Monsieur le Président, chers rapporteurs, chers collègues. 33 000 : c'est le nombre de familles en attente d'un logement social rien que sur l'île de La Réunion. Ce chiffre, rappelé à l'occasion de la visite de la ministre du logement Emmanuelle Wargon dans l'océan Indien, alerte sur l'ampleur de la crise du logement dans nos territoires. Aujourd'hui, si 80 % de la population des DROM est éligible au logement social, seuls 15 % y résident effectivement. Face à cette situation, les freins doivent être levés pour soutenir la réhabilitation et la construction de logements sociaux. Si beaucoup de mesures ont été prévues par le PLOM 2, leur mise en oeuvre doit aujourd'hui être accélérée !
Je commencerai par deux défis majeurs : celui du foncier aménagé et celui de l'adaptation des normes. Ces deux chantiers sont capitaux si l'on veut baisser les coûts des opérations et construire davantage en outre-mer.
Le foncier avait fait l'objet d'une étude triennale de la délégation entre 2015 et 2017. Les acteurs du logement auditionnés lors des tables rondes thématiques ont tous insisté sur la nécessité de disposer de davantage de foncier aménagé. Les Fonds régionaux d'aménagement fonciers et urbains (FRAFU) doivent en principe permettre de constituer des réserves foncières et de réaliser des équipements d'aménagement. Mais leur financement, basé sur la LBU et sur des contributions des collectivités locales et de l'Union européenne, reste insuffisant pour répondre aux enjeux.
La table ronde consacrée à la Guyane a été également l'occasion de mesurer les défis posés par l'Opération d'intérêt national (OIN), développée en Guyane, qui devrait conduire à la réalisation de 23 000 logements d'ici 2027. Si l'État s'est engagé à transférer gratuitement des terrains, les cessions prennent du temps et sont morcelées. Par ailleurs, à Mayotte, si le projet d'OIN a été acté, les mesures d'application n'ont toujours pas été prises. Pour rendre le foncier plus abordable, les outils des baux réels solidaires (BRS) permettent d'opérer une dissociation entre le foncier et le bâti pour assurer aux plus modestes un accès à la propriété et mériteraient d'être développés dans tous les territoires.
Le chantier de l'adaptation des normes doit également être mené à terme, l'inadaptation normative étant un des facteurs du renchérissement des coûts. Quatre ans après le rapport de la délégation, quelques progrès ont été enregistrés notamment via la constitution d'une commission locale de normalisation à La Réunion et de cellules économiques régionales de la construction en Guadeloupe et à la Martinique. Mais l'absence de ces structures dans les territoires, pourtant promises par le PLOM 2, est aujourd'hui dommageable.
Surtout, un travail important reste à conduire avec la Commission européenne pour obtenir la dérogation au marquage CE et la mise en place d'un « marquage RUP » pour faciliter l'importation de produits de l'environnement régional des outre-mer. Le travail mené par la Nouvelle-Calédonie, avec le référentiel RCNC, peut servir de modèle en la matière.
J'en viens maintenant aux problématiques plus spécifiques de l'habitat indigne, de la mixité sociale et de la réhabilitation. Ce sont là trois thèmes majeurs à traiter si l'on veut assurer un accès pour toutes les populations à un logement décent et abordable.
L'habitat indigne, qui expose ses occupants à des risques pour leur santé et leur sécurité, concerne plus de 110 000 logements dans les DROM. Dans certaines COM, la situation est particulièrement préoccupante, comme à Saint-Martin où moins de 40 % des ménages disposent de l'eau chaude dans leur logement. Alors qu'il se concentrait auparavant dans certaines zones urbaines, le phénomène de l'habitat indigne est aujourd'hui beaucoup plus diffus, rendant son identification et son traitement plus difficiles.
Les opérations de démolition se sont accélérées à Mayotte et en Guyane, depuis la loi ELAN de 2018. Mais, pour éviter de ne faire que déplacer des bidonvilles, ces opérations doivent associer en amont et en aval les populations pour identifier des solutions pérennes de relogement. Les actions des ADIL (présentes partout sauf à Mayotte) et celles des associations (comme la Fondation Abbé Pierre, uniquement présente dans l'océan Indien) doivent être encouragées. Surtout, des solutions innovantes doivent également être recherchées.
Les opérations d'autoconstruction et d'autoréhabilitation peuvent apporter des réponses, comme le prouve le projet de résorption du talus Majicavo de Koungou à Mayotte. Cependant elles sont encore trop peu utilisées, notamment du fait du manque de soutien des assurances.
Le défi sur nos territoires est aussi d'assurer la mixité sociale et de garantir des loyers abordables pour les populations. Il faut rappeler que La Réunion et la Guadeloupe connaissent les loyers de logements sociaux les plus élevés de France, proches des niveaux de l'Ile-de-France. Pour les ménages les plus modestes, existe dans les DROM l'offre de logements à loyers très sociaux (LLTS). Bien que le PLOM 2 fixe un objectif de 30 % de LLTS dans le parc social d'ici 2022, les opérations de LLTS restent insuffisantes : elles sont difficiles à équilibrer et les garanties apportées par les départements sont trop limitées. Il convient d'ouvrir d'autres possibilités de cofinancement.
Le développement d'opérations de construction de logements sociaux est aujourd'hui freiné par les réticences de certaines communes, par les faiblesses du secteur du BTP et par les difficultés en matière de formation. La mixité sociale doit être encouragée, en intégrant également une stratégie à destination de l'offre intermédiaire et du parc privé. L'outil du Prêt locatif social (PLS), dont les plafonds correspondent à ceux du logement intermédiaire, permettent de participer à l'objectif de mixité sociale. Or, le financement des logements en PLS est limité par la fixation d'un quota ; son augmentation est aujourd'hui indispensable.
J'en termine avec les enjeux d'amélioration de l'habitat et de la réhabilitation. S'agissant de l'amélioration de l'habitat privé, le compte n'y est pas. Les aides nationales sont soient inexistantes, soient très faiblement déployées. Ainsi, l'aide « Habiter facile », qui permet des travaux pour l'autonomie de la personne, n'est pas disponible dans les DROM. Quant à MaPrimeRenov', qui finance les travaux de rénovation énergétique des logements, seulement 700 dossiers ont été engagés pour l'année 2020 dans l'ensemble des DROM, en outre essentiellement concentrés à La Réunion.
Les aides régionales divergent selon les territoires et les acteurs déplorent un éparpillement des dispositifs, des critères à rallonge et une faible communication sur les mesures accessibles. Un guide spécifique sur ces aides, précisant les outils de financement, gagnerait à être mis en place.
Les outre-mer, et tout particulièrement les Antilles, restent marqués par l'ampleur du phénomène de la vacance de logements, qui concernent près de 120 000 logements dans les DROM. Le travail d'identification des causes de cette vacance (indivision, habitat devenu indigne, difficultés passées entre locataires et propriétaires...) est un préalable nécessaire. Pour lutter contre ce phénomène, il conviendrait de créer un opérateur spécifique, sur le modèle de celui existant dans l'Hexagone. Des solutions innovantes, comme les baux à réhabilitation, doivent également être développées. Par ailleurs, alors qu'elle était prévue par la loi EROM de 2017, la taxe sur les logements vacants n'est toujours pas mise en oeuvre dans les DROM.
S'agissant du renouvellement urbain, si 15 villes ultramarines sont éligibles au programme « Action coeur de ville », un important retard a été pris et doit être aujourd'hui comblé. Pour lutter contre l'étalement urbain et l'artificialisation des sols, les aides à la démolition doivent être encouragées. Enfin, la question du retraitement de l'amiante se heurte à l'absence de filière locale de désamiantage et rejoint la problématique plus générale du recyclage des matériaux de démolition.
Beaucoup reste donc à faire !