Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 22 juillet 2021 à 9h30
Présentation des rapports finaux des auditeurs de la promotion 2021 de l'institut des hautes études pour la science et la technologie ihest

Cédric Villani, député, président de l'Office :

Merci cher Gérard. Dans une bonne démarche dialectique, je vais de mon côté vous féliciter d'avoir mis en avant les aspects politiques de façon forte. Non qu'il faille se désintéresser des questions objectives et techniques, mais je vais dire pourquoi ces questions politiques sont importantes, d'abord en élargissant le champ.

Comme on le sait, le débat sur la décarbonation est majeur, mais c'est un débat global. Cela ne sert à rien de décarboner l'électricité de la France si l'électricité de la Grande-Bretagne est carbonée. Cela ne sert à rien de décarboner l'électricité de l'Europe si l'électricité de l'Afrique est carbonée. Il faut donc une démarche multilatérale.

Se pose alors la question du mix qui va être mis en place sur chaque continent. À l'OPECST, nous savons à quel point l'énergie nucléaire est assortie d'un contrôle technique, normatif, politique, juridique, considérable. C'est d'ailleurs pour nous une charge de travail politique qui n'a rien à voir avec celle nécessitée par les autres énergies, notamment du fait des auditions régulières des différentes institutions, l'ASN, l'IRSN, les producteurs, la CNE2, les associations, etc. Il est donc essentiel de savoir combien de pays, combien de sociétés à travers le monde ont la maturité politique pour organiser un tel dispositif. C'est un point que l'on ne peut pas passer sous silence, notamment dans le débat sur l'expansion éventuelle du nucléaire.

Vous avez dit ne pas vouloir trancher la question « pour ou contre le nucléaire ? ». Pourtant, le débat « pour ou contre le nucléaire ? » surplombe toutes les autres questions énergétiques françaises. Comme le disait Gérard Longuet à l'instant, que c'est dur de construire un réacteur et que c'est dur d'en fermer un ! Ce sont des situations qui peuvent se transformer en guerre de tranchées politiques.

On sait que dans la comparaison entre énergie nucléaire et énergies renouvelables, il y a des avantages et des inconvénients de chaque part, mais cette concurrence oppose pourtant une énergie décarbonée à une autre énergie décarbonée. Cette opposition laisse totalement de côté tout ce qui aujourd'hui est carboné, non électrique, qui correspond à la mobilité, au chauffage au fioul, à l'empreinte agroalimentaire, etc. et qui est la majorité de la consommation énergétique, comme vous l'avez rappelé Le fait de focaliser l'attention sur la question « pour ou contre le nucléaire ? » fait passer au second plan toutes les autres questions dont l'impact sur la société est peut-être encore plus dur : la diminution globale de la consommation, le bâtiment et la construction, etc. L'un des sujets d'intérêt de l'OPECST est la question énergétique pour le bâtiment. Si le rythme de rénovation des bâtiments reste inchangé, il se passera bien un siècle avant que la meilleure isolation ait un impact significatif sur la réduction de consommation d'énergie du secteur du logement. Or nous n'avons pas le temps d'attendre. Ce débat-là reçoit peut-être 100 fois moins d'attention médiatique que le débat sur le nucléaire. Pourtant, il est majeur.

J'ai une petite remarque sur la présentation de la consommation d'énergie primaire dans le monde. Je ne pense pas que ce soit une exponentielle. Je vois deux décrochages, l'un au milieu du XIXe siècle et l'autre au milieu du XXe siècle. L'ère de la grande consommation, l'ère de la grande croissance vient à partir de 1950, on le voit bien sur le graphique. La période de consommation énergétique post-Seconde Guerre mondiale a été caractérisée par la croissance phénoménale de l'utilisation de l'énergie fossile. C'est donc un phénomène très récent, de même que la référence universelle au PIB et le débat sur la croissance.

L'Office a organisé hier une conférence de presse sur la stratégie nucléaire française, qui ouvre certainement plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. D'ailleurs, l'une des recommandations majeures des rapporteurs de l'OPECST est l'appel à un grand débat parlementaire, aussi rapidement que possible, sur les options stratégiques nucléaires. C'est un débat dont il est très clair qu'il va advenir encore et encore, et c'est un débat qui plus que sur toute autre énergie, fait intervenir les ressorts politiques, techniques, administratifs, de société, et les imaginaires qui viennent avec. C'est de loin celui qui est le plus dur à aborder. Bravo pour vous y être aventurés.

Cinquième atelier : « Obsolescence programmée. Comment la définir ? Faut-il la combattre ? » - Mme Chrystelle Roger, présidente-fondatrice de Myceco, et M. Stéphane Ingrand, chef adjoint du département Physiologie animale et systèmes d'élevage (INRAE).

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