Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission des affaires sociales — Réunion du 7 juillet 2021 : 1ère réunion
Application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 — Examen du rapport d'information

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général :

Il me revient de vous présenter, pour la dernière fois, le rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Avant d'entrer dans des considérations financières parfois déplaisantes, je voudrais commencer cette intervention en saluant l'action de la sécurité sociale et de ses différentes branches auprès des Français lors de la crise sanitaire et économique de l'année dernière.

Je pense, en premier lieu, à la branche maladie, qui a notamment accompagné la campagne de tests et aujourd'hui la campagne de vaccination gratuitement pour les assurés sociaux - et qui a financé de nombreuses mesures exceptionnelles que nous détaillerons.

Je pense aux autres branches qui ont assuré l'ensemble des prestations dans un contexte financier délicat et une organisation du travail compliquée par la pandémie.

Je pense aussi à la branche recouvrement, très sollicitée dans la mise en place du soutien exceptionnel aux entreprises, en particulier celles qui ont été concernées par les fermetures administratives.

Et, hors du champ actuel des PLFSS, je pense aussi à l'assurance chômage, qui a contribué à maintenir à un niveau acceptable les revenus de nombreux travailleurs grâce notamment au dispositif exceptionnel d'activité partielle.

C'est dans la difficulté que chacun ressent le plus la réalité de ce filet de sécurité qu'est notre sécurité sociale pour tous les Français. Elle a su répondre présent en 2020. Raison de plus pour souhaiter sa pérennité, ce qui passe par la soutenabilité financière du modèle social en période plus calme.

Vous le savez déjà, la sécurité sociale a enregistré le plus fort déficit de son histoire en 2020 : 38,7 milliards d'euros sur le périmètre du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), et même 39,8 milliards en élargissant la perspective à l'ensemble des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS). Cela fait environ 10 milliards de plus que le précédent record, en date de 2010, au plus fort de la crise financière déclenchée en 2008.

Ces chiffres sont évidemment très différents de ceux que nous avions votés en LFSS 2020, avant le début de la crise sanitaire. Pour mémoire, il s'agissait d'un déficit de 5,4 milliards d'euros sur le régime général et le FSV, ce qui nous éloignait déjà de l'équilibre.

Le ministre Olivier Dussopt nous bien résumé, lors de son audition d'hier, le poids de chaque facteur de dégradation des comptes sociaux.

À titre principal, sous l'effet d'une récession de près de 8 % et de diverses mesures dont l'activité partielle, les recettes de la sécurité sociale ont été inférieures de 18,8 milliards d'euros à la prévision - 390,8 milliards au lieu de 409,6 milliards d'euros. Ce sont, en tout premier lieu, les cotisations sociales qui ont manqué à l'appel : elles diminuent de 5,8 %, du fait d'une baisse dans les mêmes proportions de la masse salariale du secteur privé. Les cotisations ont d'ailleurs failli passer sous la barre symbolique des 50 % du total des recettes du régime général et du FSV.

Du côté des dépenses, la situation peut se résumer simplement : les dépenses des branches vieillesse, famille et AT-MP n'ont été que peu affectées par la crise et sont relativement proches de la prévision de la LFSS 2020 ; en revanche, la branche maladie a subi à plein un redoutable effet de ciseaux. En effet, outre ses pertes de recettes, cette branche a dû financer un surcroît de dépenses de 16 milliards d'euros, dont 14 milliards au sein de l'Ondam.

Je vous rappelle les principaux postes de dépenses supplémentaires : 8,4 milliards d'euros sont destinés aux établissements de santé et médico-sociaux, 4,8 milliards d'euros de dotation exceptionnelle à Santé publique France et 2,3 milliards d'euros au titre des soins de ville entre indemnités journalières, tests et indemnisations des professionnels touchés par des restrictions d'activité.

En conséquence, le déficit de la sécurité sociale est avant tout le déficit de la branche maladie : 30,4 milliards d'euros en 2020 et 31 milliards prévus en 2021. Même le déficit de la branche vieillesse, de 3,7 milliards d'euros et 2020, et 4,4 milliards prévus en 2021, semble relativement modeste à côté de ce trou de l'assurance maladie, qui risque de se révéler particulièrement difficile à combler.

L'activité de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) mérite un développement particulier, plus approfondi qu'à l'accoutumée.

En première ligne face à la crise, l'agence a su répondre avec diligence aux facilités accordées aux entreprises les plus touchées par les effets du confinement. Sa trésorerie en a naturellement été très affectée, d'où un relèvement considérable de l'autorisation d'emprunt à court terme que nous lui avons accordée en LFSS pour 2020 : le plafond, initialement voté à 39 milliards d'euros a été successivement relevé à 70 milliards d'euros par un décret du 25 mars 2020 puis à 95 milliards d'euros par un nouveau décret en date du 20 mai 2020 - ce montant a été reconduit par la LFSS pour 2021 pour l'année en cours.

De fait, l'agence a atteint un point maximum d'emprunt de 89,7 milliards d'euros dans le courant du mois de juin. Or il ne suffit pas de disposer d'une autorisation d'emprunt pour obtenir les emprunts sur les marchés, l'Acoss ne pouvant s'endetter qu'à court terme. La volonté d'éviter tout incident de financement de l'Acoss, dont les conséquences auraient été incalculables en termes de solidité de la sécurité sociale, explique sans doute la relative précipitation avec laquelle nous avons été invités à voter le projet de loi sur la dette sociale et l'autonomie : il fallait « détendre » la trésorerie de l'Acoss en permettant à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) de reprendre rapidement une partie des découverts correspondant au financement des déficits passés.

Par ailleurs, nous en avons parlé hier avec M. Dussopt, je vous rappelle que la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche recouvrement. Ce refus, qui jette une ombre sur l'exactitude des comptes qui nous présentés, est principalement dû à des raisons liées à l'exercice 2020 : fondement juridique de certaines opérations ; comptabilisation d'opérations exceptionnelles, etc.

Néanmoins, une parfaite maîtrise des opérations semble le minimum avant d'envisager la mise en oeuvre d'une des mesures de la LFSS 2020, à savoir l'unification du recouvrement des cotisations de l'Agirc-Arrco et de l'Acoss. Le ministre nous a confirmé hier que ce rapprochement serait repoussé à 2023.

Nous attendons donc le rapport du Gouvernement qui expliquera les raisons de ce report et le décret qui le concrétisera. Mais je considère qu'il s'agit d'une mesure raisonnable, aucun droit à l'erreur n'étant permis tant en matière de recouvrement que de calcul des droits des assurés pour leur retraite complémentaire.

Alors, mes chers collègues, après cette rapide revue de l'exercice 2020, quelles perspectives pour les comptes de la sécurité sociale ?

Je souligne tout d'abord que notre commission a appuyé sur le fond les mesures prises pour faire face à la crise sanitaire, tant en termes de recettes qu'en termes de dépenses. Je ne veux donc pas jeter la pierre au Gouvernement ou aux différents gestionnaires pour le déficit de l'année dernière qui n'est que la conséquence du soutien que la sécurité sociale a apporté aux entreprises et aux assurés sociaux.

Néanmoins, alors que nous commençons à entrevoir la fin de la tempête, les enjeux des prochaines lois de financement de la sécurité sociale apparaissent vertigineux.

Tout d'abord, la trajectoire financière de la sécurité sociale est probablement bouleversée à long terme.

Les derniers éléments dont nous disposons ne redéfinissent pas de perspectives à moyen terme mais je vous rappelle que la LFSS pour 2021 prévoyait un déficit quasiment stabilisé à une vingtaine de milliards d'euros à l'horizon 2024.

Je vous rappelle surtout, alors que le déficit 2020 est principalement dû aux recettes, que le déficit des années à venir sera principalement tiré par les dépenses, en particulier par les dépenses d'assurance maladie, beaucoup plus difficiles à maîtriser. J'avais ainsi montré, dans le premier tome du rapport sur le dernier PLFSS, que le déficit de l'année 2023, prévu à 22,5 milliards d'euros, au lieu de 0,6 milliard d'euros en LFSS pour 2020, s'expliquait par un niveau de recettes amoindri de 7 milliards d'euros du fait de la perte de croissance et de masse salariale au cours de la période, et par un niveau de dépenses supérieur de 15 milliards d'euros, dont environ 12,5 milliards d'euros pour les dépenses relevant de l'Ondam.

La dette sociale a donc fait son grand retour. Alors qu'il y a peu, nous pensions pouvoir enfin la rembourser d'ici à 2024, ou un peu au-delà, cet horizon a été repoussé à au moins 2033 - M. Dussopt n'ayant pas exclu que l'Acoss doive en parallèle financer de nouveau une partie de cette dette à l'avenir au moyen de découverts, ce qui n'est évidemment pas sain.

En conclusion, je pense donc que notre commission devra se montrer attentive à la légitimité des charges que l'on impose à la sécurité sociale et à la Cades.

Je considère que nous avons eu raison de nous opposer au transfert à la Cades d'une fraction de la dette hospitalière qui ne correspond pas à de la reprise de déficits de la sécurité sociale. Nous devrons continuer à veiller à ce que la Cades ne devienne pas un fourre-tout, au risque de prolonger son existence à jamais.

Et, dans le même esprit, nous devrons défendre, comme l'année dernière, une juste compensation de ses charges afin que la « dette covid-19 » de la sécurité sociale soit traitée comme celle de l'État. Cela vaut pour les dépenses exceptionnelles prises en charge par Santé publique France - dont le transfert n'a été compensé qu'à hauteur de 150 millions d'euros à la sécurité sociale. Cela pourrait également valoir pour l'ensemble des pertes de recettes qui correspondent à des décisions de l'État, notamment celles dues à l'activité partielle.

Cependant, mes chers collègues, soyons conscients qu'une juste répartition des charges ne nous exonérera pas de mesures de maîtrise de la dépense, en particulier sur les branches vieillesse et maladie, qui seront forcément impopulaires. Notre commission devrait sans doute y réfléchir sans tarder.

Mon dernier mot sera pour souligner que l'exercice 2020, certes très particulier, a jeté une lumière crue sur les limites du cadre organique actuel des lois de financement de la sécurité sociale.

Malgré un solde chamboulé de plus de 30 milliards d'euros, malgré 14 milliards d'euros de dépenses supplémentaires dans le cadre de l'Ondam dont certaines n'étaient pas de nature assurantielle, malgré un quasi triplement du plafond d'endettement de l'Acoss, malgré une prolongation de neuf ans de la dette sociale, le Gouvernement n'a pas déposé de projet de loi financement rectificatif de la sécurité sociale en 2020 et ne le fera pas davantage en 2021.

De fait, il n'y était pas juridiquement contraint et c'est là que le bât blesse sans doute. M. Dussopt a vanté hier la souplesse que permet la LFSS. Mais cette souplesse est excessive.

Le cas de Santé publique France parle de lui-même : si la crise du covid-19 avait eu lieu en 2019, alors que cette agence était encore financée par l'État, le Gouvernement aurait dû demander au Parlement la hausse de ses crédits dans un collectif budgétaire - ce que le Parlement lui aurait accordé. Mais, dès lors que c'est la sécurité sociale qui paye la même dépense, tous les verrous sautent.

Ne nous y trompons pas : un tel laxisme entraîne de mauvaises habitudes et incite même à transférer à la sécurité sociale des dépenses que l'État peut trouver pratique de débudgétiser.

Ce n'est pas bon pour les finances publiques en général. Et ce n'est pas bon non plus pour les LFSS à long terme. Car quand les vents auront tourné, ceux-là même qui vantent la souplesse de ces lois sauront en tirer prétexte pour dire qu'une loi financière qui ne régente rien ne mérite pas d'exister...

C'est pourquoi nous devrons faire évoluer la LOLFSS afin de poser des bornes au-delà desquelles le Gouvernement devra revenir devant le Parlement, mais aussi pour en adapter le périmètre et renforcer le contrôle du Parlement. La question de l'instauration d'une règle d'or des comptes de la sécurité sociale, que nous avons déjà votée l'année dernière, reviendra également.

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