Intervention de Guillaume Gontard

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 1er juillet 2020 : 1ère réunion
Reconstruire la politique du logement outre-mer — Présentation du rapport

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard, rapporteur :

Monsieur le Président, chers collègues. Dans la troisième et dernière partie du rapport, j'aimerais vous exposer les raisons pour lesquelles, malgré toutes les difficultés qui ont été rappelées par Victorin Lurel et Micheline Jacques, l'habitat dans les outre-mer peut être un modèle d'adaptation et d'innovation pour répondre aux nouveaux défis de la politique du logement. Ceci pour trois raisons principales.

D'abord, les outre-mer sont de véritables laboratoires des évolutions des besoins de logements et des modes d'habitat.

Ensuite, ils sont déjà un terrain d'expérimentation pour l'adaptation de dispositifs et de procédures innovants.

Enfin, les outre-mer ont un formidable potentiel de systèmes constructifs locaux, adaptés aux nouveaux défis du logement, comme le réchauffement climatique, qu'il conviendrait surtout de mieux promouvoir et mutualiser.

Vous le savez, les outre-mer concentrent sur des espaces contraints l'ensemble des défis qui impactent fortement la demande de logements.

Le premier défi majeur est d'ordre démographique. Le vieillissement, particulièrement accéléré aux Antilles, nécessite un véritable plan stratégique comme le préconise le rapport Broussy sur l'adaptation de l'habitat au vieillissement, publié en mai 2021. En 2050, la Martinique sera le département le plus vieux de France et ce rapport parle même d'un « scénario catastrophe ». Ce plan devrait, à mon sens, être élargi aux autres territoires également touchés par la transition démographique comme La Réunion - nos collègues Viviane Malet et Nassimah Dindar l'ont suffisamment souligné - et aux collectivités d'outre-mer (COM) tout aussi concernées. Toutes les solutions d'hébergement doivent pouvoir être envisagées, du maintien à domicile au développement d'établissements spécialisés, en tenant compte notamment des attitudes socioculturelles de chaque territoire où accueillir les anciens chez soi reste une réalité, une pratique, voire un devoir. Je suggère à cet égard deux pistes qui ont été avancées lors des auditions : étendre dans les DROM le régime du forfait autonomie pour les personnes âgées afin de développer des résidences autonomie et les conventions relatives à l'accompagnement du vieillissement signées entre les bailleurs sociaux et la CNAV.

Le travail de prospective sur les évolutions démographiques dans les outre-mer ne peut être la transposition des projections réalisées pour l'Hexagone. La Cour des comptes notamment a souligné combien l'outil Otelo qui estime les besoins en logements en France métropolitaine est inadapté, ne serait-ce qu'à cause des flux migratoires ou de la part de l'habitat informel. Fiabiliser l'évaluation des besoins de logements dans les départements (DROM) et collectivités d'outre-mer (COM) qui sont également en déficit de données est un objectif qu'il faut absolument atteindre pour aider à la prise de décisions.

Par ailleurs, on oublie aussi trop souvent que certains de ces territoires sont caractérisés par des structures familiales (plus d'enfants par exemple) et des modes de vie (tournés vers l'extérieur) qui leur sont propres. Cela a été rappelé avec force lors des tables rondes sur la Guyane, Mayotte et lors des auditions sur la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie. Il faut donc à la fois en tenir compte et intégrer des évolutions sociologiques observées partout ailleurs comme l'augmentation des familles monoparentales ou la décohabitation des jeunes ménages. Le parcours résidentiel des familles doit impliquer plus de modularité dans les habitations et prendre davantage en compte la diversité des publics (personnes handicapées, personnes âgées, jeunes travailleurs, étudiants, familles nombreuses...). Il convient donc de développer cette adaptabilité des logements en associant davantage les acteurs du BTP et mobiliser les possibilités de la loi ELAN pour développer l'offre de logements évolutifs, tout en associant étroitement des architectes locaux.

Après la démographie, l'exposition aux risques naturels constitue un autre défi majeur pour les outre-mer. La délégation a conduit entre 2017 et 2019 une étude en deux volets comportant notamment des propositions pour améliorer la résistance du bâti, restées malheureusement sans beaucoup de suite en l'absence du projet de loi annoncé. Cinq ans après le passage de l'ouragan Irma, évènement véritablement traumatique, on constate combien les populations ont été résilientes.

Dans trois domaines au moins, cette surexposition aux risques donne aux outre-mer une avance certaine et une réelle expertise : le risque cyclonique (Antilles, Polynésie, Wallis-et-Futuna, Nouvelle-Calédonie), le risque sismique (Antilles, Mayotte) et plus généralement le réchauffement climatique. Les solutions développées dans les outre-mer devraient servir de source d'inspiration, d'échanges et de références. Je propose que l'ingénierie technique territoriale soit donc étroitement associée aux politiques de logement à ce titre.

Je propose aussi de promouvoir l'architecture bioclimatique basée sur des savoir-faire traditionnels offrant des solutions, en particulier de ventilation, plus adaptées, efficaces et moins onéreuses. Il faut privilégier les techniques locales et déjà expérimentées plutôt que de durcir la réglementation para-cyclonique par exemple. Les architectes auditionnés ont rappelé qu'ils savaient concilier les différents risques dans la conception de l'habitation mais aussi proposer des solutions de refuges adaptées.

Véritables « laboratoires à ciel ouvert », les outre-mer sont des terres d'innovation et d'expérimentation, ce que l'on ne dit pas assez !

Les grandes tendances de l'habitat de demain y sont déjà perceptibles et identifiées : densification des villes, décarbonation des procédés constructifs (hybridité des systèmes constructifs, inertie des façades, réduction des énergies grises...), recours à la conception bioclimatique et à l'architecture vernaculaire, augmentation des matériaux de récupération ou issus du recyclage, traitement des espaces publics extérieurs comme régulateurs thermiques...

Des réalisations fondées sur une vision plus large des enjeux de la construction, incluant désormais davantage les dimensions écologique, sociale et culturelle, sont déjà prometteuses : éco-quartiers, habitat participatif ou collaboratif, programme OPHROM (opérations d'habitats renouvelés dans les outre-mer), habitat léger ou tiny houses.... Vous trouverez dans le rapport les exemples qui nous ont été donnés au fil des auditions.

Je crois qu'il faut encourager ces pratiques innovantes, intégrées dans le paysage local et surtout associant les usagers. Il faut de manière volontariste flécher encore davantage les financements publics sur le développement de ces nouveaux programmes, comme les éco-quartiers. On doit réfléchir à certains assouplissements des règles d'urbanisme pour l'habitat léger dans des zones circonscrites afin d'offrir des solutions d'hébergement plus rapides et moins chères. Pour soutenir l'innovation, il convient aussi de simplifier les processus de validation des innovations (ATEX) pour les rendre plus accessibles aux entreprises ultramarines qui sont de taille réduite et surtout comme l'a suggéré CDC Habitat réussir à bâtir une filière de recherche et développement sur l'habitat innovant en partenariat avec de grands organismes nationaux et avec des financements européens en prenant appui sur l'expertise des outre-mer. Je rappelle qu'il existe six universités ultramarines (universités des Antilles, de Guyane, de La Réunion, de Mayotte, de la Nouvelle- Calédonie et de Polynésie française) avec un total de 33 000 étudiants, dont 16 % de niveau master, qui devraient être plus fortement impliquées.

Le chantier-test sera bien entendu celui de la performance énergétique des bâtiments, avec l'actualisation en cours de la Règlementation spécifique thermique acoustique et aération mise en place en 2016 pour les DOM, (appelée « RTAA DOM »), et l'introduction demain de la RE2020. Compte tenu des difficultés de toutes sortes qui ont été pointées sur l'évaluation même de cette performance, il convient sans doute de mettre en place une réglementation thermique pour les DROM adaptée à chaque bassin océanique. Cela a été souligné également, il faudrait déjà commencer par faciliter l'accès aux dispositifs d'amélioration énergétique existant dans l'Hexagone, comme MaPrimeRenov' dont la diffusion est encore dérisoire outre-mer.

Enfin, pour apporter des solutions pérennes, il faut promouvoir les systèmes constructifs locaux et mutualiser davantage les bonnes pratiques. Chaque territoire ultramarin dispose de savoir-faire traditionnels qu'il faudrait non seulement sauvegarder mais aussi valoriser. À cet égard, un effort particulier doit être déployé de manière urgente, avec l'aide des organisations professionnelles, en faveur de la formation d'artisans spécialisés dans l'utilisation de matériaux locaux biosourcés.

La priorité est donc de soutenir les filières locales intégrant les matériaux biosourcés. La renaissance de la filière de la brique de terre comprimée (BTC) à Mayotte doit ainsi être soutenue et étendue à d'autres expérimentations. Il convient d'encourager partout dans les outre-mer la constitution de filières associant architectes, bureaux d'études, entreprises et donneurs d'ordres autour de ces matériaux. Les plateformes de rénovation notamment doivent pouvoir accompagner et conseiller les porteurs de projets.

Les auditions ont montré qu'il existe des potentialités multiples, liées aux richesses naturelles des outre-mer : pin des caraïbes, bambou, bagasse, vétiver, falcata, amarante (bois violet), angélique, gaïac, wacapou, wapa (bois guyanais)... On peut lors de la construction d'équipements publics recourir davantage aux matériaux locaux. À titre d'exemple, l'écomusée Te Fare Natura à Moorea (Polynésie française), que le Président de la République visitera fin juillet, a été conçu pour mettre en avant le bois et le style locaux.

Partout où une solution alternative existe, il faut s'efforcer de substituer au béton des matériaux locaux beaucoup plus efficaces compte tenu des conditions climatiques (humidité, salinité de l'air, etc.). Limiter les importations de ciment et intégrer cet objectif dans la conception du bâtiment entraîneraient selon les acteurs du logement auditionnés une baisse substantielle des coûts de construction.

Dans cette perspective, au fil des auditions, de nombreuses propositions ont été émises comme développer au niveau régional des pôles d'expertise ou dynamiser les échanges sur l'habitat. De tels échanges existent entre Saint-Pierre-et-Miquelon et le Canada bien qu'entravés par la problématique des normes européennes, et mériteraient d'être davantage développés pour La Réunion et Mayotte, avec Madagascar et l'Afrique du Sud et pour les Antilles avec le Brésil et les États-Unis.

L'habitat constitue indéniablement un levier de développement pour la coopération régionale (c'est le pari fait par la Nouvelle-Calédonie par exemple, avec le projet d'habitat océanien pour les États du Pacifique comme Fidji ou le Vanuatu)...

En conclusion, pour mutualiser toutes ces réflexions, je crois qu'il est temps et qu'il est nécessaire d'organiser dès que possible des Assises dédiées à la construction outre-mer. Le PLOM 2 s'achevant théoriquement en 2022, l'État serait bien avisé d'y songer dès à présent et d'aller y puiser les facteurs du rééquilibrage. L'idée a fait l'unanimité tant auprès des organismes nationaux (USH, FEDOM, Action Logement, AQC...) que des responsables locaux.

Ces Assises, qui réuniraient l'ensemble des acteurs du secteur du logement outre-mer, seraient à la fois la vitrine et la plateforme des modes d'habiter dans les outre-mer. La Délégation aux outre-mer pourrait, me semble-t-il, jouer un rôle moteur dans le lancement de ce projet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion