Intervention de Rachid Temal

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 21 juillet 2021 à 10h00
Contrat d'objectifs et de moyens de l'agence française de développement — Examen du rapport d'information

Photo de Rachid TemalRachid Temal, rapporteur :

Comme mon collègue Hugues Saury, je regrette évidemment cette présentation très tardive du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Comme pour le projet de loi, il y a encore ici une dimension un peu surréaliste car on nous demande de nous prononcer sur un document censé couvrir une période déjà achevée aux deux tiers !

La deuxième interrogation qui vient immédiatement à l'esprit à propos de ce COM est à la suivante : est-il cohérent avec la loi que nous venons d'adopter définitivement hier après-midi ? À cette question, la direction générale du Trésor, que nous avons auditionnée, répond par l'affirmative en disant que le COM décline, tout comme le projet de loi, les résultats du CICID de février 2018. Cela fait un peu l'impasse sur ce qui s'est passé depuis trois ans, et notamment sur l'apport du Parlement lors de l'examen de la loi !

À cet égard, j'estime que le COM n'offre qu'à moitié satisfaction. En particulier, il ne reflète pas suffisamment la distinction que nous avons établie entre les missions de l'AFD. Il aurait fallu rappeler dès l'introduction que l'agence agit selon deux lignes directrices distinctes, l'une avec des dons pour les pays très pauvres, l'autre avec des prêts pour la transition écologique dans les pays intermédiaires. Le COM ne comporte à cet égard qu'un sous-objectif intitulé « agir de manière différenciée en fonction des géographies d'intervention », avec trois indicateurs de concentration des subventions sur l'Afrique et les pays prioritaires. Il est d'autant plus heureux que nous ayons introduit dans la loi un objectif général de concentration de l'ensemble de l'aide-projet sur les pays prioritaires : l'AFD devra ainsi de toute façon réorienter son activité dans ce sens.

Par ailleurs, l'accent que nous avons mis sur l'évaluation est bien reflété par le COM, avec un objectif spécialement consacré à cet aspect. En revanche, la cible fixée d'une évaluation de 50% des projets achevés n'est pas très ambitieuse, puisque ce taux est déjà atteint actuellement. Espérons que création de la nouvelle commission d'évaluation permettra de donner un nouvel élan à cette dimension essentielle !

Deuxième remarque, les objectifs et indicateurs liés à l'activité de l'AFD prévoient indirectement une stabilisation des engagements à environ 12 milliards d'euros par an, alors que l'agence avait atteint 14,1 milliards juste avant la crise. Il s'agit là d'un changement considérable, qui n'apparaît pas suffisamment clairement dans le COM. Après une phase de croissance extrêmement rapide de l'activité de l'agence, qui a vu les engagements passer de 7 milliards à 14 milliards d'euros en 7 ans, nous entrons donc dans une période de stabilisation. Lors du précédent COM, notre commission avait émis des doutes sur la trajectoire dessinée pour l'agence, qui prévoyait à l'époque près de 17,9 milliards d'euros d'engagements en 2022. En effet, les pays émergents, à qui l'AFD avait le plus prêté au cours des trois dernières années, connaissaient une situation financière qui se dégradait. En outre, l'agence s'approchait de sa limite de risque sur un certain nombre de pays comme l'Indonésie, la Tunisie ou le Maroc. Enfin, un surendettement se faisait jour dans plusieurs pays africains qui pouvait, jusqu'alors, contracter des emprunts à taux bonifiés.

Plus fondamentalement, nous nous interrogions sur la démarche qui consistait à essayer de placer un volume toujours croissant de prêts à des taux proches de celui du marché dans des pays qui n'en voyaient pas toujours eux-mêmes la nécessité.

Finalement, la crise du Covid a cristallisé tous ces doutes et a abouti à une révision drastique de cet objectif de croissance. Ceci implique un profond changement dans le projet d'entreprise de l'AFD : après une expansion très forte, il s'agit désormais de consolider. Le passage à un pilotage par les versements et le renforcement de l'évaluation vont tout à fait dans ce sens. Mais il convient également de renforcer encore la concentration des efforts des équipes de l'agence sur la gestion des dons, qui ont connu une forte hausse depuis quelques années en volume, même s'il y a eu une baisse relative en 2020.

Stabilisation et consolidation de l'activité, renforcement de l'activité en dons : c'est bien l'ensemble de ces évolutions qui auraient dû figurer en introduction du COM, davantage que l'évocation des objectifs d'un CICID qui remonte à trois ans et demi ! De même, la partie relative aux moyens de l'agence pourrait indiquer en termes plus clairs que la période d'augmentation continue des fonds propres de l'agence est désormais révolue.

Au-delà de ces grandes tendances, je souhaiterais exprimer deux regrets et un sujet de vigilance.

Premier regret, le COM ne comporte aucun indicateur sur les synergies entre l'AFD et Expertise France, qui seront fusionnées début 2022 en vertu du projet de loi que nous venons d'adopter. On aurait pu imaginer, par exemple, un indicateur consistant en un nombre ou un pourcentage de projets comportant à la fois un financement de l'AFD et une prestation de conseil réalisée par Expertise France. On nous répond qu'il n'y a pas besoin d'indicateur dans ce domaine tellement cela fonctionne déjà bien. Cela ne me paraît pas convaincant : il faut aussi penser dans le long terme ; le rapprochement n'en est qu'à ses débuts.

Deuxième regret, le nouveau siège de l'AFD n'est évoqué nulle part. À ce sujet, nous sommes en pleine actualité puisque le Conseil de l'immobilier de l'Etat vient d'entendre M. Rioux. Le projet est entré dans la phase des recours juridique qui devrait s'achever en 2022. À ce stade, la surface définitive est fixée mais le projet comporte une part dite de « flex-office », 20% devant être rendue par l'AFD pour d'autres usages, part qui pourrait être revue à la hausse à la suite de la crise. La question est donc de savoir comment seront utilisés ces mètres carrés excédentaires. Il y a peut-être ici l'occasion de mettre en oeuvre l'article 10 du projet de loi que nous venons d'adopter, et dont on nous dit qu'il permettra, grâce à des ordonnances, de faire venir des organisations internationales. Bercy indique suivre très attentivement ce dossier. Nous ferons de même au cours des prochains mois. En tout état de cause, il faudra que ce sujet figure dans le prochain COM, qui nous devrions examiner dans un an s'il n'est pas en retard.

Enfin, le sujet de vigilance concerne le statut du personnel. En effet, le COM prévoit un indicateur intitulé « adopter un nouveau statut du personnel d'ici 2021 ». Il s'agit de mettre à jour un statut que beaucoup considèrent comme obsolète, notamment s'agissant des dispositions relatives à l'expatriation. L'Etat poursuit évidemment également un objectif de stabilisation de la masse salariale. Le « deal » passé avec la direction de l'AFD à l'automne dernier a été de conditionner la recapitalisation de l'agence à un tel effort de stabilisation. Dans cette affaire, c'est l'Etat qui gardera le dernier mot avec un acte réglementaire obligatoire en fin de parcours. Pour l'instant, les négociations internes ne semblent pas engagées pour le mieux.

Il faut également noter que les demandes des salariés d'Expertise France relatives à un rapprochement de leur statut avec celui des salariés de l'AFD ont été rejetées, au motif que ce n'est pas du tout le même métier. Si nous faisions un peu de mauvais esprit, nous pourrions à nouveau nous interroger sur cette fusion entre deux agences qui ont des métiers si différents !

Pour conclure et pour résumer l'ensemble de nos remarques, nous aimerions que figurent au sein de ce COM :

- un indicateur qui inclut les prêts en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle et d'agriculture ;

- des indicateurs plus ambitieux en matière de biodiversité ;

- une distinction plus claire des deux types d'activités de l'AFD, conformément à ce que nous avons inscrit dans la loi ;

- une mention de l'objectif de stabilisation de l'activité à 12 milliards d'euros d'engagements, de l'objectif de consolider cette activité autour des dons et, en conséquence, l'absence de nécessité de recapitaliser l'agence dans les prochaines années ;

- un indicateur lié au rapprochement de l'AFD et d'Expertise France, tel qu'un nombre ou un pourcentage de projets menés en commun ;

- une cible d'évaluation interne des projets d'au moins 60% et non 50%, pour avoir une progression par rapport à la situation actuelle.

Nous vous proposons ainsi de donner un avis favorable au COM, sous réserve que ces modifications y soient apportées.

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