Intervention de Victorin Lurel

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 1er juillet 2020 : 1ère réunion
Reconstruire la politique du logement outre-mer — Présentation du rapport

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel, rapporteur :

Monsieur le Président, chers rapporteurs, chers collègues. Le deuxième Plan Logement outre-mer (PLOM), fixé pour les années 2019 à 2022, est aujourd'hui plus qu'à mi-parcours. Un bilan du déploiement de ce plan, qui promettait d'être davantage territorialisé que le premier PLOM, devait donc être réalisé. Ce bilan a surtout offert l'opportunité de réinterroger en profondeur l'efficacité de la politique du logement dans les outre-mer.

Un premier constat s'impose : malgré les plans successifs et les outils mobilisés, les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des besoins de nos territoires. L'objectif de construction et de réhabilitation de 10 000 logements sociaux par an sur la période 2015-2019 n'a pas été tenu. En 2019, moins de 6 000 constructions neuves ont été financées et moins de 2 000 logements ont été réhabilités.

La tendance est même à la baisse continue depuis 2016, et seule l'année 2020 semble enregistrer une légère amélioration avec un total de 8 000 logements financés en construction et réhabilitation. Encore faut-il préciser que cet indicateur, souvent repris dans les communications du Gouvernement, n'est pas suffisant. Les durées de chantier étant longues, le nombre de logements financés doit être complété par celui du nombre de logements livrés. Or, en 2019, un peu moins de 4 300 constructions neuves ont été livrées dans les DROM. Deux phénomènes doivent également être notés : l'effondrement de l'accession sociale à la propriété sur les années 2018 et 2019 du fait de la suppression de l'allocation logement accession, ainsi que la forte baisse de la production de logements locatifs très sociaux (LLTS).

Un deuxième constat - paradoxal au regard de l'ampleur des besoins actuels et futurs - fait apparaître une baisse continue depuis 2014 des crédits de la Ligne budgétaire unique (LBU), l'outil principal de soutien de l'État en faveur du logement social dans les DROM. Fixées autour de 270 millions d'euros dans les années 2010, les autorisations d'engagement de la LBU s'établissent depuis 2018 autour de 220 millions d'euros, soit une diminution de près de 25 %. Pour justifier cette diminution, le ministère des outre-mer pointe la sous-consommation de la LBU. Cette logique doit cependant être remise en cause : plutôt que de réduire d'année en année les crédits sous prétexte qu'ils sont sous-consommés, la priorité devrait être d'en améliorer la consommation.

À cet égard, le manque d'ingénierie de l'État - et non pas seulement celui des collectivités - doit être davantage pointé. Faute de moyens humains à la hauteur, le pilotage budgétaire par la DGOM reste encore trop artisanal pour anticiper et mieux répondre aux risques de sous-consommation. L'exécution de la LBU pourrait aussi être améliorée si elle ne se concentrait pas de façon aussi significative en fin d'exercice. Par ailleurs, les critères de ventilation géographique de la LBU restent peu objectifs et le mode de décision de réaffectation très opaque. Les aides fiscales, de plus en plus portées par les dispositifs de crédits d'impôt, doivent également être mieux pilotées. Il reste ainsi très dommageable de ne pouvoir disposer de la localisation des logements ayant bénéficié de ces dispositifs.

Face à ces constats d'échec, la solution doit passer par une meilleure mobilisation des financements disponibles et par une véritable territorialisation de la politique du logement.

La LBU et les aides fiscales ne doivent pas occulter le troisième outil de soutien au logement dans les DROM : les offres de prêts et les aides des agences nationales comme la Banque des territoires, Action Logement, l'ANAH et l'ANRU mais aussi des collectivités via les garanties d'emprunt. Si un nouvel écosystème de financements semble aujourd'hui se dessiner, la vigilance doit rester de mise pour en assurer le déploiement effectif. C'est ainsi le cas avec Action Logement qui prévoit une enveloppe spécifique outre-mer au sein de son Plan d'investissement volontaire (PIV), dont la mise en oeuvre dans les DROM devra être évaluée concrètement.

Un autre acteur s'est par ailleurs imposé dans le paysage du logement outre-mer avec CDC Habitat qui a racheté les parts de 8 SIDOM et permis d'assainir leur situation financière. Il faut cependant noter que le produit de cette vente n'a pas été intégralement reversé, comme pourtant promis, en faveur du logement en outre-mer. Dans ce paysage, un acteur reste encore trop faiblement impliqué : l'ANAH n'intervient aujourd'hui dans les DROM qu'en faveur des propriétaires bailleurs et non des propriétaires occupants, ce qui limite fortement le déploiement des aides à l'amélioration de l'habitat. S'agissant des collectivités, celles-ci peuvent en principe apporter des garanties d'emprunt pour les opérations des bailleurs sociaux. Plusieurs contraintes, comme l'obligation pour un EPCI d'avoir validé son Programme local d'habitat (PLH) pour apporter sa garantie, limite cependant de fait ce soutien.

Pour gagner en efficacité, la politique du logement outre-mer doit permettre une meilleure mobilisation des financements. Mais elle doit également être davantage et plus concrètement territorialisée. Promesse du PLOM 2, cette territorialisation impose de mieux prendre en compte les particularités de chaque territoire pour développer une stratégie qualitative et non pas seulement quantitative. Pour ce faire, il reste indispensable d'améliorer dans les DROM les structures de concertation et de coordination des acteurs du logement véritablement décisionnels. Aujourd'hui, les conseils départementaux de l'habitat et de l'hébergement (CDHH) ne constituent bien souvent que des « chambres d'enregistrement » sans définition de choix opérationnels.

Sans oublier la spécificité de leur statut, les COM peuvent constituer des modèles en matière de politique de l'habitat : la Polynésie française ou Saint-Pierre-et-Miquelon ont ainsi mis en place des stratégies territoriales qui prennent en compte l'ensemble des aspects de la politique de l'habitat et qui associent les différents acteurs. Il conviendrait d'instituer une instance collégiale à caractère exécutif, déclinée en 4 niveaux pour être plus opérationnelle : un conseil de concertation réunissant tous les acteurs locaux ; un comité de financeurs pour s'assurer du montage des opérations ; un comité de pilotage, plus restreint pour assurer le suivi et être véritablement décisionnel et enfin des groupes de travail thématiques selon les besoins.

Cette territorialisation doit aussi passer par une meilleure représentation des outre-mer dans les instances nationales du logement. Le ministère des outre-mer n'est membre ni du conseil d'administration de l'ANAH ni de celui de l'ANRU. La présence d'un parlementaire ultramarin au conseil d'administration de l'ANAH permettrait de s'assurer de l'engagement de l'agence dans ses territoires. Les agences nationales, comme Action Logement, la Banque des territoires et CDC-Habitat doivent désigner des référents locaux dans chacun des territoires et multiplier les missions d'études sur le terrain. Pour cela, il faut régler le conflit entre l'USH et l'USHOM qui pose des problèmes de responsabilité et de légitimité.

Enfin, l'État doit assurer l'accompagnement des collectivités et faciliter leurs moyens d'action en soutien aux bailleurs sociaux. Les plateformes d'aide à l'ingénierie, déployées à Mayotte et en Guyane, doivent être mises en place dans les autres DROM, en calibrant davantage les moyens en fonction des besoins.

Meilleure mobilisation des financements et véritable territorialisation de la politique du logement permettront donc de rénover les cadres d'action pour assurer le succès du PLOM 2 et des plans qui seront amenés à lui succéder.

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