La mission d'évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale a souhaité inscrire à son programme de travail une mission relative aux réserves des régimes de retraite. En effet, pendant la crise sanitaire, ces réserves ont été utilisées par plusieurs caisses de retraite pour mettre en oeuvre des mesures de soutien à leurs cotisants. Ces usages sont certes louables, mais ne nous semblaient pas correspondre aux objectifs premiers de la constitution de réserves par les différents régimes, d'autant qu'elles se cumulaient avec différents dispositifs de soutien à l'activité économique déployés par les pouvoirs publics. D'autre part, les discussions actuellement en cours entre les partenaires sociaux au sujet des niveaux de réserves de certains régimes, à commencer par celui des salariés du secteur privé, l'Agirc-Arrco, nous ont mené à établir un état des lieux de ces provisions au lendemain de la crise sanitaire afin d'en mesurer pleinement les conséquences sur les caisses de retraite.
Avant toute chose, il convient de rappeler que les régimes de retraite constituent des réserves en pratiquant la « sur-cotisation », c'est-à-dire en fixant des taux de cotisation supérieurs à ceux qui seraient nécessaires pour assurer strictement le versement des pensions des retraités actuels.
Ces efforts consentis par les actifs cotisants de chaque régime visent premièrement à assurer aux caisses un fonds de roulement leur permettant d'absorber le décalage entre la perception des cotisations et le versement des pensions sans recourir à un ajustement brutal de leurs paramètres financiers ni recourir au marché privé de la dette. En effet, contrairement aux régimes de base, les régimes complémentaires ne disposent pas de la possibilité de solliciter des avances de trésorerie auprès de l'Acoss.
Toutefois, la majeure partie des réserves ainsi accumulées sont placées sur les marchés en contrepartie d'actifs financiers, ce qui leur permet de dégager des rendements venant les alimenter. Dans cette perspective de long terme, les réserves visent d'abord et surtout à préserver l'équilibre financier des régimes auxquels elles appartiennent face aux conséquences des crises économiques, comme la chute brutale du produit des cotisations sociales générée par la crise sanitaire, et des bouleversements démographiques, à commencer par le « papy-boom ». Ce phénomène, qui se traduit, dans la plupart des pays industrialisés, par une forte augmentation des effectifs de retraités, alourdira, dans les décennies à venir, la charge supportée par les cotisants dans le cadre du système par répartition. Ainsi, il n'y aura plus, d'ici 2070, que 1,3 cotisant par retraité, contre 1,7 aujourd'hui. Dès lors, la solidarité intergénérationnelle appelle les actifs à constituer des réserves aujourd'hui pour alléger la charge de financement du système de retraite qui pèsera sur les générations futures.
Avant la survenue de la crise sanitaire, l'ensemble des régimes de retraite disposaient de 157,5 milliards d'euros de réserves. Seuls deux régimes de base avaient constitué des réserves, ceux des avocats, géré par la CNBF, et des professionnels libéraux, géré par la CNAVPL, de même que trois régimes intégrés, c'est-à-dire qu'ils couvrent à la fois les cotisations et les prestations de base et complémentaires, ceux des agents des collectivités locales, géré par la CNRACL, des clercs de notaires, géré par la CRPCEN, et des personnels de la SNCF, géré par la CPRPSNCF.
Différents facteurs expliquent que les principaux régimes de base ne disposent pas de réserves :
- Premièrement, à l'exception des exercices 2016 et 2017, le régime général, géré par la CNAV, est en déficit depuis 2005. Cette situation ne lui permet évidemment pas de dégager des provisions en dehors du Fonds de réserve pour les retraites, attributaire des excédents du régime général jusqu'en 2005 ;
- En ce qui concerne la branche vieillesse de la Mutualité sociale agricole, le régime des exploitants agricoles a accumulé les déficits jusqu'en 2018, tandis que le régime des salariés agricoles, excédentaire depuis 2013, est adossé au régime général, auquel il transfère ses déficits comme ses excédents ;
- Enfin, le régime des fonctionnaires de l'État, dont la gestion est assurée par le Service des Retraites de l'État, est équilibré chaque année par la contribution employeur de l'État et n'est donc pas structurellement conçu de manière à pouvoir constituer des réserves.
En revanche, toujours à fin 2019, 98 % des réserves du système de retraite sont détenus par des régimes complémentaires, ceux-ci ne bénéficiant pas, comme nous l'avons vu, des mêmes facilités de trésorerie auprès de l'Acoss que les régimes de base. Les niveaux de réserves varient fortement en valeur absolue, de 100 millions d'euros pour le régime complémentaire de la MSA à plus de 84 milliards d'euros pour l'Agirc-Arrco.
Néanmoins, ces comparaisons ne veulent rien dire, dans la mesure où chaque régime a constitué des réserves en fonction des perspectives d'évolution de sa propre situation démographique et des horizons de décaissement qui en découlent. Il convient donc de rapporter le montant des réserves détenues par chaque régime aux charges qui incombent à celui-ci. Sous cet angle, il apparaît nettement que les caisses disposant des réserves les plus conséquentes en volume ne sont pas celles qui pourraient financer le versement de leurs pensions le plus longtemps à partir de leurs seules réserves. Ainsi, avant la crise, l'Agirc-Arrco ne pouvait couvrir qu'une seule année de versement des pensions avec ses 84 milliards d'euros de réserves, tandis que les 5,5 milliards de réserves de la CRPNPAC, qui gère le régime des personnels navigants, représentaient près de neuf années de pensions.