Plusieurs raisons m'ont conduit à entreprendre un contrôle budgétaire de Météo-France.
Premièrement, les phénomènes météorologiques extrêmes se rappellent de plus en plus souvent à nous. Les dérèglements climatiques augmentent leur fréquence et leur intensité. Le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) est évocateur sur ce point. Il nous faut mieux prévoir et mieux anticiper ces phénomènes dangereux.
Deuxièmement, depuis dix ans, Météo-France met en oeuvre une succession de plans ambitieux de transformation et de rationalisation de son organisation dans un contexte de réduction régulière de ses moyens financiers et humains. Quelques chiffres en témoignent. Depuis 2012, le plafond d'emplois de l'opérateur a été réduit d'un quart tandis que la subvention pour charges de service public aura baissé de près de 20 % en dix ans. L'établissement a également considérablement restructuré son réseau territorial, avec la suppression des deux tiers de ses implantations entre 2011 et 2022.
Troisièmement, l'établissement vient tout juste de mettre en service ses nouveaux supercalculateurs, un investissement qui a représenté près de 150 millions d'euros. La course à la puissance de calcul est telle qu'il faut déjà se projeter dans la réalisation d'un nouveau programme à l'horizon de 2025.
Quatrièmement, Météo-France va devoir relever une série de défis dans les prochaines années : l'appropriation des technologies de rupture en matière de prévision, la révolution des données d'observation météorologique, le développement des services climatiques et l'émergence d'une concurrence exacerbée avec l'arrivée sur le marché des start-up et des géants du numérique.
Cinquièmement, Météo-France est sur le point d'adopter de nouvelles orientations stratégiques.
J'ai pu constater que l'établissement avait accompli de nombreux efforts de rationalisation : Météo-France a tenu ses engagements, les transformations sont profondes et les métiers ont évolué. Aujourd'hui, l'établissement comme son corps social ont besoin d'une pause pour consolider ces réorganisations. Le modèle de Météo-France lui permet de figurer parmi les meilleurs services météorologiques : il faut, me semble-t-il, le préserver. Son coût doit être relativisé au regard des bénéfices socio-économiques qu'il produit, au minimum quatre à huit fois plus élevés.
Les prévisions de Météo-France vont être mises sous tension dans les années à venir. Un projet de nouveau contrat d'objectifs et de performance (COP) a été adopté par le conseil d'administration pour répondre aux différents enjeux. Sa concrétisation est conditionnée à une stabilisation des moyens.
Pour toutes ces raisons, je considère qu'après les efforts consentis pendant dix ans, le moment est venu où l'État a la responsabilité de se réengager auprès de Météo-France.
J'en viens aux missions de l'établissement.
Météo-France assure d'abord la sécurité météorologique des personnes et des biens. Il joue un rôle central dans la chaîne d'alerte. Après la tempête de 1999, il a créé une carte de vigilance, qui a fait des « émules » à l'étranger. La prévention d'autres risques naturels, comme les avalanches ou les feux de forêt, fait également partie de ses missions.
L'établissement assume également des missions stratégiques, le meilleur exemple étant le soutien qu'il apporte aux forces armées, notamment en opérations extérieures (OPEX). Il est aussi le prestataire exclusif de services météorologiques à l'aviation civile. En contrepartie, la direction générale de l'aviation civile (DGAC) lui verse une redevance qui représente près du quart de ses ressources totales. Toutefois, cette redevance est stable en euros courants depuis 2012 : elle se déprécie donc chaque année du niveau de l'inflation. Météo-France voit comme une épée de Damoclès la perspective d'une diminution de cette ressource essentielle à son équilibre financier et se satisfait de ce statu quo. Il faut briser le tabou et s'assurer que le niveau de la redevance couvre réellement le coût des services délivrés par Météo-France.
L'opérateur se distingue aussi par ses activités de recherche. Il remporte d'ailleurs de nombreux appels d'offres européens. La traduction de la recherche météorologique dans les activités opérationnelles est fondamentale et détermine la qualité des modèles de prévision. Aussi, il apparaît fondamental de sanctuariser le budget de recherche de Météo-France et de lui accorder plus de souplesse pour recruter des contractuels hors plafond d'emplois afin que l'établissement puisse répondre à l'ensemble des appels d'offres et stimuler son innovation.
Les capacités de modélisation climatique de l'établissement lui permettent de contribuer activement aux travaux du GIEC. Cette activité, qui participe au rayonnement international de l'opérateur et de la France, gagnerait à être davantage valorisée. Dans l'Hexagone, l'expertise de Météo-France est très attendue, notamment par les collectivités territoriales, pour accompagner l'adaptation au changement climatique. La proposition d'une nouvelle offre de services sur cette thématique, étendue à l'ensemble des acteurs climato-sensibles, constituera un enjeu majeur.
L'organisation des services météorologiques varie largement d'un pays à l'autre. Certains, comme le MetOffice britannique, sont très centralisés et se passent de réseau territorial. D'autres, comme les services américain et allemand n'interviennent pas dans le champ concurrentiel et limitent strictement leur activité à leurs missions de service public. Le champ d'activités varie également d'un service à l'autre notamment en ce qui concerne les risques naturels couverts, la recherche ou la climatologie. Avec ses homologues britannique et allemand, Météo-France est l'un des trois seuls services européens à disposer d'un modèle de prévision numérique du temps dit à « aire globale », c'est-à-dire qu'il couvre la planète entière. Ce modèle a un coût, mais il contribue à notre souveraineté militaire ainsi qu'à notre rayonnement international. L'organisation des services est dépendante des contraintes météorologiques. En ce qui concerne la France, la récurrence d'épisodes dangereux, tels que les pluies cévenoles ou les enjeux spécifiques à l'outre-mer, notamment le risque cyclonique, ne semble pas compatible avec un scénario de suppression du réseau territorial. Ce scénario doit être écarté et la réduction du réseau en France a une limite. Après les restructurations mises en oeuvre ces dernières années, l'organisation territoriale et les effectifs de Météo-France sont comparables à ceux de son homologue allemand.
Il existe une tradition de collaboration entre services météorologiques, et Météo-France en est un des moteurs. Je l'encourage à redoubler d'efforts, pour concrétiser des mutualisations de moyens.
Météo-France s'est vu administrer un traitement de choc budgétaire, avec la réduction d'un quart de son plafond d'emplois et la diminution de 20 % de sa subvention pour charges de service public. S'il existait indéniablement des marges de manoeuvre de performance à exploiter, notamment en raison des évolutions technologiques, force est de constater que l'effort réalisé a été significatif, d'autant que l'établissement a aussi subi les effets de coups de rabots transversaux en cours de gestion jusqu'en 2017. Entre 2014 et 2017, ces rabots se sont élevés à près de 22 millions d'euros. D'où l'intérêt du contrat budgétaire original que Météo-France a signé en 2019 avec la direction du budget. Original, car Météo-France était alors le premier opérateur hors Bercy à s'engager dans cette voie et seul Business France lui a emboîté le pas. L'État s'est engagé sur une trajectoire ferme d'évolution des ressources et de plafond d'emplois. Certes cette trajectoire est rigoureuse mais au moins elle n'est plus aggravée en cours d'année et offre une visibilité à l'opérateur. Ce contrat a néanmoins une limite. Il ne couvre pas la même période que le COP de l'établissement. Actuellement, l'opérateur s'engage sur des orientations stratégiques de moyen terme sans savoir s'il disposera des moyens pour les concrétiser. Cette situation n'est pas satisfaisante. Notamment parce qu'il doit déjà se projeter dans un nouveau renouvellement de ses capacités de calcul intensif. Le contrat budgétaire qui court jusqu'en 2022 devra être reconduit, mais il faudra le coordonner avec le COP faute de quoi la situation est kafkaïenne.
Les charges de personnels sont en baisse sous l'effet de la réduction des effectifs, mais elles représentent toujours les deux tiers des dépenses. J'ai découvert qu'une gestion complexe de personnels partagés avec la DGAC limitait l'autonomie de Météo-France sur une part non négligeable de ses effectifs. Les effets collatéraux des protocoles sociaux de la DGAC sur la masse salariale de l'opérateur ne sont pas suffisamment anticipés. Il faut clarifier et fluidifier les relations entre Météo-France et la DGAC.
L'opérateur a commencé à tailler dans ses dépenses de fonctionnement, mais il doit continuer de rechercher des gains de performance, d'autant que les charges d'exploitation des supercalculateurs augmentent. En revanche, il apparaît nécessaire de préserver ses dépenses d'investissement hors puissance de calcul. Autour de 15 millions d'euros, elles sont dimensionnées au minimum. Les réduire risquerait de dégrader ses infrastructures techniques et donc sa qualité de service.
J'ai évoqué l'ampleur de la restructuration du réseau territorial de Météo-France. Une première phase, entre 2012 et 2016, a conduit à réduire de moitié le nombre de ses implantations territoriales. Le réseau cible comptera, en 2022, 39 implantations en métropole contre 115 en 2011. Après une mobilisation des élus locaux, l'opérateur a renoncé à son plan initial de rationalisation de ses implantations en montagne.
Ces programmes de restructuration sont assortis d'un dispositif d'accompagnement des personnels, dont le coût est partiellement couvert par des subventions de l'État. Un dispositif spécifique de travail à distance permet aux agents dont le site a fermé de ne pas effectuer de mobilité géographique. En raison des risques d'isolement qu'elle suppose, cette disposition doit faire l'objet d'un suivi renforcé.
La réorganisation du réseau territorial s'accompagne de projets d'automatisations dont la mise en production doit être conditionnée à la robustesse des solutions techniques. Certains des projets ont pris du retard. Il reste encore un gap technologique à franchir qui peut appeler des questionnements scientifiques. Les transformations de l'opérateur se traduisent aussi par une évolution de ses métiers, tout particulièrement de celui de prévisionniste qui s'orientera vers davantage de conseils aux bénéficiaires finaux. C'est une condition essentielle à l'optimisation des bénéfices socioéconomiques générés par les services météo. En cas de risque d'évènements météorologiques dangereux il ne suffit pas de donner l'alerte. Il faut qualifier l'évènement et expliquer aux bénéficiaires de l'information comment ils peuvent la traiter de façon optimale.
Cette succession de transformations ne peut être sans conséquence sur le climat social. Le corps social de l'opérateur est aujourd'hui en quête de sens et attend un signe de réengagement de l'État. Des tensions, qui s'expliquent aussi par des problèmes d'attractivité, apparaissent sur les effectifs. L'opérateur a même dû faire temporairement appel à des agents retraités. Des services ultramarins ont dû être renforcés par des volontaires de métropole. Ce sont des signaux qui doivent nous interpeller.
Météo-France devra à la fois consolider ses récentes transformations et relever une série de défis.
S'agissant des activités commerciales, la concurrence va être beaucoup plus intense. L'entrée des géants du numérique sur le marché de la météo pourrait à courte échéance faire perdre des parts de marché à Météo-France et menacer ses ressources commerciales, qui diminuaient depuis 2012 à cause du déclin du service de météo par téléphone. Les recettes avaient recommencé à augmenter en 2017, mais la crise y a mis un coup d'arrêt. En 2020, elles représentaient 30 millions d'euros.
Dans les années à venir, l'établissement sera confronté à un pic de départs à la retraite qui impliquera des recrutements et un ajustement de ses schémas d'emplois.
Pour délivrer des prévisions plus fines, Météo-France doit se saisir des nouvelles technologies. L'intelligence artificielle sera décisive. Elle accompagnera l'assimilation et le traitement de masses d'informations toujours plus importantes dans le cadre de la révolution du paysage des données météorologiques alimentée par les objets connectés.
L'ouverture des données publiques provoque un « effet ciseau » sur le budget de l'établissement. Les redevances de réutilisation vont disparaître en 2023 tandis que la mise en ligne de données publiques est coûteuse. L'effet cumulé pourrait s'élever à 3 millions d'euros de pertes annuelles. En mai dernier, devant notre commission, j'avais interrogé Mme Pompili qui avait annoncé que ce coût pourrait être au moins partiellement couvert par l'État. Il faudra être attentif à l'accompagnement de Météo-France par l'État.
Aujourd'hui, les capacités de calcul intensif sont le principal déterminant de la performance des services météo. Elles permettent d'assimiler plus de données, d'affiner les prévisions et d'offrir de nouvelles perspectives en matière de recherche. Il existe un besoin perpétuel d'augmenter la puissance de calcul. Météo-France vient de renouveler ses supercalculateurs et de multiplier leurs capacités par 5,5. Toutefois certains de ses homologues ont déjà annoncé ou réalisé des investissements considérables et Météo-France doit déjà se projeter dans le prochain renouvellement de ses capacités de calcul, en 2025. Une nouvelle multiplication par 6 de la puissance de calcul de Météo-France est envisagée. Elle pourrait avoisiner les 300 millions d'euros. Une étude vient de conclure que cet investissement pourrait engendrer 1,4 milliard d'euros de bénéfices socio-économiques. Il convient d'explorer des pistes de mutualisation et envisager l'hypothèse d'une contribution des secteurs économiques et des ministères qui profiteront de ces bénéfices.
Pour résumer, j'ai le sentiment que Météo-France a été un opérateur sérieux. Il a réalisé des gains d'efficience significatifs qu'il doit consolider. Il faut maintenant faire une pause dans la diminution de sa subvention pour charges de service public. Aujourd'hui, l'établissement est confronté à une série de défis, aux premiers rangs desquels la nécessité de produire une prévision plus fine des phénomènes météorologiques extrêmes. Il est important que l'État se réengage auprès de l'opérateur et lui donne de la visibilité en lui permettant de stabiliser ses moyens financiers et ses effectifs sur la période du prochain COP.