Intervention de Gilles Andréani

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 24 juin 2021 à 9h30
Auditions sur la situation et l'avenir des services préfectoraux et déconcentrés : M. Gilles Andreani président de la quatrième chambre de la cour des comptes et M. Jean-Michel Lair conseiller-maître de la quatrième chambre de la cour des comptes

Gilles Andréani :

Merci beaucoup, Madame la Présidente, de vos aimables mots de bienvenue. Je souligne que c'est toujours un plaisir et un honneur de venir au Sénat. J'y présenterai la semaine prochaine un rapport sur le bilan du rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'Intérieur. Les réalités locales, l'administration territoriale sont donc au coeur de nos travaux, au sein de la quatrième chambre. Je suis accompagné de Jean-Michel Lair, responsable à la quatrième chambre et à ce titre du contrôle de l'administration générale et territoriale de l'Etat.

Nous parlerons donc du dernier grand rapport de la Cour sur le sujet, en décembre 2017, Monsieur Lair y ayant directement participé, ce qui n'est pas mon cas.

Je me permets également de faire état des travaux que nous avons menés depuis lors et qui se rapportent à des sujets sur lesquels pourrait se porter votre intérêt. Le premier d'entre eux est un rapport sur les services publics dans les territoires ruraux, effectué à la demande du Comité d'évaluation et de contrôle (CEC) des politiques publiques de l'Assemblée nationale. J'y ferai peut-être allusion dans nos échanges. Le deuxième est un rapport sur la réforme portée par le plan préfectures nouvelle génération (PPNG), qui s'est traduit par d'importantes économies de personnel et la dématérialisation de services d'état civil.

En guise d'introduction, je vais vous présenter un rapport de 2017, énorme travail impliquant la plupart des chambres de la Cour. 49 recommandations ont été formulées dans ce rapport et c'est dans les semaines qui viennent que les administrations concernées répondront à nos questionnaires. Nous disposerons donc d'un bilan - que nous pourrons vous communiquer - des suites données à nos recommandations de décembre 2017.

Je voudrais préfacer cette brève présentation par une citation de la loi du 6 février 1992, figurant en tête de ce rapport de 2017 : « l'administration territoriale de la République est assurée par les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'Etat ». Les réformes de la décentralisation et la réforme régionale touchent les services déconcentrés de l'Etat et l'évolution de ces derniers n'est pas sans incidence sur le fonctionnement des collectivités territoriales. Ces deux problèmes sont peut-être trop rarement envisagés ensemble. Les réformes de l'administration territoriale et l'extension de la décentralisation sont trop déconnectées. L'une retentit souvent sur l'autre sans qu'on ait le loisir de les articuler.

A la lumière du rapport de la Cour des comptes, que dire des services déconcentrés ? Tout d'abord, ces services ont subi une véritable réforme, au début des années 2010, avec la réforme de l'administration territoriale de l'Etat (REATE). Cette réforme n'est pas sans incidence sur le plan des effectifs (- 10 % des effectifs au périmètre de la REATE). Hors REATE, les trois principaux réseaux de l'administration de l'Etat sont l'éducation nationale, la police et gendarmerie, ainsi que les finances publiques. Les deux premiers de ces réseaux n'ont pas été diminués en effectifs, et dans notre rapport sur les services publics en milieu rural, nous constatons que ces réseaux n'ont pas déserté les territoires, y compris les plus éloignés de l'administration centrale. Ces réseaux se sont réadaptés, mais en volume, ils n'ont pas diminué. Il en va autrement du réseau des finances publiques, qui est en cours de décroissance (- 10 % à l'époque de notre rapport, cette décroissance se poursuivant).

Malgré cette réforme, l'administration renvoie une image de stabilité, pour deux raisons principales. Tout d'abord, les préfets restent une image fixe, même si leurs statuts et missions changent. Ensuite, la carte de plusieurs administrations territoriales ne s'est pas beaucoup modifiée : carte des sous-préfectures, réseau judiciaire (37 cours d'appel), etc. Il y a donc une forme de contraste entre une réforme réelle et une apparence de stabilité.

La Cour a délivré trois messages principaux et quatre séries de recommandations. Le premier message consiste à approfondir la réforme pour réaxer les services déconcentrés de l'Etat sur leurs missions prioritaires. Les réductions ont affecté des missions, en mettant certaines de celles-ci en risque : les missions de contrôle (installations classées, sécurité sanitaire, etc.) et la capacité à faire face aux crises, notamment sanitaires.

Cette réforme s'est beaucoup appuyée sur le levier numérique, qui est toujours assorti de limites, notamment le cloisonnement persistant d'un certain nombre de systèmes d'information de l'Etat et des collectivités territoriales.

Au-delà de la réforme accomplie, des marges de progrès persistaient dans l'exercice des missions des services déconcentrés. L'administration territoriale se partage entre quatre niveaux, certaines missions pouvant être concentrées au niveau national, notamment les missions de contrôle les plus sensibles.

La Cour a estimé à l'époque de son rapport que le niveau stratégique de l'organisation territoriale entre ces différents échelons nous paraissait être le niveau régional. Il nous semblait essentiel que des plateformes aident à ce niveau : services départementaux, sous-préfectures, etc. Tel était le niveau que nous avions identifié comme devant être renforcé.

Cependant, nous avions noté que l'Etat ne tirait pas toutes les conséquences de la décentralisation. Nous citions des compétences qui n'étaient plus du ressort de l'Etat, comme les fonctions de soutien au tourisme des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), prérogatives des collectivités territoriales, ou dans le domaine social, avec un rôle de coordination parfois flou.

Le dernier levier de transformation, en tension avec l'objectif de déconcentration, correspond au transfert de certaines compétences à des établissements publics spécialisés. L'efficience peut recommander une spécialisation de ce type, ce qui peut créer une action locale échappant à la coordination par les préfets.

Le deuxième message constatait que l'Etat devait s'ajuster aux conséquences des réformes touchant les collectivités territoriales, particulièrement la réforme régionale. Certes, des efforts ont été fournis, mais l'Etat s'est retrouvé face au même dilemme que les régions : organisation multisites, absence de regroupements des fonctionnaires concernés autrement que sur la base du volontariat, contraintes indemnitaires, etc. La Cour des comptes, dans un rapport sur la réforme régionale, met en exergue ces surcoûts, liés à la dispersion des services. L'Etat n'a pas échappé à ces critiques. Par ailleurs, le regroupement des régions n'a pas empêché la persistance de découpages dérogatoires, qu'il s'agisse de l'éducation nationale, de la justice, de l'administration pénitentiaire, etc.

Nous avions noté que l'échelon départemental avait été plus affecté que l'échelon régional par les baisses d'effectifs. Cela contrastait avec une situation du réseau infradépartemental qui restait dense et évoluait lentement. L'Etat demeure fortement présent à cet échelon infradépartemental, mais dans des structures parfois fragilisées. Nous pouvons par exemple citer les 60 sous-préfectures comportant moins de dix agents à présent, ce qui appelle une réflexion. Le réseau administratif de l'éducation nationale nous a également semblé devoir être corrigé.

Le troisième message était relatif à la gestion. Le regroupement de services, la modification de la carte des responsabilités fonctionnelles des services territoriaux de l'Etat n'ont qu'une portée limitée si les responsables à la tête de ces services ne disposent pas d'une latitude en matière de gestion correspondant au nouveau périmètre de responsabilités qui leur est assigné. Tel est bien le cas des blocages RH très importants. Sur le plan de la gestion des personnels, les regroupements ont laissé perdurer des systèmes de gestion très fortement centralisés, donc des freins à une bonne gestion locale de l'administration territoriale. De même, sur le plan budgétaire, le volume des crédits déconcentrés retranchés des dépenses de personnel, montrait une marge de manoeuvre effective des préfets beaucoup plus réduite qu'imaginé. Pour les fonctions support des services que j'ai mentionnés, nous avions recommandé la création d'un budget opérationnel de programme (BOP) régional unique des fonctions support de services de l'Etat, notant que d'importants progrès pouvaient être réalisés dans le domaine de l'immobilier et celui du numérique.

Je vous épargnerai nos 49 recommandations dans le détail. Ces recommandations étaient regroupées en quatre grands chapitres :

- recentrer les services déconcentrés sur les missions prioritaires de l'Etat et répartir de façon plus efficace l'exercice de ces missions ;

- faire des services publics numériques un levier de transformation des services déconcentrés de l'Etat ;

- accélérer l'adaptation de l'organisation territoriale des services de l'Etat ;

- faire davantage confiance aux services déconcentrés dans la gestion mutualisée et décloisonnée de leurs moyens.

Merci beaucoup, Madame la Présidente.

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