Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 22 juillet 2021 à 9h30
Présentation des rapports finaux des auditeurs de la promotion 2021 de l'institut des hautes études pour la science et la technologie ihest

Cédric Villani, député, président de l'Office :

Gérard me donne une accroche ! Je vais rebondir sur la remarque sur le cochon domestique. Dans son petit essai intitulé Sur le végétarisme, le penseur anarchiste Élisée Reclus, peut-être le plus grand géographe de l'histoire de France, raconte comment sa tante, dans un milieu rural, s'était prise d'affection pour son cochon, à tel point qu'il lui était devenu impossible d'imaginer le consommer. Un jour, les villageois sont venus s'emparer de force du cochon et l'ont saigné selon les traditions, laissant la pauvre dame pleurer toutes les larmes de son corps. Élisée Reclus parle de cet épisode pour raconter son engagement sur ce sujet. Il était lui-même végétarien et l'un de ces penseurs anarchistes défenseurs des animaux, comme a pu l'être Louise Michel. Le cochon domestique est donc rare, mais il existe au moins dans cet épisode historique.

Vous parlez de cultures indiennes. Le mathématicien que je suis met forcément sur la table Pythagore qui enseignait la métempsychose et l'interdit de consommer les animaux. Il a eu une influence assez importante chez les anciens. Socrate peut être considéré comme le premier végan de l'Histoire puisqu'il prône le non-usage des animaux, aussi bien pour des questions de santé que pour des questions de vertu sobre.

Il y a donc des racines plus profondes que ce que l'on peut imaginer. Les penseurs des Lumières sont ambivalents. Kant développe le propos de l'animal au service de l'humain. Darwin, que vous avez eu raison de mettre en avant, est fondamental, non seulement pour la place de l'humain parmi les animaux, mais aussi car il a été le premier à imaginer que même la morale avait une origine évolutionniste et que l'on trouvait la morale chez les animaux ; il a insisté sur le fait que l'éthique pouvait être une caractéristique humaine, mais que la notion de bien et de mal se retrouvait elle-même chez les espèces. On trouve de telles discussions dans un certain nombre d'ouvrages scientifiques, dont un que je vous recommande, L'animal est-il une personne ? d'Yves Christen.

Deux références qui pourront compléter sans le contredire ce que vous avez indiqué : le livre Faut-il arrêter de manger de la viande ? de Louis Schweitzer, et un laboratoire d'idées, l'IDDRI, qui s'est fait une spécialité des sujets de transition, d'élevage et d'agriculture.

Un commentaire politique pour terminer. Certaines associations, certains penseurs ont des pensées philosophiques distinctes sur la place des animaux. Vous avez des welfaristes, vous avez des abolitionnistes, etc. En pratique, quand cela passe à la moulinette politique, tout le monde devient welfariste, même les associations qui ont des positions philosophiques abolitionnistes. Quand vous leur demandez quel est leur programme politique pour demain, cela devient du welfarisme, ne serait-ce que par réalisme.

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