Actuellement, trente mille architectes travaillent en France, dans un secteur atomisé : 90 % des agences ont moins de dix salariés. Notre profession est encadrée par la loi de 1977 sur l'architecture. Le recours à un architecte est obligatoire pour l'établissement d'un projet architectural qui fait l'objet d'un permis de construire, à l'exception des projets de moins de 150 mètres carrés. Recherchant à la fois l'intérêt du client et l'intérêt public, la profession intervient dans le cadre d'une loi qui garantit la qualité des paysages. Le rôle des architectes s'est renforcé avec la prise en compte croissante des enjeux écologiques et sociétaux, et la crise du covid a souligné l'importance du logement.
Plusieurs types de plateformes transforment notre profession. Les annuaires numériques et d'annonceurs qui mettent en ligne les coordonnées ne nous posent pas de problème particulier.
Certaines plateformes sociales mêlent à la fois l'expression des goûts de particuliers avec des annonces purement publicitaires d'agences d'architecture ou d'autres professions.
Des plateformes d'un troisième type mettent en relation des architectes référencés avec des clients, particuliers ou professionnels. Dans ce dernier cas, elles se rémunèrent souvent à partir d'un commissionnement des honoraires d'architecte, ce qui soulève plusieurs problèmes.
Un quatrième type de plateforme de services correspond à une uberisation totale de notre profession. Les clients sont accompagnés dans leurs démarches et dans la recherche de financements de leur projet. Ces plateformes « surfent » sur le monopole des architectes au-delà de 150 mètres carrés, en proposant des projets à 149,9 mètres carrés.
D'autres applications numériques permettant un choix de plans ou une pré-réalisation de projets nous inquiètent davantage. L'architecte est remplacé par un algorithme, qui ne tient pas compte de l'environnement, des ressources locales, de l'état du sol, du diagnostic, de l'orientation, des voisins ou du plan local d'urbanisme (PLU). Ces applications se développent, tant pour les particuliers que pour les promoteurs.
Le cadre juridique de notre profession est strict et impose des exigences en matière de déontologie, d'assurance professionnelle - point problématique si nous sommes mêlés à d'autres professionnels sur les plateformes -, et de formation annuelle.
Les grandes plateformes qui proposent une mise en relation ont le mérite de rapprocher les particuliers et les architectes, d'inciter les clients à faire confiance à un architecte, alors que le marché de la maison individuelle est largement dominé par d'autres professions.
Mais ce système peut également engendrer une forme de dépendance économique, l'architecte se voyant parfois contraint de privilégier l'intérêt de la plateforme plutôt que celui du client. L'architecte, dont le devoir de conseil porte aussi sur la santé des territoires - signalisation d'une source d'eau, matériaux à privilégier, protection du patrimoine -, pourrait ne plus être totalement libre s'il dépendait d'une plateforme pour l'ensemble de ses clients, ce qui nous inquiète.
Ces plateformes contribuent également à une économie de profits qui s'appuie certes sur la valeur créée par l'architecte, mais en augmentant artificiellement le coût d'accès à celui-ci par le client.
Elles mêlent souvent des architectes à d'autres professions, décorateurs ou architectes d'intérieur, qui ont d'autres formations. Cela entretient un flou sur les activités de chacun, quand ce ne sont pas des usurpations de titres, des usages trompeurs d'images et de books récupérés sur internet.
Un encadrement juridique de ces plateformes s'impose, notamment celles qui sont conçues à l'étranger, car l'Ordre des architectes n'a alors pas les moyens de vérifier que l'architecte est bien formé et assuré.
Il faut distinguer les plateformes de mise en relation des plateformes prospectives, qui cherchent à remplacer notre profession en matière de conception architecturale et contre lesquelles il faut lutter. Nous sommes favorables aux plateformes collaboratives associant en amont les architectes, les usagers et les collectivités. Mais l'acte architectural suppose un certain cadre. L'architecture est un bien culturel, une conception de l'espace : des algorithmes ne sauraient adapter la création aux besoins.