Intervention de André Gattolin

Mission d'information Influences étatiques extra-européennes — Réunion du 6 juillet 2021 à 15h00
Réunion constitutive

Photo de André GattolinAndré Gattolin, rapporteur :

Je vous remercie de votre confiance et de votre participation à cette mission créée à la demande de mon groupe.

La question de l'influence d'États étrangers dans le monde universitaire français est encore peu perçue et étudiée. Ce n'est qu'assez récemment en France que des incidences sur l'intégrité scientifique comme sur les libertés académiques ont pu être observées. La frontière entre le soft power et des pratiques plus offensives, voire agressives, d'ingérences semble avoir été franchie par plusieurs pays, notamment la Chine comme le relate la presse. Mais ce n'est pas le seul pays concerné. Du point de vue des démocraties occidentales, et surtout vu de France, les politiques publiques d'influence à l'étranger prennent la forme d'instituts culturels et de coopération - on pense aux instituts français à l'étranger, au British Council ou encore au Goethe-Institut.

Cet usage de l'influence peut paraître tout à fait anodin ; il est d'ailleurs inscrit dans nos pratiques de diffusion et de partage culturel. Nos centres de recherche et nos universités se mondialisent, notamment au travers de la multiplication d'échanges universitaires et de projets de recherche internationaux. Il s'agit à la fois d'une réalité ancienne et d'une tendance qui s'est accélérée ces dernières années, notamment du fait de l'autonomie des universités. Certains États sont cependant tentés d'exploiter leur présence croissante dans nos campus et nos laboratoires comme levier d'influence géopolitique, avec peu d'égards pour les libertés académiques et l'intégrité scientifique. Le risque est qu'il soit ainsi porté atteinte à la crédibilité et à la souveraineté scientifiques de notre pays.

À l'heure où les tensions mondiales prennent de nouvelles formes de conflictualité autour de la rivalité entre les États-Unis et la Chine, où la Russie ressurgit comme possible ennemi et où l'on voit l'émergence de puissances régionales telles que la Turquie, sur les plans stratégique et militaire, les pays du Golfe sur le plan économique, mais aussi diplomatique, notre monde universitaire, de tradition libre et ouverte, est-il conscient de ces menaces aussi nouvelles que bien réelles.

Au-delà de nos frontières, plusieurs dérives ont été observées aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et, plus récemment, en Allemagne. Toutes ne sont pas du fait de la Chine, mais celle-ci inquiète plus particulièrement, notamment eu égard au rôle du réseau des instituts Confucius, dédié aux coopérations universitaires et à l'apprentissage de la langue chinoise, qu'il conviendrait d'examiner et d'évaluer en France. Ainsi, les États-Unis ont fermé ce réseau ; plusieurs universités françaises ont mis fin à leur collaboration - l'université de Lyon 3 ou celle de Paris Nanterre, par exemple - et il conviendrait d'en connaître les raisons.

Le Royaume-Uni s'inquiète de la dépendance économique croissante de ses universités aux droits de scolarité payés par les étudiants chinois, lesquels peuvent s'avérer être des relais de Pékin aussi bien pour ce qui concerne la censure de ses étudiants, en les empêchant de s'exprimer sur la situation de Hong Kong ou des Ouïgours, par exemple. Le Parlement australien a ouvert une enquête parlementaire sur les pratiques d'ingérence universitaire de la Chine, mais aussi d'autres pays.

Sont aussi évoquées des pratiques d'entrisme dans des laboratoires de recherches scientifiques à des fins pas toujours très claires.

On peut également s'interroger sur le financement de chaires d'enseignement et de thèses qui ont pour but de relayer des messages politiques ou de donner une caution scientifique à des thèses nationalistes.

Que penser de l'autocensure d'un établissement d'enseignement supérieur qui ne reçoit pas le Dalaï-Lama pour ne pas risquer de perdre la coopération financière de la Chine ?

À une autre échelle, on peut s'interroger sur le rôle de la Turquie, de certains pays du Golfe ou de la Russie. Il convient de faire la part entre ce qui relève de la « guerre de l'information », dont certains États ne se cachent pas, et ce qui relève de politiques d'influence et d'ingérence délibérées de certains États.

L'intégrité scientifique peut-elle s'accommoder de conflits d'intérêts ou d'une trop grande dépendance économique ? Sans remettre en cause l'indépendance de l'enseignement supérieur, ne faut-il pas au contraire le protéger de pratiques de prédation ou d'intimidation de puissances étrangères ?

Il ne s'agit nullement de remettre en question les libertés académiques et le mouvement d'internationalisation des universités, mais, au contraire, il convient de mesurer les phénomènes d'influence, sans naïveté et avec lucidité.

En tant qu'ancien thésard et que directeur de master, j'ai pu être confronté personnellement à des étudiants étrangers, dont on pouvait parfois discerner des mobiles plus politiques que scientifiques.

Les formes et les contours des influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français sont encore peu renseignés. Cette mission d'information permettrait une première prise de conscience parlementaire sur un phénomène qui est, par ailleurs, clairement pointé du doigt par nos collègues australiens, britanniques et européens.

La question n'est pas de s'immiscer dans des polémiques ou des controverses internes au débat universitaire ; nous n'y aurions aucune légitimité, qu'il s'agisse de la cancel culture, du mouvement woke, de l'islamo-gauchisme, ou encore des théories du genre, à moins que certaines thèses ne soient délibérément soutenues par des puissances étrangères. L'objet de la mission est de s'intéresser aux politiques étatiques étrangères dont l'influence dans nos universités pourrait remettre en cause l'intégrité scientifique de notre recherche et de notre enseignement supérieur.

Je suggère naturellement d'orienter nos travaux vers le monde universitaire lui-même pour mieux connaître sa perception et ses modes d'action contre cette menace.

Quid du traitement de ce sujet à l'échelon académique et au niveau ministériel ?

Existe-t-il de bonnes pratiques de coopération, des déclarations d'intérêts, ou des chartes déontologiques ? Je proposerai d'envoyer un questionnaire à toutes les universités, notamment aux responsables des relations internationales, avec le soutien de la Conférence des présidents d'université. Je vous proposerai également de commencer nos travaux en évoquant le volet des affaires étrangères et celui du renseignement pour mettre en évidence les typologies d'influences, plus ou moins hostiles ou agressives.

Ce sont là quelques pistes, partant du principe qu'il s'agira d'une « mission flash » compte tenu des délais. Notre rapport « vigie » sera principalement destiné à alerter sur un sujet méconnu, à faire prendre conscience du phénomène, en vue de mieux en appréhender l'impact et afin de s'en protéger.

Il nous reviendra de proposer un guide de bonnes pratiques et de formuler quelques recommandations utiles à l'intention de la communauté universitaire pour conforter notre indépendance scientifique.

1 commentaire :

Le 14/11/2021 à 08:13, aristide a dit :

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"La question n'est pas de s'immiscer dans des polémiques ou des controverses internes au débat universitaire ; nous n'y aurions aucune légitimité, qu'il s'agisse de la cancel culture, du mouvement woke, de l'islamo-gauchisme, ou encore des théories du genre, à moins que certaines thèses ne soient délibérément soutenues par des puissances étrangères. "

On peut enseigner n' importe qu'elle connerie à l'université, sauf si les conneries en question sont soutenues par des puissances étrangères...

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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