Je me doutais, en m'emparant de la problématique de l'immobilier universitaire, que des marges de progression existaient en matière de gestion. J'étais cependant loin de me douter de l'ampleur des enjeux et de la tâche à accomplir !
Mon contrôle portait sur l'optimisation, par les universités, de leur patrimoine immobilier. En effet, depuis leur accession à l'autonomie, c'est aux établissements d'enseignement supérieur qu'il incombe d'entretenir et de gérer le parc immobilier mis à leur disposition par l'État. Or ce parc forme un ensemble particulièrement complexe et coûteux à entretenir. Complexe, parce qu'il s'agit d'un bâti atypique et disparate, caractérisé par des spécificités géographiques et fonctionnelles et composé très majoritairement de salles de cours. Coûteux, parce qu'il comprend plus de 18 millions de mètres carrés de surface sur un foncier de l'ordre de 5 300 hectares, et représente à lui seul près de 20 % du patrimoine immobilier de l'État. Coûteux également parce que les bâtiments universitaires sont vieillissants, vétustes et énergivores. Pour ne donner que deux chiffres emblématiques : 31 % du bâti universitaire serait actuellement dans un état peu ou pas satisfaisant, tandis que 21 % du bâti est classé en étiquette E, F ou G.
La gestion de ce parc constitue donc un défi de taille pour les universités : il s'agit à la fois de valoriser cet actif stratégique, pour leur permettre de remplir au mieux leur mission d'enseignement supérieur, et d'optimiser la charge financière en résultant, l'immobilier représentant le deuxième poste de dépense pour les établissements d'enseignement supérieur.
Les auditions et les déplacements réalisés m'ont permis de constater que les universités n'étaient pas suffisamment armées pour relever ce défi. En effet, les établissements se heurtent à de très nombreuses difficultés de gestion, résultant de facteurs internes et externes, qui entravent considérablement leurs efforts pour optimiser ce patrimoine.
Il existe, en premier lieu, des freins internes aux universités : ces dernières connaissent mal leur patrimoine, et ne disposent pas de données fiables et exhaustives relatives à son état, son exploitation ou aux dépenses afférentes à son entretien. Or, sans une connaissance fine du patrimoine, il est souvent difficile d'élaborer une stratégie immobilière réaliste. De fait, certaines universités ne se sont toujours pas attelées à la tâche, et n'ont pas de stratégie immobilière ; je vous laisse imaginer la « gestion » patrimoniale qui en découle.
J'ai également relevé que les équipes immobilières n'étaient pas toujours très étoffées, de sorte que ces dernières sont accaparées par les obligations techniques et réglementaires à satisfaire, et n'ont pas le temps de lancer des projets innovants. Certaines universités manquent d'expertise interne sur des sujets de pointe, ce qui contraint leurs initiatives en matière immobilière. Enfin, le portage politique des sujets patrimoniaux ainsi que l'intérêt des équipes présidentielles pour ces thématiques demeurent très variables selon les universités.
Sur tous ces aspects, il me semble qu'il incombe aux universités d'agir et de prendre la mesure des progrès à réaliser. Plusieurs évolutions de court terme sont à envisager : améliorer la fiabilité des données collectées par les établissements, faciliter les échanges de données entre les différents systèmes d'information, augmenter la part des universités qui disposent d'un vice-président en charge du patrimoine et de la transition écologique, ou encore élargir au niveau national le périmètre de compétence de l'établissement public d'aménagement universitaire de la région Île-de-France (Épaurif).
Je relève, dans un second temps, des freins relatifs à la rigidité du cadre juridique applicable, notamment en matière de commande publique. Les diverses obligations procédurales se traduisent en effet par un allongement significatif des délais, et des incertitudes concernant le coût final des opérations immobilières, toujours supérieur in fine au coût prévu. À cet égard, certains assouplissements me semblent envisageables ; je serai donc favorable à la réalisation d'une enquête portant sur les difficultés rencontrées par les établissements d'enseignement supérieur dans ce domaine, afin de dégager des pistes d'évolution à court et moyen terme.
J'en viens, enfin, aux problématiques budgétaires à proprement parler. En effet, il m'est rapidement apparu que les questions immobilières butent en permanence sur la question du financement. De manière schématique, l'État verse aux universités une dotation pour assurer l'entretien et la maintenance de leur parc immobilier ; mais cette dotation, dont le niveau est très faible, est directement intégrée dans la subvention pour charges de service public, et ces crédits ne sont donc pas sanctuarisés ! En fait, le budget d'exploitation et de maintenance sert malheureusement trop souvent de variable d'ajustement aux établissements, confrontés à de fortes pressions sur leur masse salariale. Les universités optent ainsi majoritairement pour le choix de remettre à plus tard les travaux nécessaires, ce qui entraîne une dégradation constante du patrimoine et des surcoûts in fine.
Je propose donc de rendre obligatoire la constitution, pour tous les établissements, d'un budget annexe immobilier, permettant de sanctuariser les crédits dédiés à l'entretien du bâti. J'estime également qu'une planification pluriannuelle des opérations immobilières constitue un prérequis indispensable à une gestion responsable du patrimoine. Les établissements doivent d'ores et déjà élaborer un schéma pluriannuel de stratégie immobilière, mais un grand nombre d'entre eux ne produisent pas ce document, qui reste au demeurant de qualité variable. À terme, il me semble que ce schéma peut devenir un véritable outil de pilotage pluriannuel des dépenses immobilières ; cela implique notamment d'en rendre la formalisation plus contraignante pour les établissements, et d'en renforcer le volet financier.
Pour une programmation intelligente des travaux, il serait également opportun de prendre systématiquement en compte la dimension énergétique : en effet, il est plus ergonomique et avantageux de combiner les travaux de rénovation énergétique et les travaux d'entretien, pour traiter simultanément plusieurs points faibles. J'appelle donc de mes voeux ces évolutions, mais soyons réalistes : la dotation de l'État reste faible si bien que, en pratique, les établissements dépendent fortement des grands rendez-vous réguliers comme les contrats de plan État-région (CPER), ou des opérations ponctuelles comme le plan Campus ou le plan France Relance, pour remettre à niveau leur patrimoine immobilier.
Ces plans ponctuels sont évidemment les bienvenus, mais là encore, force est de constater qu'ils sont insuffisants. En effet, selon la Conférence des présidents d'université (CPU), le besoin global d'investissement dans l'immobilier universitaire atteint 7 milliards d'euros. Or, en additionnant le plan France Relance, c'est-à-dire plus de 1,2 milliard d'euros, et le CPER 2021-2027, en incluant la contribution des régions, c'est-à-dire 3 milliards d'euros, il reste près de 3 milliards d'euros à trouver.
Je vais être très claire : les établissements doivent-ils mieux gérer leur budget et consacrer davantage de crédits à l'entretien de leur patrimoine ? Oui, bien évidemment, et j'ai fait des propositions en ce sens. Est-il cependant réaliste de compter sur les seuls établissements pour remettre à niveau le parc universitaire ? Non, assurément, pour la simple et bonne raison que les universités ne sont pas en mesure de mobiliser des ressources propres suffisantes. Le recours à l'emprunt leur est interdit, les produits de cession représentent des sommes très faibles, et les opérations de valorisation se heurtent encore à de nombreux obstacles juridiques.
La valorisation constitue pourtant un axe majeur de développement pour les établissements ; à mon sens, elle s'inscrit dans une démarche particulièrement vertueuse, puisqu'elle permet d'ouvrir l'université sur son environnement socio-économique, tout en développant ses ressources propres. Dans ce domaine, des mutualisations sont à envisager entre les différents établissements situés sur un même territoire ; il me semble aussi que des synergies peuvent être trouvées avec les collectivités territoriales, pour qui les politiques d'enseignement supérieur présentent un intérêt sous l'angle de l'aménagement du territoire et de l'attractivité. J'ai évoqué à l'instant des obstacles juridiques : actuellement, le cadre juridique ne permet pas de créer de véritables partenariats public-public sur un territoire, avec une gouvernance partagée entre universités et collectivités territoriales. Je suis donc favorable à l'ouverture du capital des sociétés publiques locales (SPL) aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Cette évolution permettrait aux établissements de bénéficier d'un cadre juridique plus souple pour mener des opérations de valorisation de grande envergure.
Si, à terme, ces opérations peuvent permettre aux établissements de dégager des recettes supplémentaires pour l'exploitation et l'entretien du bâti, elles ne pourront pas financer la réhabilitation du parc universitaire, dont le coût est estimé, je vous le rappelle, à environ 7 milliards d'euros.
Dans ce contexte, nous sommes à l'heure actuelle dans une impasse budgétaire, alors qu'il y a urgence à agir. En effet, notre pays a pris des engagements forts en matière de transition énergétique : la France a joué un rôle majeur dans la signature de l'accord de Paris en 2015 et l'Union européenne a adopté en juillet dernier un règlement qui transforme en obligation contraignante l'engagement politique du Pacte vert européen, stipulant que l'Europe deviendrait neutre sur le plan climatique d'ici à 2050. Nous avons nous-mêmes voté en faveur de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), dont les modalités d'application ont été précisées par le décret tertiaire, en vertu duquel les universités devront réduire leur consommation énergétique de 40 % d'ici à 2030, 50 % d'ici à 2040 et 60 % d'ici à 2050.
Je m'interroge : quels moyens entendons-nous nous donner pour réaliser les objectifs que nous nous sommes fixés ?
Certains modèles de financement innovants - je pense en particulier à l'intracting - ont permis à quelques universités de financer des travaux énergétiques à gains rapides. Mais il s'agit maintenant de financer des travaux à gains différés, autrement plus coûteux. Il me semble que nous n'avons pas d'alternative : comme il y a eu un plan Campus en 2007, il faut désormais un vaste plan de transition pour l'université. Comme il y a eu un plan France Relance pour les gains énergétiques rapides, il faut un plan structurel s'échelonnant sur plusieurs années pour les gains de long terme.
J'irai même plus loin : quitte à investir massivement dans l'immobilier universitaire, soyons ambitieux, prenons la mesure des défis qui nous attendent. Réfléchissons aux campus du XXIe siècle, aux évolutions qu'impose la digitalisation des enseignements, à l'attractivité de nos universités, aux rapprochements souhaitables avec le monde économique.
Bien évidemment, la mise en oeuvre d'un tel plan doit s'accompagner de garanties pour qu'à l'avenir les erreurs du passé ne se répètent pas, et que le patrimoine rénové soit correctement entretenu par nos établissements d'enseignement supérieur. À l'effort budgétaire de l'État doit répondre une amélioration notable de la gestion des universités.
Mes chers collègues, nous sommes désormais au pied du mur : en matière de transition énergétique, l'inaction a un coût. Plus nous attendons pour agir, plus la facture à payer sera élevée ; c'est pourquoi il me semble urgent d'investir maintenant.