Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’encre du décret d’avance par lequel le Gouvernement prévoyait l’ouverture et l’annulation de crédits à hauteur de 7, 2 milliards d’euros n’était pas encore sèche que l’on nous annonçait le dépôt, quelques jours plus tard seulement, d’un projet de loi de finances rectificative ! Nous voilà réunis pour l’examiner.
Sur la forme, comme vous le savez, monsieur le ministre, j’étais partisan du dépôt plus précoce d’un texte devant le Parlement, dès le mois de mai, permettant tout de suite un examen par les deux assemblées et une discussion sur les mesures proposées par le Gouvernement.
Tous, nous espérons que ce texte sera bien celui de la sortie de crise avec un soutien en faveur des entreprises encore touchées par les dernières contraintes et une pleine mise en œuvre du plan de relance. Malheureusement, les nouvelles du front sanitaire entament un peu notre optimisme des dernières semaines.
Du point de vue macroéconomique, avec un taux de 5 %, l’hypothèse de croissance retenue par le Gouvernement apparaît – il faut le dire – raisonnable. Mais ne nous réjouissons pas trop tôt : le rebond d’activité demeure fragile et devrait être moins important que celui de nos principaux partenaires européens. En effet, d’après les prévisions de croissance de la Banque de France, en 2022, nous dépasserions de 1, 2 point le niveau d’activité de 2019, alors que la zone euro serait globalement à +2, 1 points et l’Allemagne à +2, 5 points, c’est-à-dire plus du double.
Ce qui mérite également de nous alerter et nous engage collectivement pour l’avenir est la très forte dégradation de nos finances publiques, avec un déficit de 9, 4 % du PIB.
Cette dégradation par rapport à la loi de finances initiale s’élève en valeur à près de 34 milliards d’euros. Ce sont principalement les hausses de dépenses liées à la crise qui l’expliquent. Sur la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire », les ouvertures de crédit du PLFR sont de 9, 8 milliards d’euros. On nous demande d’ailleurs des rallonges budgétaires, notamment sur le fonds de solidarité, alors que le Gouvernement n’a pas encore clairement indiqué quelles seraient les modalités retenues pour les prochains mois. Je compte sur vous pour nous en dire plus, monsieur le ministre.
En outre, 2 milliards d’euros sont ouverts au titre des participations financières de l’État alors que des crédits avaient été annulés dans le décret d’avance quelques jours auparavant.
Le déficit budgétaire de l’État s’élève à lui seul à 220 milliards d’euros. Ce montant, s’il est effectif, constituera de loin le déficit budgétaire le plus important jamais connu, y compris en incluant 2020.
Pour autant, la dégradation du solde public apparaît presque sans effet sur le montant de la dette, dont le volume diminuerait par ailleurs, pour s’établir à 117, 2 % du PIB. À court terme, et en sortie de crise, une telle situation se comprend.
En revanche, il est indispensable que la France s’inscrive à compter de 2023 dans une trajectoire de réduction des déficits, comme le prévoit d’ailleurs le programme de stabilité. Je rappelle ainsi que ramener, comme prévu, le déficit sous la barre de 3 % du PIB en 2027 implique de réaliser entre 41 milliards et 68 milliards d’euros d’économies au cours du prochain quinquennat. Or, à ce jour, le Gouvernement n’a présenté aucune stratégie permettant d’atteindre un tel objectif de baisse de dépenses. Pourtant, cela doit se préparer dès maintenant.
Au demeurant, nos partenaires européens devraient, eux, retrouver une maîtrise de leurs comptes publics bien plus rapidement que la France. Il y va donc aussi de la crédibilité de notre pays sur les marchés financiers ; ne l’oublions pas. Les efforts devront être réalisés en intervenant sur les dépenses publiques.
J’en viens au budget de l’État proprement dit. L’augmentation du déficit budgétaire de 46, 7 milliards d’euros résulte, pour plus de la moitié, des crédits reportés de 2020 vers 2021 ; par définition, ceux-ci ne figuraient pas dans la loi de finances initiale. À ce titre, monsieur le ministre, je réitère mon scepticisme face à l’inventivité de votre ministère concernant ces reports, qui atteignent un niveau exceptionnel cette année et vont, à mon sens, bien au-delà de l’autorisation parlementaire.
Par ailleurs, l’augmentation des dépenses répond à un motif de précaution et d’extrême prudence qui va au-delà du nécessaire soutien à l’économie en période de crise. En effet, les montants inscrits au titre des différentes mesures de soutien restant actives se révèlent particulièrement élevés.
C’est pourquoi il nous semble exagéré que le Gouvernement demande parallèlement l’alimentation à hauteur de 1, 5 milliard d’euros de l’enveloppe des « dépenses accidentelles et imprévisibles ». Nous proposerons de la réduire à 500 millions d’euros. De surcroît, le Parlement ne saura qu’a posteriori comment ces crédits seront utilisés. Cela donne l’impression de « chèques en blanc » faits au Gouvernement alors que de nombreux reports et mouvements budgétaires ont déjà été opérés. Il convient de conserver une marge budgétaire raisonnable. Je l’espère, la crise est derrière nous, et la « valse des milliards » aussi !
Dans le même ordre d’idées, nous vous proposons de prolonger sur 2021 l’obligation pour le ministre de l’économie de nous informer avant toute opération réalisée sur des crédits ouverts sur le budget général au titre des participations financières de l’État.
En principe, ce PLFR doit aussi s’inscrire dans la concrétisation de l’accélération de la mise en œuvre du plan de relance. Or la consommation des crédits alloués reste encore très limitée avec, pour la mission « Plan de relance », 3, 8 milliards d’euros de crédits de paiement décaissés, si l’on exclut les dépenses liées à l’activité partielle d’urgence, soit un taux d’exécution de seulement 18, 1 % au bout d’un semestre.
Plusieurs autres postes de dépenses publiques doivent également être surveillés de près. Sur l’hébergement d’urgence, l’abondement prévu de 700 millions d’euros est très important, mais peut-être insuffisant au regard des besoins que le rapporteur spécial Philippe Dallier a précisément décrits dans un récent rapport de contrôle sur le sujet.
De même, le monde agricole a subi plusieurs crises cette année, notamment un épisode de gel tardif et une nouvelle épidémie de grippe aviaire. Le projet de loi de finances rectificative ouvre 350 millions d’euros, quand le Gouvernement a annoncé 1 milliard d’euros destinés aux seuls agriculteurs victimes du gel tardif.
Même si certains crédits n’auront à être ouverts qu’en fin d’année, nous proposons un amendement de crédit pour rehausser ce montant dès la présente loi de finances, afin de garantir 350 millions d’euros pour accompagner les victimes du gel tardif du dernier printemps.
Il y a finalement peu d’autres mesures fiscales et budgétaires significatives dans le texte. On peut tout de même mentionner l’allégement du carry back, dispositif de report en arrière des déficits au titre de l’impôt sur les sociétés. En l’occurrence, le Gouvernement donne finalement raison au Sénat, qui l’avait proposé en vain dès l’été 2020.
De même, la commission des finances soutient la prolongation de l’octroi de garantie de l’État au titre des PGE, ainsi que la reconduction de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA).
Nous pensons toutefois nécessaire de permettre plus facilement aux entreprises de moins de cinquante salariés de verser une prime exonérée d’impôt et de prélèvements sociaux et allant jusqu’à 2 000 euros.
Nous sommes en désaccord avec la majorité gouvernementale sur le report de la suppression du tarif réduit de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au GNR. De nombreux amendements, dont celui de la commission, tendent à la reporter au 1er janvier 2023. En effet, les députés sont revenus sur cette date, pourtant annoncée par le Gouvernement, en ne retenant en définitive que le 1er juillet 2022. Or il nous apparaît qu’il faut revenir avec pragmatisme sur une telle niche fiscale. Les secteurs concernés ont été durement touchés par la crise et les solutions de substitution à l’utilisation du gazole restent balbutiantes.
Dans un souci de respect des engagements et d’équité entre les Français ayant permis à notre pays de tenir le choc au plus fort de la crise, la commission des finances vous propose également d’exonérer d’impôt sur le revenu la majoration exceptionnelle de l’indemnisation des internes. Si les praticiens hospitaliers ont pu en bénéficier pour la majoration de leur indemnisation, tel n’a pas été le cas des internes. Or, monsieur le ministre, ces personnels ont été en première ligne pendant la crise sanitaire. Nous demandons au Gouvernement de tenir sa promesse.
Plusieurs amendements s’inscrivent aussi dans la démarche de soutien à la reprise économique en complétant utilement les mesures déjà en vigueur ou dans le texte. Ainsi en est-il de la traduction dans notre législation d’un mécanisme fiscal de déduction pour le capital à risques, qui porte ses fruits chez certains de nos voisins européens et qui est préconisé par le FMI et la Commission européenne. Il s’agit ainsi d’inciter à la levée de fonds propres, en neutralisant le biais fiscal en faveur de la dette.
Un dispositif permet également d’encourager les entreprises à investir dans la transition écologique, même en temps de crise.
Plusieurs mesures d’un coût modeste permettent aussi d’apporter un dernier soutien à certaines entreprises qui ont pu rencontrer des difficultés pour obtenir de l’aide ou qui sont particulièrement touchées par des crises sanitaires.
Nous souhaitons également proroger jusqu’à la fin de l’année 2022 le relèvement à 1 000 euros du plafond des dons éligibles à la réduction d’impôt du dispositif dit Coluche pour soutenir le tissu associatif directement en contact avec les personnes défavorisées.
Enfin, à propos des collectivités territoriales, il est proposé de reconduire en 2021 les « filets de sécurité » qui étaient prévus en 2020 pour certaines ressources spécifiques des collectivités d’outre-mer et de la collectivité de Corse, comme c’est le cas pour les autres dispositifs de droit commun.
Mes chers collègues, avec ce texte, nous traitons aujourd’hui la sortie de crise avec un soutien à la reprise et à la relance. La majorité des amendements déposés ou soutenus par la commission iront dans ce sens. Une suppression « en sifflet » des mesures d’urgence adoptées pendant la crise, proportionnée en fonction des secteurs et de l’évolution de la reprise de leur activité, est nécessaire. Il faut sortir de l’économie « sous perfusion » des aides de l’État.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission des finances vous propose d’adopter ce projet de loi de finances rectificative tel qu’il sera modifié par les amendements qu’elle vous soumettra et ceux auxquels elle sera favorable.