engager 2 milliards d’euros supplémentaires pour des opérations stratégiques qui pourraient intervenir d’ici à la fin de l’année et d’accompagner le secteur du transport aérien, notamment le budget annexe du contrôle aérien, à hauteur de 200 millions d’euros.
Le fonds de développement économique et social, qui devient un fonds de transition, est abondé à 600 millions d’euros, ce qui le porte à 3 milliards d’euros. Ainsi, les entreprises rencontrant des difficultés de trésorerie, des difficultés de liquidité ou de fonds propres, confrontées au refus ou à une impossibilité d’accompagnement du secteur bancaire, alors même qu’elles interviennent dans un secteur viable ou connaissent des difficultés conjoncturelles, pourront être accompagnées par l’État dans le cadre de prêts de longue durée leur permettant de traverser la reprise d’activité, donc de faire face à la crise.
De telles dispositions ont évidemment des conséquences. Le budget rectificatif que je vous présente actualise les prévisions en matière de finances publiques. L’inscription des 15, 5 milliards d’euros de mesures d’urgence a pour effet de porter désormais le déficit public à 9, 4 % du PIB.
Paradoxalement, nous vous proposons d’actualiser le poids de la dette publique à 117, 2 % du PIB, soit moins que ce qui a été voté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021. Cela tient compte de l’actualisation des analyses de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Ce dernier a considéré que la récession connue en 2020 n’était pas de 8, 2 %, mais de 7, 9 % – je rappelle que nous avions travaillé aussi sur des hypothèses à 11 %. Les variations portant à la fois sur le numérateur et le dénominateur amènent à une légère réduction du poids de la dette en termes de pourcentage du PIB, même si, comme vous le savez, celle-ci s’est évidemment alourdie au cours de l’année 2020.
Nous aurons, dans les temps à venir, et notamment lors de l’examen du projet de loi de finances, à souligner un certain nombre de nécessités : revenir à un niveau plus soutenable de dépenses publiques ; veiller à ce que les mesures d’urgence et de relance que nous avons mises en place gardent un caractère ponctuel, circonscrit dans le temps et dans l’espace pour ne pas entraîner une augmentation trop importante du poids de la dépense publique et obérer ainsi nos capacités de rebond ; trouver le bon équilibre dans cette période qui s’ouvre, pour revenir à une trajectoire de finances publiques plus soutenable, mais aussi pour accompagner la reprise et la croissance.
C’est par la croissance que nous pourrons faire face à nos engagements, mais aussi tourner la page de l’épidémie et de la situation actuelle.
Nous aurons à en débattre lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2022, mais également lorsque nous discuterons – ce sera le cas au mois de juillet à l’Assemblée nationale et, me semble-t-il, à l’automne au Sénat – des propositions de réforme de la gouvernance des finances publiques et des lois organiques relatives aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale formulées par plusieurs députés et membres de la Haute Assemblée.
En attendant, le Gouvernement vous propose d’adopter le présent projet de loi de finances rectificative et reste à votre écoute et à votre disposition pour répondre à vos éventuelles interrogations sur ce texte.