Intervention de Pierre Cunéo

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 juin 2021 à 10h00
Audition publique sur la levée des brevets relatifs aux vaccins contre la covid-19

Pierre Cunéo, membre de la task force vaccins rattachée à la ministre déléguée à l'Industrie :

Je suis impressionné par la qualité du français des précédents intervenants, et surtout par la profondeur de leurs analyses. Le français est ma première langue, et c'est une vraie invitation à l'humilité, surtout quand il s'agit de présenter la position française.

La France considère que les vaccins sont un bien public mondial. C'est important à de nombreux titres : la production, la circulation, l'utilisation et les droits de propriété intellectuelle, en particulier les brevets.

Cette position se traduit d'abord par les dons, et ce de deux manières : par ce que nous faisons au titre de la solidarité internationale - nous en faisons beaucoup et le plus rapidement possible ; et, comme un grand nombre d'autres pays, nous le faisons via la facilité COVAX, qui est un instrument multilatéral de circularisation des doses. Nous jouons donc doublement cette politique de bien public mondial, au titre de notre solidarité et via les dons.

Concernant les exportations, il faut souligner, sous le contrôle de MM. Taubman et Houben en particulier, que l'Europe est d'une certaine manière exemplaire puisqu'elle exporte à peu près la moitié de sa production. Ceci n'occulte pas du tout le sujet des brevets, mais le recadre. Autrement dit, il n'existe pas de restrictions aux exportations des produits finis ou des intrants. En France, le dispositif d'autorisation a été validé dans 99 % des cas.

À propos de la production, quand le directeur général de l'OMS dit qu'il faut vacciner, nous avons envie de dire qu'il faut produire. Au-delà des éléments de solidarité et d'exportation, cette production repose sur des capacités qui sont réelles et des savoir-faire au coeur desquels se trouve la propriété intellectuelle.

Le Président de la République, le ministre de l'Économie, le ministre de la Santé, et la ministre de l'Industrie que je représente l'ont toujours dit : la propriété intellectuelle des brevets ne doit en aucun cas être un obstacle ou un frein à la vaccination, à la lutte contre la pandémie et à tous les efforts coordonnés pour en sortir le plus rapidement possible.

À ce sujet, je détaillerai quatre points :

- la flexibilité dans le cadre de l'accord sur les ADPIC ;

- le mécanisme ou la facilité des licences obligatoires ;

- les intrants ;

- la position de la France par rapport à celle de la Commission européenne, au regard de la troisième voie portée par le directeur général de l'OMC.

S'agissant des flexibilités ADPIC, nous notons des éléments en termes de recours à l'expertise, de licences volontaires ou de flexibilité, pour ne pas dire de dérogation dans un cadre très limité, qu'il faut absolument activer au sein des dispositifs de l'OMC ou dans des réflexions analogues en cours de structuration à l'OMS également.

Le mécanisme des licences obligatoires permet aux gouvernements souhaitant produire localement des vaccins de demander la levée des brevets, outil que la France considère comme parfaitement légitime, à la disposition des gouvernements concernés.

S'agissant des intrants, nous sommes sur un sujet connexe à celui des strictes questions de propriété intellectuelle et de brevets. Excusez-moi de dévier un peu, mais c'est un sujet absolument stratégique. Il faut des usines, des compétences, des équipements, mais aussi et surtout des matières premières. Concernant les intrants critiques, aujourd'hui, nous ne sommes pas tous à égalité. La circulation des intrants est l'une des conditions premières pour avoir des capacités de production réparties et abondantes ; elle ne nous paraît pas encore sécurisée.

Des incertitudes demeurent au sujet des intrants. Par exemple, des dispositifs de type Defense Protection Act (DPA) sont susceptibles, non de mettre en péril, mais de rendre incertaines des chaînes de production très exigeantes et tendues pour sécuriser la qualité et l'efficacité de la production vaccinale.

À notre avis, cela représente un obstacle important. Cela ne veut pas dire que le sujet de la propriété intellectuelle ne l'est pas. Nous avons évoqué la flexibilité ADPIC et notamment le mécanisme de licences obligatoires ; pour parler plus strictement des brevets, nous avons mentionné la troisième voie portée par le directeur général de l'OMC pour renforcer la coopération entre acteurs publics, industries pharmaceutiques et bailleurs de fonds afin de développer partout la capacité de production de vaccins. Il n'est pas seulement question de circulation et d'exportations, mais aussi de capacités de production partout dans le monde.

Dans cette optique, le 4 juin 2021, la Commission européenne a présenté une communication à l'OMC, sur une initiative globale pour faciliter l'accès aux traitements et aux vaccins dans le commerce international, supprimer les restrictions aux exportations, et favoriser l'extension des capacités de production et la clarification des règles relatives aux licences obligatoires.

La France soutient cette initiative. Les interventions du Président de la République, en marge du G7, en fin de semaine dernière, allaient dans ce sens et sont particulièrement claires. À cet égard, nous travaillons aussi beaucoup de manière bilatérale ou multilatérale à la création de projets d'usines de vaccins dans les pays du Sud, en particulier au Sénégal et en Afrique du Sud, pour y développer la production de vaccins contre la Covid-19. L'Afrique représente 20 % des besoins et ne dispose à ce jour que d'une capacité de production de 1 %.

Cela met en évidence deux points essentiels : premièrement, la nécessité d'avoir des capacités de production et les recettes permises par le mécanisme de licence obligatoire en particulier, et deuxièmement, la nécessité d'avoir une très grande fluidité en amont et en aval des éléments critiques pour la production et la finalisation d'un produit aussi important que le vaccin, que la France, comme d'autres pays, considèrent comme étant réellement un bien public mondial.

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