Intervention de Michelle Gréaume

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 8 juin 2021 à 16h40
Actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025 — Audition du général d'armée françois lecointre chef d'état-major des armées

Photo de Michelle GréaumeMichelle Gréaume :

L'actualisation de la LPM devait permettre de vérifier l'amélioration de la préparation opérationnelle, la disponibilité technique des équipements, les réalisations et les moyens consacrés. Dans certains domaines, nous restons à des niveaux inférieurs aux normes de l'OTAN. Quels sont vos objectifs de progression entre 2021 et 2023, puis jusqu'en 2025 ?

Ma seconde question porte sur le surcoût global du programme 178. La précédente actualisation de la LPM 2014-2019 avait permis d'ajouter, sur la fin de la programmation, 500 millions d'euros au profit de l'entretien programmé des matériels. Les retards capacitaires engendrent des surcoûts au niveau de l'entretien. Suite à la prolongation de la durée de vie de certains équipements majeurs et à la montée en puissance des contrats de verticalisation pour le maintien en condition opérationnelle, ne faudrait-il pas revoir à la hausse - de l'ordre de 1 milliard ou plus - le surcoût global du programme 178 non prévu en LPM ?

Général François Lecointre. - Pour répondre à la question de M. Folliot, je considère que l'on maintient le cap et que l'on atteint les objectifs fixés. Des choses sont faites en termes de perspectives de carrière, pour rendre plus fluides les passages d'un niveau à un autre ; ce travail s'effectue de manière constante.

Un sujet est plus spécifique à cette LPM : le casernement. Les armées ont accumulé, depuis au moins 20 ans, une dette importante liée aux infrastructures. Aujourd'hui, nous sommes obligés de prendre en compte cette dette, notamment pour ce qui concerne l'infrastructure opérationnelle et la qualité du casernement. Pendant des années, durant la période précédant la loi organique relative aux lois de finances, alors que les chefs d'état-major d'armée avaient la main sur leurs ressources, on sacrifiait les flux d'infrastructure pour préserver les flux d'acquisition de capacités opérationnelles. Nous sommes en train de rectifier le tir mais cela prend du temps.

Un autre effort spécifique concerne l'hébergement et le logement pour les familles. De grands programmes ont été lancés ; là encore, cela prend du temps. Pour répondre à ces besoins, nous devons tenir compte des nouveaux modes de fonctionnement et de vie de nos armées, en particulier depuis la crise covid. Je suis très attentif à ce qui atteint le plus directement la condition militaire, à savoir la mobilité géographique, qui touche en particulier les officiers ; celle-ci a un impact direct sur l'accès à la propriété, l'emploi du conjoint et la scolarité des enfants ; j'en suis, pour ma part, à 15 déménagements, pour ma seule carrière d'officier.

La limitation de la mobilité doit passer par la définition de parcours régionalisés ; on doit aussi penser au télétravail et au travail déporté. Tout cela doit être réfléchi au-delà des ressources budgétaires affectées à l'hébergement ou à l'amélioration de l'accès à la propriété.

Dans cette LPM, nous avons fixé une nouvelle politique de rémunération des militaires qui répond en partie à cette difficulté d'accès à la propriété. Nous attendons beaucoup de la mise en oeuvre de cette mesure. Par ailleurs, nous observons systématiquement un décalage entre les mesures dont bénéficie la fonction publique civile et celles dont bénéficie la fonction militaire ; cela n'est pas acceptable. Dans les années à venir, la fonction publique civile bénéficiera d'un certain nombre de rattrapages d'avantages ; il faudra que vous soyez attentifs à ce que ces mesures soient bien répercutées sur la fonction militaire.

Nous avons beaucoup agi pour les familles et nous continuerons de le faire avec des crèches et autres services, mais ce qui me paraît important c'est de reconnaître la singularité de la situation des conjoints et familles de militaires. Une personne qui suit son conjoint affecté dans le cadre de l'obligation de mobilité géographique doit pouvoir bénéficier d'une priorité pour, par exemple, accéder à un emploi dans la fonction publique. Il y a un véritable travail de conviction à mener en la matière, quelles que soient les oppositions.

Sur la vaccination, nous avons convaincu le ministère de la Santé que les armées devaient être traitées à part ; ainsi, les militaires participant au déploiement des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, du porte-avions ou de la mission Jeanne d'Arc ont été vaccinés en priorité afin de pouvoir accomplir leur mission. Ensuite les militaires engagés en opération bénéficient d'une vaccination prioritaire.

En matière de coopération internationale, monsieur Yung, il y a, au sein de l'Union européenne, le Fonds européen de défense, doté de 7 milliards d'euros, ainsi qu'une facilité européenne pour la paix, dotée de 5 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Ainsi, tant du point de vue opérationnel que du point de vue de la construction de capacités, les choses se structurent autour de projets intéressants. La France est très investie pour faire des propositions.

Nous travaillons également au développement de l'état-major de l'Union européenne. Cet état-major existe déjà, mais il doit avoir des responsabilités dans la gestion de crise, dans la planification et la conduite d'opérations, dans l'élaboration de modèles capacitaires et de doctrines. Il s'agirait, en clair, d'un état-major ayant à peu près, au sein du Service européen pour l'action extérieure, les mêmes attributions qu'un état-major comme le nôtre et qui pourrait donc construire une défense européenne de manière plus efficace.

Au sein de l'OTAN, les coopérations se passent normalement, mais nous sommes attentifs à ne pas être entraînés à des dépenses excessives. Nous assumons pleinement notre participation à l'OTAN, nous sommes opérationnellement très engagés dans ses différentes missions - la mission « Althéa » qui se fait dans le cadre des accords « Berlin Plus », « Enhanced Forward Presence », « Enhanced Air Policy », etc. - et nous sommes un partenaire important, extrêmement attentif à assurer le respect de nos engagements.

Ce qui interroge dans les choix stratégiques des Britanniques, c'est qu'ils sont en train de déséquilibrer leur modèle. Ils avaient un modèle complet comme le nôtre, et ils font le choix de la puissance maritime, avec l'ambition affichée de prendre la direction de coalitions. Le fait d'abandonner un modèle complet équilibré, comme celui que nous prétendons consolider et préserver ne risque-t-il pas de mettre le Royaume-Uni en situation de dépendance par rapport à certains partenaires et de l'empêcher d'assumer ses engagements dans l'OTAN ? La question mérite d'être posée.

Monsieur Cadic, vous m'avez interrogé sur la lutte contre la manipulation de l'information. Nous sommes partie prenante de cette réflexion. Vous avez évoqué la création d'un service à compétence nationale au sein du SGDSN. Nous affectons à ce service un ou deux militaires et nous serons actifs dans le champ cyber, contre la manipulation de l'information. Nous-mêmes avons rédigé une doctrine qui décrit nos actions en la matière et nous nous dotons des moyens permettant de mieux discerner les tentatives de manipulation de l'information contre nous. C'est un champ dans lequel nous serons de plus en plus actifs.

Je reviens sur la nécessité de développer la communication stratégique, en interministériel. Il ne s'agit pas de faire de la « contre-hybridité » ; il s'agit d'être capable de bien déceler les objectifs des auteurs des stratégies hybrides. Détecter les objectifs et la stratégie de tel ou tel compétiteur est indispensable. Ensuite, il faut savoir comment s'y opposer, dans les différents champs - réglementation, économie, action militaire -, à l'échelon national et européen. La réponse à ces stratégies hybrides comporte une part de communication stratégique. Nous avons de grands progrès à faire en cette matière.

Au-delà de la lutte contre la manipulation informationnelle, nous devons savoir établir une vision globale, partagée entre partenaires européens, et définir, dans l'arsenal des moyens à mobiliser contre cette stratégie hybride, une communication stratégique qui passe par la capacité à conduire ces exercices multinationaux, qui sont autant de démonstrations de puissance et de volonté.

En ce qui concerne le complément traitement indiciaire de soignants, nous nous sommes engagés à transposer les décisions du Ségur en 2021. Ce sera fait intégralement au sein des hôpitaux d'instruction des armées, nous sommes très attentifs à notre système hospitalier militaire. La mise en oeuvre se fera, par ailleurs, progressivement au sein de la médecine des forces.

Je veux tout de même faire une mise au point au sujet de ce système, qui a profondément changé en vingt ou trente ans ; on est passé d'hôpitaux destinés à traiter, à l'arrière, des masses importantes de blessés revenant du front - avec beaucoup d'hôpitaux militaires un peu partout en France - à un service de santé essentiellement tourné vers l'appui à la projection des forces, donc réduit en quantité et renforcé en qualité. Nous avons développé une médecine de l'avant extrêmement performante, spécifiquement française et remarquable, qui nous permet de limiter considérablement nos pertes. Nos hôpitaux militaires nous servent donc surtout à conserver la compétence des médecins, car, s'ils n'exercent pas, ils perdent rapidement leurs compétences. C'est pourquoi ils traitent principalement des civils.

Madame Gréaume, vous m'avez posé la question des objectifs de préparation opérationnelle ; je vous répondrai par écrit, car je ne dispose pas ici de l'ensemble des éléments qui me permettraient de répondre précisément. Nous nous dirigeons vers les normes OTAN ; c'est un objectif et cela nous permet de mesurer notre progression, qui tient à la disponibilité de nos équipements. Notre travail, notamment en matière aérienne - création de la direction de la maintenance aéronautique et verticalisation des contrats -, vise à rendre ces équipements plus disponibles. Nous continuerons de progresser, tout cela étant régulièrement bouleversé par des évènements comme la cession de nos Rafale à des partenaires étrangers. Cela fait partie de la vie des armées et l'ajustement de la LPM vise à accroître les moyens de la préparation opérationnelle. Au-delà de l'augmentation des moyens de simulation et des stocks de pièces, cela passera par la réalisation d'exercices importants et par la remontée de nos stocks de munitions. Nos munitions sont de plus en plus sophistiquées et chères, mais nous devons pouvoir les tirer, sans nous limiter aux préparations sur simulateur.

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