Intervention de Frédérique Vidal

Mission d'information Influences étatiques extra-européennes — Réunion du 9 septembre 2021 à 16h35
Audition de Mme Frédérique Vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Merci beaucoup pour cette invitation. Je me réjouis que le Sénat ait choisi de consacrer une mission d'information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences. Je suis très heureuse de vous retrouver pour évoquer ce sujet de société qui appelle un traitement particulier s'agissant notamment de l'enseignement supérieur et de la recherche - l'actualité récente nous l'a rappelé. Il y va de notre souveraineté, mais aussi de nos libertés.

Je tiens à rappeler mon attachement sans faille à l'intégrité scientifique et aux libertés académiques. Nous avons eu l'an dernier au Sénat des débats constructifs lors de l'examen du projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur. Je sais que le Parlement mène un suivi rigoureux de ces thématiques, puisqu'en mars 2021, Monsieur le Sénateur Ouzoulias, vous remettiez avec le député Pierre Henriet un rapport très intéressant fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) pour la promotion et la protection d'une culture partagée de l'intégrité scientifique. Ces travaux trouvent aujourd'hui une forte résonnance dans le cadre de nos discussions.

Ces valeurs d'intégrité et de liberté conditionnent l'excellence de la recherche et son existence même. À cet égard, je rends hommage à l'ensemble de la communauté des chercheurs et des enseignants-chercheurs qui les portent avec engagement et détermination.

La recherche et l'enseignement sont aussi par définition des domaines d'interactions et d'échanges, en particulier internationaux ; il est fondamental que cela puisse perdurer. S'agissant de l'enseignement supérieur, de la recherche ou de l'innovation, qui est aussi un domaine-clé, notre politique d'attractivité et d'ouverture s'est toujours construite avec ambition, détermination et sans naïveté face à d'éventuelles menaces.

Nous devons sans cesse concilier deux impératifs : l'attractivité de nos établissements et de notre recherche, et la protection de notre modèle, de son autonomie et de ses libertés. Dans un environnement mondialisé et de plus en plus interdépendant, cette construction doit reposer sur la prudence et l'ouverture, sans sombrer dans les excès de la première, mais sans se jeter aveuglément dans les attraits de la seconde. C'est le cas de la stratégie en faveur de l'enseignement supérieur qui a été présentée en novembre 2019 et porte des ambitions très fortes pour attirer des étudiants étrangers. L'objectif est d'en accueillir 500 000 d'ici à 2027, au travers d'une politique de visas simplifiés et de frais d'inscription différenciés, et de favoriser les départs à l'international. Aujourd'hui, après dix-huit mois marqués par la pandémie de covid-19, je suis convaincue de l'importance du maintien de ces échanges et de leur dynamisme.

La visibilité de nos établissements à l'international a considérablement progressé ces dernières années. Le fait d'apparaître à une excellente place dans les classements internationaux, notamment dans le classement de Shanghai, nous permet de conserver notre troisième place mondiale au rang des pays reconnus pour l'excellence de leur recherche. Toutefois, cela nous rend aussi beaucoup plus visibles dans les radars des prédateurs et incite à une plus grande vigilance. Il convient de distinguer le soft power, qui s'appuie sur des pratiques légitimes et transparentes pour vanter les mérites de son enseignement supérieur ou de sa recherche, et l'ingérence, qui s'abrite derrière le secret.

Le renforcement de notre attractivité se déroule collégialement, dans le souci constant de protéger les travaux de nos chercheurs tout en garantissant leur liberté. Cela ne se fera jamais contre eux, ils doivent comprendre l'importance de la protection et participer à son amélioration. Grâce aux remontées spontanées des chercheurs, des directeurs de laboratoires ou des fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD), et à une connaissance géopolitique actualisée en continu, le ministère est constamment informé des éventuelles menaces et risques d'ingérence qui pourraient affecter son écosystème. Le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS), la mission ministérielle en faveur de la sûreté et de la sécurisation de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et la Délégation aux affaires européennes et internationales (DAEI) exercent un rôle primordial en la matière.

Le HFDS, en lien avec le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, anime et coordonne la politique en matière de défense, de vigilance, de prévention de crise et de situation d'urgence. Il contrôle la préparation des mesures d'application et s'appuie sur un réseau de correspondants dans les académies et au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche. Autour de ce haut fonctionnaire, un pôle veille à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation et lutte contre les tentatives d'ingérences étrangères, notamment au travers de la création des « zones à régime restrictif » (ZRR).

Ce dispositif de protection du potentiel scientifique et technique (PPST) s'inscrit dans un cadre réglementaire bien précis, fondé sur l'article 413-7 du code pénal. Il est piloté par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et vise à protéger les savoirs, les savoir-faire et les technologies les plus « sensibles » des établissements localisés sur le territoire national, dont le détournement et/ou la captation pourraient porter atteinte aux intérêts économiques de la Nation, renforcer des arsenaux militaires étrangers, affaiblir nos capacités de défense, contribuer à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, ou être utilisés à des fins terroristes. Aujourd'hui, la PPST comprend 52 établissements adhérents, 573 ZRR, et plus de 150 unités de recherche.

Le HFDS intervient aussi dans l'évaluation des projets déposés dans le cadre d'appels bilatéraux ou des projets de coopération institutionnelle, avec une vigilance particulière sur les technologies duales. Au sein des établissements, il organise et structure la surveillance et la prévention des risques d'influences étrangères, via notamment ces relais que sont les FSD et leurs adjoints, habilités au secret défense.

Sur le terrain, les fonctionnaires de sécurité et de défense - plus de 160, qui sont nommés sur proposition des établissements - ont pour mission d'évaluer les risques correspondant aux menaces - divulgation de secrets de la défense, utilisation frauduleuse de moyens informatiques ou pillage de hautes technologies -, et surtout, de proposer des réponses et de s'assurer de leur mise en oeuvre. La présence de ces fonctionnaires est essentielle pour construire ensemble cette stratégie de défense.

La surveillance et la prévention des éventuelles influences étatiques étrangères au sein des établissements d'enseignement supérieur et de recherche sont donc en grande partie le reflet de la structuration du paysage français. Des acteurs de l'administration centrale sont chargés de la stratégie et de la vigilance, qui se déclinent au sein de chaque établissement et opérateur autonome par la gouvernance, dans le cadre de leur autonomie et en interaction avec l'ensemble des acteurs territorialement compétents.

La recherche scientifique est confrontée au même risque, qui est connu et pris en compte de longue date par le ministère. À ce titre, nous sommes inscrits dans le dispositif de gouvernance interministérielle de la politique de sécurité économique, formalisé par le décret du 20 mars 2019. Une attention particulière est donnée à l'innovation et au transfert, puisqu'un référent de sécurité économique habilité au secret de la défense nationale sera désigné dès cette année par le président de chaque société d'accélération du transfert de technologies (SATT). Régionalement, l'accompagnement des référents et l'animation de ce réseau sont copilotés par les délégués à l'information stratégique et à la sécurité économique (Disse) et les délégués régionaux académiques à la recherche et à l'innovation (Drari). Le déploiement de ces dispositifs se poursuivra en 2022 au sein des pôles de compétitivité, puis dans toutes les structures d'écosystèmes de valorisation de l'innovation, telles que les incubateurs, les Instituts Carnot, ou encore les futurs pôles universitaires d'innovation.

Il existe une volonté affirmée de constitution d'une souveraineté nationale dans les technologies-clés, concrétisée par la protection de certaines filières industrielles françaises dans tous les domaines de recherche qui font l'objet d'un plan de soutien de l'État, notamment du programme d'investissement d'avenir (PIA). Certains financements publics sont désormais explicitement conditionnés à la prise en compte des impératifs de souveraineté nationale à travers la sécurisation des recherches scientifiques face aux risques d'ingérence. Tel est le cas des soutiens aux projets de France Relance. La prise en compte de la PPST est également une exigence pour la mise en oeuvre des programmes prioritaires de recherche du PIA.

Toutes ces problématiques sont au coeur de l'action de notre ministère et des établissements qui en dépendent. De par le niveau de son excellence, internationalement reconnue, notre système est menacé par des influences étatiques extra-européennes. Il dispose néanmoins aujourd'hui de ressources, notamment humaines, pour s'en prémunir, la clef étant de mieux former, de mieux affiner notre connaissance des risques. On ne peut pas parler d'injonctions contradictoires ; il faut simplement allier la volonté de conserver l'internationalisation de la science, tout en étant conscient des menaces qui nous entourent. Je suis convaincue que le monde universitaire saura porter les trois piliers de cette ambition que sont la sensibilisation, la responsabilité et la transparence.

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