J'ai écouté nos invités avec attention. On doit d'abord noter que le ton a changé. J'ai été heureux d'entendre M. Missoffe dire qu'il reconnaissait le droit voisin pour les éditeurs de presse. Vous conviendrez que cela n'a pas toujours été le cas !
Au lendemain de l'adoption de la loi sur les droits voisins dont je suis à l'origine, et qui a fait l'unanimité des deux chambres, le président de Google News, qui était venu me rencontrer, avait signifié que ce n'était pas dans la culture de Google.
Vous souhaitiez jusqu'à présent jouer le rôle de mécènes afin d'aider la presse et garantir la liberté d'expression, sans reconnaître qu'il s'agit d'un droit des éditeurs ni vous assujettir à une loi.
Il s'agit donc d'un grand progrès sur le fond. Cela étant, depuis le début de la pandémie, et pour différentes raisons, vous avez réalisé des bénéfices colossaux alors que, durant une crise, la tendance du plus grand nombre est de s'appauvrir. Je ne connais pas la somme que représente l'accord secret que vous avez pu passer avec une petite partie de la presse française - ce qui constitue d'ailleurs le problème -, mais cette somme ne peut qu'être ridicule par rapport aux engagements mondiaux que vous avez pris il y a environ deux ans. Je rappelle qu'à l'époque, vous aviez laissé entendre que vous donneriez un milliard à la presse à travers le monde, ce qui n'est guère énorme au regard des bénéfices que vous avez accumulés.
Il existe une règle, et l'ensemble de la presse doit pouvoir bénéficier de la publicité qui a migré vers le Net. En France, c'était en effet la base de son financement. Vous exploitez des contenus d'information qui attirent la publicité vers votre plateforme sans que cette information ne vous coûte grand-chose. Or c'est grâce à la presse, aux journalistes, aux reporters de guerre, par exemple, que l'information remonte - et cela représente un coût important.
En second lieu, comment réagissez-vous à l'initiative - que je soutiens personnellement - qui a été prise par le Syndicat de la presse magazine (SEPM), la Fédération nationale de la presse d'information spécialisée (FNPS) et le Syndicat de la presse d'information indépendante en ligne (SPIIL), de créer un organisme de gestion collective dédié, avec le soutien de la Sacem ? Ne pensez-vous qu'il vaut mieux, même pour vous, n'avoir qu'un interlocuteur qui connaît le métier pour négocier et redistribuer ces droits ?
Enfin, j'insiste sur l'ampleur de ce que l'on attend de votre part. En 2019, Google a été condamné à 500 millions d'euros d'amendes pour fraude fiscale aggravée et blanchiment en bande organisée de fraude fiscale et à 465 millions d'euros de rattrapage d'impôts. Fort heureusement, depuis le 1er janvier 2020, vous avez annoncé avoir cessé d'exploiter des mécanismes d'optimisation fiscale en Europe. Google va-t-il payer désormais ses impôts dans les pays où il exerce ses activités ?
Lors du dernier G7, le principe d'une taxe internationale a été acté, visant à ponctionner les multinationales qui réalisent des bénéfices sans les déclarer auprès des services fiscaux du pays étranger où se trouvent les clients et les consommateurs. Les sept plus grandes puissances mondiales se sont mises d'accord sur un taux d'impôt minimal mondial sur ces sociétés d'au moins 15 %. Qu'en pensez-vous ? Ma question s'adresse à l'ensemble de nos interlocuteurs.
En conclusion, on peut faire fi du passé : si vous reconnaissez le droit voisin, reconnaissez-le jusqu'au bout et traiter l'ensemble de la presse française sans chercher à la diviser. Je sais qu'il est compliqué d'évaluer exactement les sommes, mais mettez-y de la bonne volonté. Il en va de votre image et surtout de la démocratie : il faut aujourd'hui aider la presse pluraliste, qui est en danger.