Intervention de Philippe Lamoureux

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 17 juin 2021 à 10h00
Audition publique sur la levée des brevets relatifs aux vaccins contre la covid-19

Philippe Lamoureux, directeur général du syndicat « Les Entreprises du médicament (LEEM) » :

J'aimerais revenir sur les interventions de M. Benarous et de Mme Guennif.

Monsieur Benarous, je suis vraiment désolé que nous ne nous soyons pas compris. Loin de moi l'idée que toutes les personnes qui demandent la levée des brevets sont des complotistes. Je constate juste que des personnes qui, il y a peu de temps, étaient complotistes demandent aujourd'hui la levée des brevets. Si vous le souhaitez, je vous donnerai des noms hors de cette session, mais vous voyez très bien à qui je peux penser.

Concernant le débat sur les chiffres, entre 6 milliards et 10 milliards de doses, une étude Airfinity parle de 10 milliards. Je pense que nous pouvons nous mettre d'accord sur l'idée que les 10 milliards sont un objectif, à production ou arrivée de nouveaux vaccins. Des capacités de production continuent de se développer. Par exemple, Moderna est en train d'installer un grand site de production. Une usine en Allemagne, à Marbourg, va être en mesure de fabriquer 200 millions de doses supplémentaires. Certains laboratoires, dont des laboratoires français, vont bientôt être en situation - en tout cas nous l'espérons - de produire eux-mêmes de nouveaux vaccins. L'offre ne cesse donc de s'accroître. Un enjeu de la protection brevetaire est de ne pas décourager ceux qui ne sont pas encore entrés sur le marché et qui pourraient demain apporter des capacités de production supplémentaires.

S'agissant de la recherche publique, il est vrai que les biotechs dont nous parlons, comme BioNTech, Valneva et Moderna, sont des sociétés qui ont eu d'énormes difficultés de développement et de financement et qui ont aussi une longue ancienneté dans le domaine de l'ARN.

Vous parliez des séquences de variants. Moderna a mis en ligne un certain nombre de données. Comme nous le disions, sans le savoir-faire, cela revient à donner les ingrédients d'une recette de cuisine sans indiquer comment la faire.

Monsieur Benarous, je vous rejoins sur vos commentaires sur les difficultés françaises. Les pays qui ont le mieux réussi dans la lutte contre la Covid-19 sont ceux qui ont une culture du décloisonnement et une culture du travail commun. Ce sont des pays dans lesquels l'univers de la recherche académique et l'univers de la recherche industrielle travaillent main dans la main. C'est le continuum recherche publique-biotechs-Big Pharma qui a permis d'arriver très vite à des solutions thérapeutiques. Il est vrai que cela ne fait pas partie de la culture française, ce qu'il faudrait probablement améliorer.

Je voudrais reprendre quelques points de ce que disait Mme Guennif. Vous avez utilisé plusieurs fois le mot générique. Comme l'a dit M. Guerriaud, s'agissant de vaccins, nous ne parlons pas de génériques mais de médicaments biosimilaires. Il est plus ardu de fabriquer un médicament biosimilaire que de fabriquer un médicament générique. Je vous laisse la responsabilité de deux de vos propos :

- l'innovation serait en panne. Les données de la Food and Drug Administration (FDA) ou de l'European Medicines Agency (EMA) montrent à l'évidence que nous connaissons, depuis deux ou trois ans, une vague d'innovations sans précédent et que les mécanismes de propriété intellectuelle n'ont pas du tout dissuadé cette recherche de l'innovation, bien au contraire ;

- les prix ne cessent d'augmenter. On peut le penser. C'est cependant un peu hors sujet par rapport à notre débat. Et, comme nous sommes à l'Assemblée nationale, je ne résiste pas à ce rappel : les parlementaires qui votent la loi de financement de la Sécurité sociale depuis dix ans savent que le chiffre d'affaires net de notre industrie est resté stable et n'a pas augmenté en dix ans. Autrement dit, les innovations dont nous parlons ont été financées à moyens constants, raison pour laquelle nous nous interrogeons sur les problématiques de relocalisation industrielle.

Les aides publiques sont réelles. Nous n'allons pas les contester. Elles ont joué un rôle majeur dans l'accélération de la recherche, dans le développement des capacités de production. L'incentive - si vous me permettez cet anglicisme pour la puissance publique - a permis d'accéder à des vaccins à des prix très faibles. La problématique dont nous parlons aujourd'hui n'est en aucun cas celle du prix de l'innovation. Les vaccins classiques sont à prix coûtant. AstraZeneca est même en dessous des évaluations des responsables d'Oxfam. Les vaccins à ARN sont à prix différenciés. Nous ne sommes donc pas face à un enjeu classique de prix élevés de l'innovation. Ces innovations ont des prix très raisonnables.

Enfin, c'est important à mes yeux, le parallèle avec le VIH n'est plus du tout d'actualité, pour une raison très simple : à l'époque où ont eu lieu les accords de Doha et la crise des traitements contre le VIH, il n'existait pas d'initiative COVAX, ni même de système de prix différenciés. Nous n'avions pas les outils dont nous disposons aujourd'hui pour traiter le sujet.

Concernant la position de principe sur la levée des brevets, le brevet est une garantie pour l'industriel de protection et donc de conditions économiques d'exploitation de son produit. Une remise en cause d'un brevet serait en réalité extrêmement dissuasive pour les activités de recherche et d'innovation. Il est d'ailleurs intéressant de constater que cette problématique se pose dans le domaine de l'industrie pharmaceutique, mais que la problématique de la protection des brevets paraît si évidente dans le domaine de l'aéronautique ou de la construction automobile qu'elle n'est pas posée.

Les effets secondaires sont un problème très sensible. Nous les suivons attentivement. Il faut bien comprendre que cette problématique de vaccination pour notre industrie n'est pas un sujet économique mais avant tout un sujet de santé publique et de réputation sectorielle. C'est pour cela que nous sommes très engagés. Nous sommes très attentifs aux effets secondaires. J'ai parlé plusieurs fois de qualité et de sécurité des produits. En cas de défaillance dans la conception du produit, c'est le titulaire de l'AMM qui en répond. Si en revanche il s'agit d'un problème de qualité de la fabrication ou de défaut de production, ce n'est pas du tout le même régime qui s'applique.

Dr Mathieu Guerriaud. - . Je tiens à préciser que je suis certes juriste, mais je suis également pharmacien de formation. Je voudrais répondre à M. Benarous qui souhaiterait mobiliser beaucoup plus d'usines de par le monde. Je ne sais pas si nous pouvons en mobiliser beaucoup plus, la grande majorité des usines actuelles étant des usines de formes sèches, c'est-à-dire des comprimés, des poudres. Il n'existe pas tant d'usines d'injectables que cela. Pour reconvertir ces usines en injectables pour produire du vaccin, il faudrait procéder à un changement de ligne. Cela prend déjà beaucoup de temps. Par ailleurs, cela stopperait la production d'autres médicaments injectables tout aussi essentiels pour la population, comme des antibiotiques.

En revanche, comme le dit M. Benarous, il faut augmenter nos capacités de production et restaurer la puissance industrielle française ou au moins européenne, ce qu'a aussi rappelé M. Lamoureux.

J'ai été assez surpris des propos de ma collègue économiste sur le manque d'innovation. Effectivement, le nombre de molécules chimiques est moins important qu'autrefois mais, depuis les années 1980, on observe une explosion du nombre de molécules biologiques. Aujourd'hui, des anticorps monoclonaux font partie de notre panel de thérapies. Ils présentent d'énormes avantages par rapport aux médicaments chimiques et permettent de cibler des pathologies, ouvrant la voie à des thérapies personnalisées. Depuis 2007 existe le règlement européen 1394-2007 sur les médicaments de thérapies innovantes ou nouvelles thérapies telles les thérapies géniques et les thérapies cellulaires somatiques. Ce sont de réelles innovations grâce auxquelles nous allons pouvoir soigner des maladies rares, et qui ne sont pas très rentables pour l'industrie pharmaceutique, le nombre de patients étant faible. Des aides sont concédées à ces industries, mais elles ne sont pas forcément très élevées.

Vous disiez que ces dernières années l'industrie encourait peu de risques. Cependant, dans le cadre des médicaments de thérapies innovantes, les risques sont importants. De nombreux médicaments ont été des échecs commerciaux, parce qu'ils sont peut-être arrivés trop tôt sur le marché, et parce que les évaluateurs, qui fixent le prix de remboursement, ont été confrontés à une difficulté. Ils avaient l'habitude de médicaments classiques. Là, il s'agit de médicaments qui peuvent soigner des patients en une injection. Je suis donc en opposition avec vous à ce sujet. C'est le principe du débat diacritique et contradictoire.

Produire dans les pays du Sud est très compliqué. Il faut être pragmatique. Une usine de médicaments ne se construit pas du jour au lendemain. Cela requiert des années pour en construire dans un pays occidental. Il en faut tout autant, sinon plus, dans un pays du Sud, à cause des contraintes climatiques que nous ne pouvons ignorer pour le difficile traitement de l'air et de l'eau. Cela peut tout à fait se faire, mais cela prend beaucoup de temps. Le risque à se lancer dans la production dans des usines qui ne sont pas aux normes actuelles est de fabriquer des médicaments sous-standards, ce qui serait inacceptable, en particulier dans le cadre de cette pandémie.

La levée des brevets, comme j'ai essayé de vous le démontrer, ne sert pas à grand-chose. Donc pourquoi les lever puisque cela ne sert à rien ? Je ne vois pas l'intérêt. À mon avis, cela permet effectivement de maintenir l'innovation et aussi la confiance de l'industrie pharmaceutique dans le système actuel.

S'agissant des capitaux publics qui ont été injectés, en revanche, je souhaite que nous réfléchissions à un meilleur retour sur investissement pour les acteurs académiques, un meilleur partenariat entre le public et le privé. M. Lamoureux a souligné qu'en France, le monde académique a du mal à dialoguer avec le monde industriel. Et quand certains acteurs académiques le font, ils ne sont pas très bien vus des autres.

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