Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 12 juillet 2021 à 15h00
Débat d'orientation des finances publiques dofp — Communication

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur général :

Après avoir examiné successivement, depuis avril dernier, le programme de stabilité 2021-2027, le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2021 et le projet de loi de règlement pour 2020, voici cet après-midi une brève communication sur le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques pour 2022. Cela me paraît utile dès lors que ce débat, qui aura lieu jeudi prochain en séance publique, en même temps que l'examen du projet de loi de règlement, doit en principe « présenter la situation et les perspectives de l'économie et préciser la stratégie de finances publiques du Gouvernement », en particulier les orientations pour le prochain budget 2022, que nous devrons examiner à l'automne.

S'il doit nous permettre de préparer l'avenir, le rapport préparatoire au DOFP s'avère finalement relativement pauvre en contenu. S'agissant des perspectives de l'économie et des finances publiques, le rapport qui nous a été transmis est l'occasion pour le Gouvernement de confirmer le scénario macroéconomique qu'il avait présenté à l'occasion du programme de stabilité pour les années 2021 à 2027.

L'hypothèse d'une croissance du PIB en volume de 5 % en 2021 est ainsi maintenue. Comme je l'ai indiqué lors de l'examen du PLFR, cette hypothèse est raisonnable quoique prudente.

En effet, plusieurs éléments permettent de penser qu'elle pourrait être dépassée. À titre d'exemple, si le niveau d'activité devait rester le même qu'en juillet jusqu'à la fin de l'année, la croissance pourrait atteindre 5,3 % d'après les données de la dernière note de conjoncture de la Banque de France. Je mesure l'immense fragilité de ces prévisions, alors que nous sommes confrontés à une recrudescence des contaminations et que l'hypothèse de nouvelles mesures de restriction est loin d'être exclue.

Je le redis donc avec lucidité : toutes les projections macroéconomiques avec lesquelles le Gouvernement travaille seraient évidemment obsolètes si la crise sanitaire devait à nouveau s'aggraver.

Sous cette réserve, je relève que les perspectives qui sont les nôtres en matière de croissance de long terme ne sont pas réjouissantes. Vous le savez, la crise a réduit notre PIB potentiel d'environ 2,25 points. Même si le Gouvernement retient une hypothèse différente, il apparaît vraisemblable que la croissance potentielle a également décru par rapport à son niveau d'avant-crise. Ainsi, alors que le Gouvernement prévoit toujours une croissance potentielle de 1,35 % du PIB au cours du prochain quinquennat, elle pourrait, en réalité, se limiter à 1,2 % du PIB.

Cette très mauvaise nouvelle devrait appeler une mobilisation importante afin de déterminer les mesures, budgétaires ou non, qui peuvent permettre de redresser la trajectoire de notre PIB potentiel. Pourtant, le rapport préparatoire au DOFP ne mentionne aucune piste, ce qui est parfaitement regrettable.

J'ai déjà indiqué mon attachement à ce que les dépenses ou investissements d'avenir, en particulier dans les champs de la transition écologique ou de la formation, soient soutenus.

J'en viens maintenant à la trajectoire des finances publiques présentée par le Gouvernement à l'occasion de ce débat d'orientation des finances publiques.

Comme vous le savez, la situation financière de notre pays ressort particulièrement dégradée de cette crise qui a entraîné une contraction forte des recettes publiques et une hausse des dépenses, notamment de soutien au tissu productif et aux ménages.

Nous devrions terminer l'année 2021 avec un déficit de l'ordre de 9,4 % du PIB après 9,2 % en 2020. Notre endettement s'est envolé pour passer de 97,6 % du PIB en 2019 - c'était déjà excessif - à 117,2 % en 2021.

Nos finances sont d'autant plus dégradées aujourd'hui qu'elles n'avaient pas été suffisamment assainies avant la crise, ce que nous avons déjà eu l'occasion de pointer du doigt et de regretter.

La trajectoire des finances publiques qui est présentée au rapport préparatoire est la même que celle détaillée au programme de stabilité, sous réserve de quelques actualisations concernant les années 2021 à 2023.

Celles-ci sont justifiées par la révision à la hausse du PIB, compte tenu de l'ampleur moindre de la récession en 2020 que ce qui était attendu ; par l'ouverture en loi de finances rectificative pour 2021 d'environ 14 milliards d'euros de crédits supplémentaires au titre des mesures de soutien ; et, enfin, par une révision de la prévision de l'inflation hors tabac en 2023.

Le point saillant de cette trajectoire est évidemment l'objectif d'une baisse des dépenses publiques en proportion du PIB à partir de 2023, d'une stabilisation de la dette à compter de 2026 et d'un retour au seuil maastrichtien du solde public en 2027.

J'ai déjà indiqué que je considérais que le choix de l'année 2023 pour entamer la réduction de la dépense publique me paraissait pertinent. En effet, une consolidation trop précoce serait susceptible d'avoir un effet négatif sur la croissance et viendrait potentiellement ruiner les efforts consentis pendant la crise pour soutenir notre tissu productif.

Pour ceux qui, comme moi, plaident pour une maîtrise de nos dépenses, décider de consolider trop tôt reviendrait à risquer d'avoir dépensé en pure perte en 2020 et 2021, sur le dos des générations futures.

Cela ne signifie pas pour autant que nous ne devons pas arrêter les mesures de soutien et l'économie « sous perfusion » dès que possible. Au contraire, il faut penser « relance » et « investissements d'avenir », tout en maîtrisant les dépenses de fonctionnement et en préparant les réformes nécessaires, j'y reviendrai.

Quoi qu'il en soit, comme je l'ai dit dans mon analyse sur le programme de stabilité, cette trajectoire de maîtrise de la dépense publique est à la fois inédite et ambitieuse.

Inédite, d'abord, parce qu'elle repose sur l'objectif de maintenir la croissance en volume de la dépense publique primaire, hors mesures de soutien et de relance, en dessous de 0,3 % par an au cours du prochain quinquennat. Un tel niveau n'a été constaté que deux fois au cours des vingt dernières années et jamais deux années de suite.

Ambitieuse, ensuite, car elle requiert de mettre en oeuvre un volume important d'économies entre 2022 et 2027.

Il faut, pour mesurer l'effort demandé, évaluer le tendanciel d'évolution de notre dépense publique primaire. La commission pour l'avenir des finances publiques, présidée par M. Jean Arthuis, avait, à cet égard, estimé ce tendanciel à 0,9 % par an. Nous n'étions pas entièrement d'accord avec les hypothèses sous-jacentes à cette estimation, qui nous paraissait susceptible d'être en deçà de la réalité. D'une part, elles reposaient sur une croissance de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) de 3,1 %, alors que celle-ci devrait être plus proche de 4,5 %. D'autre part, elles retenaient une indexation du point d'indice de la fonction publique équivalente à la moitié de l'inflation, alors que l'on considère généralement, dans ce type d'exercice, que le scénario de référence doit retenir une pleine indexation. En tenant compte de ces éléments, nous avions estimé, lors de l'examen du programme de stabilité, que le tendanciel d'évolution de la dépense publique primaire se situait plutôt autour de 1,3 % par an.

En tout état de cause et quel que soit le tendanciel retenu, les économies à réaliser sont majeures. Ainsi, avec le tendanciel retenu par la commission pour l'avenir des dépenses publiques, les économies nécessaires pour respecter la trajectoire prévue au cours du prochain quinquennat s'élèveraient à 45,8 milliards d'euros. Avec le tendanciel alternatif que nous avons estimé, elles atteindraient 69,1 milliards d'euros !

Or, les mesures d'économies envisagées par le Gouvernement ne sont pas plus documentées maintenant qu'en avril dernier. Aucune piste réelle de réforme n'est avancée, aucun travail de fond ne semble à ce stade réalisé. Peut-être seront-elles annoncées ce soir à l'occasion de l'intervention du Président de la République ? Je l'ignore naturellement.

Cette absence de stratégie pour réaliser un effort en dépense aussi important et nécessaire est véritablement préjudiciable. Elle entame la crédibilité des engagements que nous prenons, en particulier vis-à-vis de nos partenaires européens. Elle pourrait peser aussi sur nos capacités d'endettement sur les marchés financiers. Elle pousse à s'interroger, par ailleurs, sur le sens même de cet exercice consistant à réunir le Parlement pour qu'il débatte d'informations qu'on lui a, pour l'essentiel, déjà transmises et qui n'éclairent toujours pas sa décision.

S'agissant du contenu concret du projet de loi de finances pour 2022, il y a peu à dire, car nous ne disposons pas encore du « tiré à part » qui doit indiquer les crédits des ministères et les schémas d'emplois pour l'an prochain.

Il est simplement indiqué que les dispositifs d'urgence s'éteindront à l'été 2021 et que certaines politiques se poursuivront en 2022, comme le plan de relance et l'accroissement des moyens des missions régaliennes, sans chiffre précis. Le rapport entérine l'abandon définitif des objectifs de diminution des emplois de l'État et de ses opérateurs, à savoir la suppression de 50 000 postes durant le quinquennat, une simple stabilité étant désormais recherchée.

Une réforme est toutefois annoncée pour le projet de loi de finances pour 2022 : l'instauration d'un régime unifié de responsabilité des comptables et des ordonnateurs, qu'il nous appartiendra de suivre avec attention.

Le rapport préparatoire au débat d'orientation sur les finances publiques indique également, dans son tome II, la maquette budgétaire envisagée, conformément au 4° de l'article 48 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Une seule modification est envisagée par rapport à la loi de finances initiale pour 2021 : dans la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », les programmes 167 « Liens entre la Nation et son armée » et 169 « Reconnaissance et réparation en faveur du monde combattant » fusionneront. Cela est présenté comme une simplification. Je rappelle néanmoins que le programme 167 représente seulement 37,8 millions d'euros en loi de finances pour 2021, contre près de 2 milliards d'euros de crédits pour le programme 169.

En outre, selon le fichier annexé au rapport, la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » disparaîtrait de la maquette budgétaire. Mais c'est ce que prévoyait déjà le rapport préalable au DOFP l'an dernier...

Enfin, s'agissant de la performance, l'accent devrait être mis sur les objectifs environnementaux ou relatifs à l'égalité entre les femmes et les hommes. Le dispositif de performance comprendra 429 objectifs et 856 indicateurs, en augmentation de 1 % par rapport au PLF pour 2021. Mais 91 % des indicateurs ne seront pas modifiés.

D'une manière générale, ce rapport préparatoire est, une nouvelle fois, décevant en ce qu'il ne nous permet pas de comprendre de quelle manière sera engagée la nécessaire maîtrise des finances publiques au cours des années à venir, ni les grandes directions que le Gouvernement compte proposer dès le prochain projet de loi de finances.

Il s'agit donc d'un exercice obligé qui, faute de contenu, prive le Parlement d'un vrai débat politique avant le budget. Voilà une occasion manquée de retisser les liens de confiance nécessaire à la vitalité de notre démocratie.

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