Sur la première question de Mme Harribey, chaque pays a remis un plan national de relance et de résilience. Nous l'avons fait au mois de mai et il a été approuvé par la Commission la semaine dernière. Il n'y a pas de conditionnalités. La procédure d'évaluation est assez lourde : approbation par la Commission, validation collective par le Conseil au niveau des ministres des Finances mais il n'y a pas de droit de véto d'un pays sur un autre, qui aurait pu entraîner des exigences sur telle ou telle réforme et conduire à un degré de contrainte excessif. Il n'y a pas non plus de logique stricte « réformes contre argent ». Néanmoins, une stratégie de relance et de résilience ne peut se limiter à dépenser de l'argent. Elle doit prévoir l'utilisation de ces fonds pour faciliter des réformes structurelles qui seront définies et adaptées dans chaque pays. La Commission ou un pays d'Europe du Nord ne diront pas à France qu'elle doit réformer son marché du travail ou ses retraites. Toutefois, le projet national de relance et de résilience français évoque un certain nombre de réformes que nous comptions mettre en oeuvre. La réforme de l'assurance chômage est mentionnée dans le plan national de relance mais nous ne l'avons pas lancée pour obtenir des fonds européens.
Deux conditions doivent être remplies pour la validation de ces plans. Au moins 37 % des dépenses doivent être consacrées à la transition écologique : le plan de la France prévoit 50 % et au moins 20 % à la transformation numérique (développement de la fibre, numérisation des entreprises, etc.), notre plan prévoit 25 %. Il n'y a pas de conditionnalités sur le plan social ni, au titre de la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, d'intrusion européenne dans nos réformes sociales. Il y a seulement des exigences de bonne gestion comme pour toute utilisation de fonds européens.
Nous ne sommes donc pas dans une logique de type semestre européen : austérité, surveillance précise des réformes et faible prise en compte de la dimension sociale de l'après crise. Par ailleurs, depuis le sommet de Porto, l'agenda social européen a gagné en substance. Si l'Europe sociale a longtemps été utilisée comme paravent ou comme slogan, elle bénéficiera d'un nouvel élan sur la réforme du travail détaché, sur la directive sur les salaires minimums ou sur les travailleurs des plateformes très peu encadrées socialement. Il n'y a pas de contradiction ni de hiérarchie entre, d'une part, l'économie et les réformes et, d'autre part, la dimension sociale dans la stratégie européenne de relance. Je l'ai déjà dit, nous avons changé de logiciel européen sur ces sujets.
Sur la question de la fiscalité internationale, qui fait partie de ce monde plus équitable d'après crise que nous essayons de dessiner au niveau multilatéral, un G20 Finances est programmé les 9 et 10 juillet et des discussions ont lieu à l'OCDE. Nous avons deux obstacles à franchir. Disposerons-nous d'un accord international suffisamment large pour que ce projet ait du sens ? Je le crois parce que le G7 a donné une impulsion qui sera suivie, je l'espère, par le G20. Pourrons-nous, au niveau européen, trouver un accord unanime pour transposer cet accord international dans une législation commune ? Je le crois aussi puisque nous avons fait pivoter le débat d'une stricte taxation des entreprises numériques vers une taxation plus juste des multinationales. L'Irlande s'est exprimée contre cette réforme mais sa position pourrait évoluer avec la pression de ses partenaires européens mais aussi de l'allié américain. Si nous ne trouvons pas d'unanimité, il est juridiquement possible de mettre en place des coopérations renforcées en matière fiscale. Nous avons essayé avec la taxe sur les transactions financières mais nous n'avons pas encore abouti. Je pense que nous avons une obligation de résultat sur cet accord international. La France et l'Allemagne ne laisseront pas casser un accord poussé par l'Europe et débloqué par les États-Unis. Nous trouverons les voies et moyens de le faire aboutir, dans un format à déterminer, et je souhaite que cela puisse se réaliser au niveau de l'Union européenne. Nos concitoyens ne comprendraient pas que certains pays mettent en danger un accord aussi important et aussi juste.
Sur les migrations et les plans d'actions pour les pays d'origine et de transit, nous voulons ouvrir une négociation avec certains pays prioritaires pour qu'ils coopèrent sur le phénomène de l'immigration illégale. L'aide que nous leur versons peut être renforcée sur la problématique migratoire. Le compte rendu que vous avez cité précise que 10 % des fonds de développement européens seront consacrés à la lutte contre les phénomènes migratoires illégaux et au soutien au développement local. L'idée est d'européaniser les discussions que nous avons avec les pays du Maghreb. La France a ainsi un rôle à jouer au nom de l'Union européenne dans les discussions avec le gouvernement tunisien. Nous savons qu'un pays ne peut pas avoir de politique de lutte contre l'immigration illégale efficace sans reconduite. Celle-ci ne dépend pas des pays européens mais des laissez-passer consulaires que les pays d'origine ou de transit acceptent ou non de délivrer. Nous n'avons jamais su mettre en place une stratégie de pression collective européenne sur les principaux pourvoyeurs de flux.
Les cyberattaques ont été évoquées par la Pologne, victime d'une attaque, probablement russe, qui a révélé des conversions privées de responsables politiques très proches du Premier ministre. Le système de santé irlandais a également subi une attaque, sans doute de même origine. La menace n'a pas disparu. Elle peut frapper tout le monde, à n'importe quel moment, par exemple celui où nous avons des échéances électorales ou un enjeu de vaccination. Nous disposons heureusement de capacités d'expertise de très haut niveau, avec l'autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information (ANSSI) en France et d'autres agences en Europe. Nous aurions intérêt à mettre en place, non pas pour le plaisir de créer des « machins » comme l'aurait dit le Général de Gaulle, mais pour renforcer nos moyens communs, une agence européenne de cybersécurité. Nous pourrions ainsi mobiliser les experts des autres pays au moment d'un processus électoral comme nous le faisons par exemple en matière de sécurité civile. Ce n'est pas un point anodin, vous avez raison de le souligner, même s'il a fait l'objet d'assez peu de débats au Conseil européen.
Enfin, pour répondre à Mme Lavarde, le ministre Jean-Yves Le Drian a parlé du Liban au Conseil Affaires étrangère. Il a souligné sa très forte préoccupation et évoqué la possibilité de sanctions. Cette pression et la prise de conscience du Haut représentant Josep Borrell vont conduire l'Union européenne à examiner, dans les semaines qui viennent, de possibles sanctions contre les acteurs politiques responsables du blocage. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a échangé avec Jean-Yves Le Drian il y a quelques jours et la position américaine est la même : maintenir une pression maximale et n'écarter aucune option, y compris des sanctions.