Nous sommes très conscients du danger. Nous devons agir sans attendre. Nous perdons trop de temps à chercher des explications. Nous devrions plutôt chercher des solutions. Néanmoins, j'ai une inquiétude intellectuelle et politique. Nous avons reçu les organisations syndicales d'enseignants et de travailleurs sociaux des établissements. Je les ai entendues dire qu'elles ne supportaient pas les injonctions descendantes. Cette phrase m'a beaucoup interrogée. Peut-être y a-t-il une révolution intellectuelle à faire au sein des établissements. Si le ministre souhaite déployer des choses dans les établissements, c'est bien parce que ceux qui ont donné l'alerte depuis 10 ou 12 ans n'ont pas pu le faire. Pensez-vous que nous puissions y arriver maintenant ? Il en va de la vie des jeunes et du bien-être dans les établissements. Sur de tels sujets, il me semble normal d'accepter les injonctions descendantes.
Par ailleurs, j'ai souvent entendu dire que certains enfants avaient des comportements inquiétants dès l'école maternelle. Malheureusement, on laisse ces enfants passer de classe en classe sans se poser de questions. La société pourrait-elle accepter l'idée que des enfants sont un danger, y compris pour eux-mêmes, dès le plus jeune âge ? Les mentalités ont-elles évolué sur ce point ? Avons-nous les moyens humains d'aider ces enfants et de les prendre en charge différemment des autres ?
Dr Nicole Catheline. - Je commencerai par votre seconde question. Les psys sont très inquiets à l'idée que l'on fasse immédiatement basculer ces comportements, qui sont des butées développementales, vers de la pathologie, alors qu'il est question d'enfants qui sont dans un environnement qui ne leur permet pas d'affirmer les compétences dont ils sont pré-câblés. Nous sommes dans du développement, pas dans de la pathologie. C'est lorsque ces comportements restent que cela devient de la pathologie. Nous devons accompagner le développement de ces enfants, pas nous interroger sur ce qu'ils deviendront plus tard. Ce ne sont pas forcément les psys qui peuvent s'occuper de cela. C'est davantage le travail des éducateurs ou des animateurs. Il ne faut pas tout rabattre sur le pathologique et les psys. Le harcèlement est un échec de la dynamique de groupe. La plupart du temps, il s'agit d'un avatar. C'est quelque chose qui arrive dès que nous mettons des enfants ensemble. Les mentalités n'ont pas suffisamment changé. Les psys refusent de considérer qu'il s'agit de pathologie. Je n'ai pas le sentiment que l'école elle-même ait beaucoup changé. Lorsque des comportements la dérangent, elle se presse de diriger les enfants vers des psys. Cela ne me paraît pas être une bonne solution.
Pourrons-nous y arriver ? Je crains que ce ne soit très compliqué. Les syndicats sont une force de blocage que beaucoup citent. Ce n'est pas la seule. En France, nous sommes assez rétifs à ce qui vient d'en haut. En même temps, nous espérons toujours recevoir des directives. Il me semble que la recherche scientifique pourrait faire changer les gens. Nous pourrions développer la recherche fondamentale sur les conséquences pour le cerveau des enfants de la dissociation entre les émotions d'un côté et le raisonnement de l'autre. Il est à craindre que ces deux parties du cerveau n'aient beaucoup de mal à communiquer entre elles lorsque ces enfants deviendront grands.