Intervention de Martine Filleul

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 7 juillet 2021 : 1ère réunion
Examen du rapport d'information de mmes martine filleul joëlle garriaud-maylam et dominique vérien sur le bilan de l'application de la loi copé-zimmermann dix ans après son adoption

Photo de Martine FilleulMartine Filleul, rapporteure :

Merci Madame la présidente.

Je vais pour ma part vous présenter le bilan que nous avons réalisé de l'application de la loi Copé-Zimmermann et de la féminisation des instances dirigeantes des entreprises françaises depuis dix ans ; puis ma collègue Dominique Vérien exposera nos principales recommandations.

Tout d'abord, un bref rappel des dispositions de la loi dite « Copé-Zimmermann ».

Cette loi a assigné des objectifs chiffrés de parité aux conseils d'administration et de surveillance des sociétés cotées et des sociétés non cotées employant plus de 500 salariés et présentant un chiffres d'affaires ou un bilan d'au moins 50 millions d'euros. Ce seuil a été abaissé à 250 salariés au 1er janvier 2020.

Dans ces entreprises, la proportion d'administrateurs de chaque sexe devait être de 20 % en 2014 et doit être de 40 % depuis 2017. Si le conseil est composé de huit membres ou moins, l'écart entre le nombre de membres de chaque sexe ne doit pas être supérieur à deux.

Un double dispositif de sanctions est prévu :

- d'une part la nullité des nominations irrégulières, assortie, depuis la loi PACTE, d'une nullité des délibérations auxquelles a pris part l'administrateur irrégulièrement nommé ;

- d'autre part, la suspension du versement des jetons de présence en cas de composition irrégulière des conseils.

Le bilan que nous avons pu dresser est nuancé puisque :

- la loi a prouvé son efficacité et a fait progresser la parité dans les conseils d'administration et de surveillance des plus grandes entreprises françaises ;

- cependant, elle n'a pas entraîné, dans son sillage, une féminisation de la gouvernance et de la direction opérationnelle de toutes les entreprises, loin de là.

Je vais commencer par le volet positif.

Les objectifs fixés ont été atteints et même dépassés. Les quotas ont fait voler en éclat l'inertie en matière de parité qui prévalait dans les instances de gouvernance des entreprises françaises avant 2011.

Comme l'a constaté Marie-Jo Zimmermann, co-auteure de la loi, lors de notre table ronde du 21 janvier dernier, « les résultats, sur le plan statistique, des entreprises visées sont très bons, excepté pour une ou deux entreprises qui rencontrent des difficultés ».

Ainsi, le nombre d'administratrices dans les sociétés du SBF 120 - c'est-à-dire 120 des plus grandes capitalisations boursières françaises - est passé de 13 % en 2010 à 30 % en 2014, 42 % en 2017 et 46 % en 2021.

La France se situe aujourd'hui au premier rang mondial en termes de féminisation des conseils d'administration des grandes entreprises cotées, devant la Norvège, et loin devant l'Allemagne ou les États-Unis. Les progrès les plus importants en termes de mixité ont eu lieu dans les rares pays qui ont imposé des quotas, comme la France, la Norvège dès 2003, l'Italie en 2011 ou la Californie en 2018.

Comme notre collègue rapporteure Joëlle Garriaud-Maylam aime à le rappeler, la loi Copé-Zimmermann a lancé une réelle dynamique au niveau international et la France est souvent citée en exemple à travers le monde.

La place des femmes dans les instances dirigeantes des entreprises, et dans l'entreprise en général, est devenue un enjeu de bonne gouvernance économique et financière, ainsi qu'un enjeu pour leurs politiques de ressources humaines, qui sont de plus en plus scrutées à la fois par les acteurs financiers et par les jeunes talents. La progression de la parité a contribué à une professionnalisation, un changement de ton et de mentalités, une évolution des processus de décision et une meilleure prise en compte des objectifs de RSE et de développement durable au sein des conseils d'administration.

Invitée par la délégation à livrer son témoignage en tant qu'ancienne présidente du Medef au moment du vote de la loi de 2011, Laurence Parisot a ainsi déclaré le 21 janvier dernier : « Lors de la promulgation de la loi, je siégeais déjà dans des conseils d'administration. J'ai continué à siéger dans plusieurs d'entre eux au cours de ces dix dernières années, et je voudrais que vous sachiez combien ils ont changé ! [...] La mixité a produit un ton différent, plus constructif, apaisé, qui autorise une certaine créativité. » Elle en a ainsi conclu que « la loi Copé-Zimmermann est une contribution majeure à la cause des femmes et une contribution majeure à notre pays ».

Cependant, et c'est là que le bât blesse, les quotas n'ont pas eu l'effet de ruissellement attendu en termes de féminisation de l'ensemble de la direction opérationnelle des entreprises.

La parité a progressé et n'a été atteinte que dans les conseils d'administration et de surveillance des grandes capitalisations boursières. La proportion de femmes reste limitée à environ un tiers dans les conseils des plus petites capitalisations boursières et à un quart dans ceux des entreprises non cotées de plus de 250 salariés, qui entrent pourtant dans le champ d'application de la loi.

Pour reprendre les mots de Denis Terrien, président de l'Institut français des administrateurs, devant notre délégation : « La loi est faite pour les sociétés visibles et, de fait, elle est moins efficace pour les autres ».

La question du contrôle de l'application de la loi pour les sociétés non cotées est donc primordiale. L'État manque d'outils et surtout de moyens pour contrôler l'application des dispositifs de parité qu'il a instaurés. Certaines sociétés, notamment parmi les entreprises de taille intermédiaire, les ETI, n'ont pas connaissance des obligations de parité qui pèsent sur elles et ne font l'objet d'aucun contrôle en la matière. Les inspecteurs du travail, qui peuvent jouer un rôle, n'ont pas de moyens suffisants pour exercer un contrôle systématique.

La mixité est encore plus limitée dans les instances de gouvernance des PME qui n'entrent pas dans le champ d'application de la loi et ne comptent ainsi que 18 % de femmes.

En outre, certaines entreprises ne sont pas concernées par la loi faute d'instance de gouvernance collégiale en leur sein. C'est notamment le cas des sociétés par action simplifiée (SAS).

Au sein même des conseils d'administration, y compris ceux qui respectent les exigences de parité, les femmes accèdent moins que les hommes aux comités les plus stratégiques et les plus rémunérateurs, par exemple le comité stratégique, le comité d'audit ou le comité de nomination. Elles siègent en revanche plus souvent au sein du comité RSE.

Il y a aussi moins de femmes à la tête de grandes entreprises : au sein du CAC 40, il n'y a que deux femmes présidentes de conseil d'administration (Angela Garcia-Poveda chez Legrand et Barbara Dalibard chez Michelin) et une femme présidente directrice générale (Catherine MacGregor chez Engie).

Enfin, le plafond de verre demeure au sein des comités exécutifs (les Comex) et comités de direction (les Codir), qui n'entrent pas dans le champ d'application de la loi Copé-Zimmermann : les femmes occupent, en 2021, 22 % des postes des Comex et Codir du SBF 120. En outre, 12 % des Comex et Codir du SBF 120 ne comptent aucune femme et 96 % en comptent moins de 40 %.

Si la proportion de femmes dans les Comex et les Codir a augmenté de 15 points depuis 2011, cette amélioration est sans commune mesure avec celle (de 31 points) constatée dans les conseils d'administration et de surveillance, pour lesquels des quotas ont été imposés par la loi.

Au sein des Comex et Codir, on constate encore une répartition genrée et « stéréotypée » des postes de direction, les femmes occupant majoritairement les fonctions de directrice de la communication ou de directrice des ressources humaines.

Contrairement aux conseils d'administration qui recrutent leurs membres largement à l'extérieur de l'entreprise, les Comex et Codir sont composés de membres internes à l'entreprise. Il y a donc un enjeu de promotion interne des femmes.

Or dans la majorité des secteurs d'activité, il existe bien un vivier de femmes compétentes à promouvoir. Les femmes sont désormais aussi, voire plus, nombreuses que les hommes à être diplômées du supérieur et des grandes écoles.

En outre, le taux de féminisation des instances dirigeantes n'est pas toujours proportionnel à la féminisation du secteur et des disparités existent entre sociétés d'un même secteur : ainsi, le Comex de Suez compte 36 % de femmes alors que celui de Veolia n'en compte que 9 %. Cela dépend donc pour une bonne part de la dynamique des politiques RH.

Il en est de même s'agissant de l'application des diverses lois relatives à l'égalité professionnelle. L'article 8 de la loi Copé-Zimmermann, qui prévoit que les conseils d'administration délibèrent chaque année sur la politique d'égalité professionnelle et salariale de l'entreprise, sur la base du rapport de situation comparée (RSC), est très peu appliqué. En outre, l'Index de l'égalité professionnelle, dit Index Pénicaud, fait apparaître des inégalités persistantes en matière de rémunération, avec seulement un quart des entreprises qui respectent une parité ou une quasi-parité dans leurs dix meilleures rémunérations.

Ces différents constats nous donc ont amenées à dresser huit recommandations, que ma collègue Dominique Vérien va maintenant vous présenter.

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