L'examen des réserves des régimes de retraite conduit nécessairement à se pencher sur la question du Fonds de réserve pour les retraites. Créé par le gouvernement de Lionel Jospin en 1999, géré par la Caisse des dépôts et consignations et alimenté par une dotation initiale et des abondements annuels, celui-ci devait atteindre 1 000 milliards de francs en 2020, soit 150 milliards d'euros, pour faire face à la « bosse démographique ».
Toutefois, les conséquences de la crise de 2008 ont eu raison de cet objectif initial. En effet, à partir de 2011, alors qu'il représentait 37 milliards d'euros, le FRR a été consacré au remboursement de la dette née des déficits successifs de la branche vieillesse du régime général et les abondements annuels ont cessé. Depuis lors, le Fonds verse 2,1 milliards par an à la CADES jusqu'en 2024. En outre, la soulte versée par le régime de retraite des industries électriques et gazières en contrepartie de son adossement au régime général, confiée au FRR, a été rétrocédée à la CNAV en 2020 à un niveau de 5 milliards d'euros.
Ainsi, le FRR, qui représentait encore près de 34 milliards d'euros en 2019, ne disposait plus que de 27 milliards à fin mars 2021. La forte performance financière des placements du Fonds, qui s'est élevée en moyenne à 4 % depuis 2004, a permis de limiter l'impact de la réforme de 2010.
En suscitant une forte diminution du produit des cotisations sociales du fait de la contraction de la masse salariale ou des mesures de report de paiement prises par les pouvoirs publics, la crise sanitaire qui a éclaté l'an dernier a directement impacté les réserves des régimes de retraite. En effet, de nombreuses caisses se sont trouvées contraintes de recourir à celles-ci pour assurer la continuité du versement des pensions. En parallèle, la crise financière du premier semestre 2020 a conduit à une forte dépréciation des actifs financiers en contrepartie desquels sont placées les réserves des régimes sur les marchés.
Dans un tel contexte, le déficit de la branche vieillesse du régime général s'est considérablement creusé, atteignant 6,2 milliards. Sans la rétrocession de la soulte CNIEG par le FRR, ce déficit aurait dépassé les 11 milliards d'euros. La loi du 7 août 2020 a donc prévu de nouvelles reprises de déficits par la CADES à hauteur de 92 milliards au titre des branches vieillesse, maladie et famille du régime général et de la branche vieillesse du régime des exploitants agricoles, entraînant la mobilisation du FRR jusqu'en 2033, et non plus 2024. Celui-ci procédera ainsi à neuf décaissements annuels de 1,45 milliard d'euros au profit de la CADES entre 2025 et 2033.
À l'inverse, certains des régimes les mieux dotés en réserves se sont reposés sur celles-ci pour apporter à leurs affiliés des aides exceptionnelles. Ainsi, avec l'aval du législateur, le régime complémentaire des travailleurs indépendants, géré par le CPSTI, a financé sur ses réserves une aide d'un milliard d'euros consistant en un remboursement des cotisations versées en 2018, dans la limite de 1 250 euros. Les régimes complémentaires des professions libérales ont également mis en oeuvre de tels dispositifs de soutien, de même que le régime des personnels navigants, qui permet à ses affiliés de valider leurs services au titre des périodes d'activité partielle sans appel de cotisations employeur.
En conséquence de la crise et des mesures prises pour y faire face, les réserves des régimes de retraite se sont amenuisées de 5 milliards d'euros en 2020, pour s'établir à 152 milliards. Compte tenu de cette diminution et des nouveaux décaissements prévisionnels du FRR au profit de la CADES jusqu'en 2023, la situation patrimoniale nette du système de retraite, c'est-à-dire la somme des réserves détenues par les régimes et de l'actif résiduel du FRR après le dernier décaissement prévu, s'est plus fortement dégradée, passant de 179 à 161 milliards d'euros entre 2019 et 2020, en recul de 10 %.
Certains régimes se sont avérés particulièrement solides pendant la crise et n'ont que peu ou pas recouru à leurs réserves, notamment les régimes dits « jeunes », dont la population de cotisants excède largement les effectifs de retraités, c'est-à-dire les régimes des avocats et des professionnels libéraux. Il en va de même du régime des contractuels de droit public, géré par l'IRCANTEC, qui n'a pas été concerné par l'activité partielle, à l'instar des autres régimes du secteur public. À l'inverse, plusieurs régimes ont été fortement fragilisés, à commencer par l'Agirc-Arrco, dont les réserves ont diminué de 4,5 milliards d'euros. Les réserves du régime complémentaire des indépendants, quant à lui, ne représentaient plus que 7,8 années de versement des pensions à fin 2020, contre 9,4 un an auparavant. Ce délai a également diminué d'un an dans le cas du régime des personnels navigants.
Cette situation invite à reconsidérer avec plus de circonspection encore le projet de loi visant à instaurer un système universel de retraite déposé par le Gouvernement et dont l'examen a été suspendu l'an dernier. En contrepartie de la mission de gestion de la trésorerie du futur régime universel confiée à l'Acoss, le texte prévoyait l'affectation à cette dernière des réserves de fonds de roulement des régimes, dans la limite de trois mois de versement des prestations dues par chaque caisse. Or, la conformité d'un tel transfert à la Constitution et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme demeure incertaine. En effet, comme l'a rappelé le Conseil d'État sur le fondement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si le transfert de la gestion d'un régime obligatoire de sécurité sociale ne porte pas en lui-même atteinte au droit de propriété de l'organisme qui l'assurait, l'affectation d'une partie des réserves des régimes à l'Acoss serait susceptible de leur faire subir un préjudice, dans la mesure où les réserves accumulées au prix des efforts de leurs affiliés leur appartiennent. Le Conseil d'État avait donc introduit dans le projet de loi une disposition prévoyant l'indemnisation de ce préjudice.
Forts de ces constats, nous formulons huit préconisations.
Compte tenu de la qualité de sa gestion et de l'absolue nécessité de disposer de réserves pour amortir les conséquences à venir du vieillissement de la population, il nous paraît d'abord indispensable de clarifier l'objectif du FRR, en réaffirmant sa vocation à constituer des provisions en vue d'assurer l'équilibre financier de la branche vieillesse du régime général au cours des prochaines décennies. Nous proposons donc que le Fonds se voie prioritairement attribuer le produit de toutes recettes exceptionnelles que l'État pourrait percevoir à l'avenir.
D'autre part, nous appelons les caisses de retraite à mettre en oeuvre les efforts nécessaires à la reconstitution des niveaux de réserves nécessaires à la couverture de leurs engagements futurs et, pour celles qui n'en disposaient pas, à l'apurement de leurs déficits. En vue d'atteindre cet objectif, les régimes disposant de marges de manoeuvre gagneraient, de notre point de vue, à élargir la part des actions, dont la performance financière reste élevée, dans le total de leurs actifs, à l'heure où le rendement des obligations tend à s'aplatir. Les réserves du régime de retraite des personnels de la SNCF, quant à elles, bien que relativement faibles, pourraient être affectées à la CNAV, comme les réserves de leur régime de prévoyance l'ont été cette année à la CNAM, dès lors que l'Acoss couvre les besoins de trésorerie du régime depuis 2019.
Dans la perspective des chocs économiques à venir, il nous semble important d'autoriser les caisses gérant un régime complémentaire de retraite à solliciter des avances de trésorerie auprès de l'Acoss en cas de chute du produit des cotisations, comme celles-ci ont pu le faire à titre exceptionnel entre mars et juillet 2020, dans le cas où le recours à leurs réserves serait de mauvaise gestion. En effet, les actifs admis en représentation des réserves subissant de graves dépréciations en cas de crise financière, y recourir présente un fort coût d'opportunité, dans la mesure où cela revient à enregistrer des pertes importantes, qui auraient pu se résorber durant la reprise si les actifs n'avaient pas été liquidés. Or, en 2020, le Gouvernement a rejeté la demande d'avance de trésorerie émise par l'Agirc-Arrco afin d'éviter de recourir à ses réserves dans un contexte dégradé, au prétexte que le recours aux réserves devait être prioritaire sur les demandes d'avances. Cette décision a contraint le régime à emprunter auprès des institutions financières, ce qui présente un coût non négligeable. Il nous semble important de prévenir une telle situation à l'avenir.
Quid, au total, de l'avenir de la solidarité inter-régimes ? Nous suggérons d'abord de maintenir pour l'heure les régimes complémentaires en dehors du mécanisme de compensation démographique, qui ne concerne aujourd'hui que les régimes de base, dans la mesure où, si ces régimes disposent de réserves parfois conséquentes, celles-ci elles-mêmes ne sont pas suffisantes à l'amortissement du vieillissement démographique à long terme. Une telle solution améliorerait la situation présente des régimes de base qui en bénéficieraient, alors que ces derniers disposent de facilités de trésorerie auprès de l'Acoss, en raccourcissant le délai d'épuisement des réserves des régimes complémentaires contributeurs. Ces derniers seront alors contraints à recourir à des ajustements paramétriques brutaux ou à l'emprunt. Néanmoins, nous estimons qu'il conviendrait de confier aux partenaires sociaux la charge de mener une réflexion à ce sujet au regard de leur attachement au principe de solidarité, dans la mesure où le paritarisme revêt à nos yeux une importance particulière.
Enfin, nous nous opposons à toute mesure tendant à la mutualisation des réserves des régimes de retraite. Une telle orientation reviendrait à porter atteinte à leur droit de propriété et aux efforts réalisés par leurs affiliés et serait donc juridiquement fragile. En outre, elle ne ferait que reporter à plus tard la question de l'équilibrage du système de retraite : les régimes disposant de réserves devant de toute manière consommer intégralement celles-ci à terme ; dès lors, recourir à celles-ci pour couvrir les déficits du régime général poserait, à l'avenir, la question du financement de ces régimes précautionneux.
Toutefois, la détention de réserves s'accompagne nécessairement d'une responsabilité capitale, celle de n'utiliser celles-ci qu'en vue de préserver l'équilibre financier des régimes qui les détiennent face aux conséquences des chocs économiques et démographiques. Le recours aux réserves aux fins de soutien à l'économie, tel que nous l'avons observé en 2020, devrait donc être proscrit à l'avenir.
Tels sont, mes chers collègues, les constats que nous souhaitions partager avec vous et les propositions que nous soumettons à votre sagesse. Celles-ci nous paraissent à même de favoriser, toutes choses égales par ailleurs, les efforts devant être collectivement consentis pour relever ensemble le défi du vieillissement démographique.
Je vous remercie.