Je vous remercie de nous avoir conviés et d'avoir choisi ce rapport. Le choix de ce sujet nous a beaucoup intéressés. Nous avons travaillé dans d'excellentes conditions, grâce au concours du ministère de l'intérieur. Nous avons étudié notamment la question des mutualisations, des coopérations et des complémentarités opérationnelles.
Le résultat est un rapport d'une centaine de pages, complété par des annexes.
Vous l'avez dit vous-même, le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur ne constitue pas une révolution mais l'aboutissement d'un processus engagé en 2002 lorsque le ministère de l'intérieur est devenu l'autorité d'emploi de la gendarmerie au profit de la sécurité intérieure. La loi préserve le statut militaire des gendarmes avec tout ce qu'il implique en termes de disponibilité, de logement, et d'attributions traditionnelles. Par conséquent, l'organisation de la sécurité intérieure reste duale et repose sur deux forces, l'une civile et l'autre militaire, et il n'y a pas de projet de rapprochement organique dans cette loi.
Comment s'articule au sein du même ministère, la gendarmerie et la police nationales ? Comment ces deux forces distinctes coproduisent-elles de la sécurité au profit des citoyens ? Le premier point est la répartition territoriale, les forces de police et de gendarmerie sont organisées selon des principes complémentaires. La gendarmerie dans son organisation privilégie le maillage et la présence sur le territoire, et la police privilégie le regroupement dans des commissariats à taille critique, l'intervention et le suivi judiciaire. Les procédures en gendarmerie peuvent se faire sur le lieu de l'intervention, alors qu'elles ont davantage lieu au commissariat pour la police. Le maillage territorial correspond à ces spécificités, mais n'a pas évolué depuis 2014. Ce maillage mériterait d'être adapté en fonction des évolutions démographiques. La zone gendarmerie a vu sa population croître davantage que la zone police.
Un rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales a souligné ces mêmes éléments : la répartition actuelle mérite d'être adaptée en fonction des évolutions démographiques, des évolutions de la délinquance et de la criminalité. Il y a donc des raisons de fond d'examiner à nouveau la répartition entre les deux zones. Nous avons été d'une relative prudence, car cette question est soulevée par le Livre blanc de la sécurité intérieure. Sans trancher ces débats, nous avons voulu mettre sur la table tous les éléments pertinents.
Certaines circonscriptions de sécurité publique gagneraient ainsi à être incorporées en zone gendarmerie, et des zones périurbaines denses gagneraient sans doute à passer en zone police.
Les deux forces ont travaillé intensément pour déterminer un ensemble de critères, repris dans le Livre blanc, qui consiste à recommander une modification du seuil traditionnel de compétence de la gendarmerie nationale, c'est-à-dire les zones inférieures à 20 000 habitants, et de reporter ce seuil à 30 000 habitants en examinant au cas par cas ce qu'on peut faire des circonscriptions situées en zone intermédiaire, en concertation avec les élus. Il y a sur cette question une attitude de bon sens, qui pourrait conduire à modifier la répartition des zones au terme d'un processus de concertation et d'une analyse de l'évolution de la délinquance.
Il existe également deux problèmes spécifiques. S'agissant des villes chef-lieu de départements : la police souhaite qu'elles restent sous sa compétence même lorsque les critères géographiques ne sont pas remplis. Le deuxième problème est celui lié à l'éventuelle existence de départements entiers passés en zone gendarmerie, ce qui poserait des problèmes en termes d'articulation avec l'autorité préfectorale, en termes de maintien de l'ordre et d'articulation avec le renseignement territorial.
Pour ce qui concerne la gendarmerie, il y a eu un effort d'adaptation au territoire, le ratio moyen de 900 habitants par gendarme n'ayant guère évolué récemment. Autour de cette moyenne, on trouve des variations importantes. On peut citer des cas où le niveau des effectifs est inférieur à la moyenne nationale, alors que la délinquance y est supérieure, comme le Val-d'Oise. Le travail d'ajustement doit donc se poursuivre.
Le sujet suivant concerne les synergies opérationnelles et des dispositifs de coordination.
Au niveau central, les principales structures de coordination sont l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et l'Unité de coordination des forces mobiles (UCFM), qui ont fait l'objet de progrès récents. L'UCLAT reste un échelon de coordination nécessaire, en dépit des récentes modifications de la lutte contre le terrorisme.
Sur le plan local, le préfet de département est compétent, à l'exception de la petite couronne parisienne, où le préfet de police exerce le rôle de coordination. La Cour des comptes avait précisément proposé de revenir sur cette particularité de l'agglomération parisienne et de restituer l'autorité fonctionnelle des préfets de départements de la petite couronne parisienne. Il n'y a plus de force de gendarmerie dans cette zone, donc elle échappe à notre sujet.
De manière générale, l'autorité du préfet est reconnue, et s'appuie sur des instruments de coordination. La Coordination Opérationnelle Renforcée dans les Agglomérations et les Territoires (CORAT) donne lieu à l'établissement de conventions entre les deux forces. Il nous semble que ce dispositif pourrait être davantage utilisé et modernisé.
Sur le plan de la police judiciaire, nous avons deux forces qui restent relativement cloisonnées. Le traitement des affaires de délinquance et de criminalité relève pour 65 % de la police nationale et pour 35 % de la gendarmerie.
Les offices centraux sont pilotés pour dix d'entre eux par la police et pour quatre d'entre eux par la gendarmerie, en fonction des points forts de chacune des deux forces. Le fonctionnement de ces offices est en théorie mixte mais reste très orienté vers leurs forces de référence. Les tableaux d'effectifs sont en général mal honorés par la force minoritaire au sein de ces offices, il y a donc là sans doute des progrès à faire.
S'agissant du renseignement sur la criminalité organisée, ce dernier est assuré par le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (SIRASCO), auquel contribue la gendarmerie. Cette dernière a toutefois également mis en place un service central du renseignement criminel, qui pourrait être rapproché du SIRASCO afin d'assurer un meilleur partage des informations.
Sur les cybercriminalités, il y a dans le Livre blanc une reconnaissance du rôle de chef de file de la gendarmerie nationale.
Nous évoquons également le sujet du renseignement territorial, dont votre commission s'est déjà emparée dans un rapport du 7 octobre 2015 du rapporteur spécial Philippe Dominati, qui proposait notamment la fusion de la sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) de la gendarmerie et du service central du renseignement territorial (SCRT) de la police nationale. Nous allons plutôt dans ce sens, puisque nous pensons que la dualité des chaines de renseignement pose un problème d'articulation et de coordination. Les autorités avec lesquelles nous avons dialogué au cours de notre enquête sont plutôt enclines à consolider l'existant qu'à trouver des réponses dans une organisation nouvelle.
Les forces d'intervention spécialisées, composées des réseaux déconcentrés du GIGN et du RAID, ont des principes qui ne coïncident pas, puisque les antennes du GIGN sont sous la responsabilité des commandants régionaux de gendarmerie alors que le RAID reste sous la responsabilité du directeur général de la police nationale. Nous souhaitons que ces réseaux soient rendus davantage compatibles.
Le rapport évoque également la question des mutualisations, qui n'est pas une fin en soi, mais a pour objectif de mieux exercer ces compétences à moindre coût.
En termes d'économies budgétaires, nous nous sommes intéressés aux domaines dans lesquels les services de deux forces pouvaient encore renforcer leurs mutualisations.
Si, sur certains sujets, et notamment en matière de coopération internationale, les mutualisations sont assez avancées, des marges persistent.
La police nationale a fait de son côté un effort de regroupement au sein d'un service à compétence nationale de ses moyens de police technique et scientifique, alors que la gendarmerie a des positionnements plus territorialisés. Des rapprochements de ces moyens peuvent être envisagés, dans la mesure où il y a des mutualisations à rechercher.
Sur le sujet plus ancien du numérique, la mutualisation a bien fonctionné pour les systèmes d'information et de communication, grâce à la création en 2010 d'un service dédié, le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure, le STSISI, qui a procédé à une réelle intégration des forces de police et de gendarmerie, avec un leadership technologique plutôt du côté de la gendarmerie.
Un autre sujet plus délicat et qui est en pleine évolution concerne les mutualisations des fonctions de soutien. Il y a sur ce sujet, une politique volontariste au niveau régional et national.
Au niveau national, il faut noter la création d'un service de l'achat, de l'innovation et de la logistique du ministère de l'intérieur (SAILMI), sous l'égide du secrétariat général du ministère de l'Intérieur en 2019. Ce service fonctionne au bénéfice de l'ensemble des services, à l'exclusion de la direction générale de la sécurité intérieure.
Au niveau territorial, les secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'Intérieur, les SGAMI, procèdent, depuis leur création en 2014, d'une volonté d'intégrer les fonctions de soutien de la police et de la gendarmerie.
La participation de la gendarmerie est plutôt limitée en termes d'effectifs, avec seulement 280 agents de la gendarmerie sur les 4 000 agents de ces services. Cependant, les fonctions assumées par les SGAMI pour la gendarmerie sont plus limitées. Il y a des raisons pour expliquer ces différences, expliquées dans le rapport, en particulier en matière immobilière. Dans les autres domaines, des gains de mutualisation pourraient encore être atteints notamment dans le cadre des négociations actuelles concernant les garages automobiles et les échelons de maintenance des véhicules des deux forces.
Au total les gains de mutualisation restent difficiles à apprécier sur le plan budgétaire. Alors que les documents liés à la loi de programmation des finances publiques indiquent un gain escompté de 225 millions d'euros, nous pensons que ces estimations gagneraient à être précisées et détaillées.
Le rapport rappelle également les liens maintenus par la gendarmerie avec le ministère des armés, ces liens ne remettant pas en cause l'intégration de la gendarmerie au sein du ministère de l'Intérieur.
Si la mutualisation de la formation continue pourrait être renforcée, la mutualisation de la formation initiale, en raison du statut militaire de la gendarmerie, n'est guère envisageable.
Les conséquences budgétaires du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur appellent deux considérations principales. D'abord, les gendarmes ont bénéficié du rattachement, en termes de parcours professionnel, d'indemnité et de rémunération. Il y a donc eu, à travers les plans de revalorisation indemnitaire, une amélioration de la situation des personnels de la gendarmerie.
Deuxièmement l'identité militaire des gendarmes a été préservée, en particulier en ce qui concerne le logement, la formation initiale et la retraite. Un système de passerelle a été créé entre les deux corps mais il est peu utilisé.
Une ombre au tableau : comme la police, bien qu'à un moindre degré, les forces de gendarmerie ont souffert du « stop and go », 3 600 effectifs ont été supprimés entre 2009 et 2013 et 3 800 recréés entre 2013 et 2019.
Enfin, il y a un fort effet d'éviction du hors T2 au profit des dépenses de T2, soit les dépenses de personnel. Cette éviction a provoqué des difficultés sur les équipements et l'immobilier de la gendarmerie, en partie palliées entre 2015 et 2018 par les cinq plans d'urgence au titre du terrorisme et de la lutte contre l'immigration. Le rattrapage s'est interrompu en 2018, sous réserve de ce que le plan de relance pourrait apporter aux deux forces de sécurité.
Il y a un déséquilibre structurel à corriger sur le long terme, que l'expédient des plans d'urgence ou du plan de relance ne permettra pas de corriger de façon satisfaisante.
Le sous-financement affecte tout particulièrement l'immobilier, notamment du fait du casernement des personnels. Il risque de conduire à une sorte de mur immobilier et à des très grosses difficultés.
Ce que la gendarmerie appelle le « sac à dos » correspond à la méthodologie, d'ailleurs recommandée par la Cour des comptes, qui consiste à associer à chaque recrutement son coût de fonctionnement global. Si vous regardez l'évolution des dépenses de personnel et des dépenses de fonctionnement, on voit bien que le compte n'y est pas et que les gendarmes ont été recrutés, comme la police, sans que l'évolution corrélative des dépenses de fonctionnement n'ait accompagné ces recrutements. Si je dois résumer, cela signifie plus de monde mais des forces appauvries.
Une recommandation unique ici : rééquilibrer les dotations budgétaires en faveur du hors T2.
Nous avons porté notre regard sur une réforme qui s'est bien accomplie et qui est positive. Le rattachement a été bien accepté et n'a pas été remis en cause. Il y a eu des avancées substantielles, avec une volonté d'optimisation des ressources. Des difficultés demeurent, elles sont inhérentes à la coexistence des deux forces très différentes au sein d'une même entité ministérielle.
Des évolutions sont ainsi encore nécessaires, concernant la répartition des compétences sur le plan territorial. Des améliorations devront être apportées dans les années à venir, concernant la police judiciaire, le renseignement et la police technique et scientifique.