Vous connaissez, bien entendu, les conditions de notre saisine et les conditions difficiles dans lesquelles nous avons dû réaliser notre contrôle puisque, en raison du contexte de pandémie, nos interlocuteurs étaient peu disponibles. Néanmoins, nous avons pu la mener et elle a débouché sur deux études de la Cour des comptes.
Faisons d'abord le point sur les définitions : les services de soins critiques, qui ne sont pas forcément comparables à ce que désigne ce terme dans les autres pays européens, recouvrent trois types de service : les services de réanimation, les unités de soins intensifs (USI) et les unités de surveillance continue (USC).
La Cour a instruit son contrôle sur les soins critiques tant au regard de la pandémie que d'un point de vue structurel. Notre étude a donné lieu à une insertion dans le rapport public annuel de la Cour de mars dernier, mais il nous a semblé dommage de ne pas aller plus loin, car nous avions recueilli nombre de données et nous pensions nécessaire d'étudier les deuxième et troisième vagues, afin d'examiner si les enseignements de la première avaient été tirés, si les services avaient adapté leur réponse aux besoins. Nos constats nous ont amenés à émettre trois grands messages : il est indispensable de revenir aux fondamentaux de la planification sanitaire, qui a existé jusqu'en 2014 ; l'adaptation de l'offre de soins ne peut s'envisager que sur le long terme, car faire face à une pandémie ne devrait pas s'improviser ; et la tarification à l'activité (T2A) n'est pas adaptée aux soins critiques.
Nos constats se structurent autour des deux axes annoncés, les enseignements tirés de la crise et ceux qui sont issus de notre analyse structurelle.
En ce qui concerne les enseignements tirés de la crise, nous avons en premier lieu constaté que la France était très mal préparée à la survenue d'une pandémie. Depuis 2014, les outils spécifiques n'existaient plus et les plans Orsan (organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) ne sont pas adaptés.
En second lieu, la réponse des autorités sanitaires a été quelque peu tardive. Ces dernières n'ont pas anticipé les effets de la pandémie sur les services de soins critiques puisque ce n'est qu'à la mi-mars 2020 que les autorités se sont organisées pour faire monter en charge les services de soins critiques. Entre les deux premières vagues, entre juillet et octobre 2020, nous n'avons pas relevé de décision annonciatrice d'évolution structurelle, non plus que lors du Ségur de la santé. De même, nous n'avons pas observé d'évolution en matière d'ouverture de places d'interne en anesthésie-réanimation ni dans les dotations en infirmiers en soins critiques.
Toutefois, nous avons constaté qu'une nouvelle doctrine a été mise en place pour éviter les déprogrammations massives de la première vague, une approche régionalisée ayant succédé à une approche nationale ; on a aussi pérennisé les outils de suivi épidémiologique, des capacités hospitalières et des stocks de médicaments et de dispositifs médicaux.
Les leçons tirées de la première vague sont positives : les déprogrammations ont été régionalisées et il y a eu une volonté de structurer une filière hospitalière de covid-19. Néanmoins, l'efficacité de ces solutions s'étiole, car les renforts exceptionnels de ressources humaines ont été difficiles à mobiliser, en raison de la lassitude des acteurs et du développement de la pandémie sur le territoire. Quant aux transferts de patients, ils demeurent lourds à mettre en oeuvre. Enfin, la coopération entre public et privé, assez marquée pendant la première vague, a été difficile à maintenir dans la durée.
Pour ce qui concerne le volet structurel de notre enquête, nous avons cherché à identifier des pistes de réforme.
Nous avons d'abord constaté que la croissance de l'offre en soins critiques a été limitée, entre 2013 et 2019, à la surveillance continue et aux soins intensifs et n'a pas touché la réanimation. Nous constatons également des inégalités territoriales marquées du point de vue de la capacité d'hospitalisation en soins critiques, ainsi que la concentration progressive de l'offre de soins, avec la suppression de petits services et leur regroupement, les créations de lits s'enregistrant dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Malgré cette évolution positive, il reste un grand nombre d'unités de soins critiques de petite taille et isolés.
Par ailleurs, les coopérations territoriales des services de soins critiques sont informelles ; en outre, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) sont trop étroits pour permettre une véritable coopération : 65 % des GHT n'ont qu'un service de réanimation.
Enfin, nous avons constaté que les services rendus par les unités de soins critiques n'étaient pas identiques selon la nature, publique ou privée, de l'établissement.
J'en viens à l'évolution de l'activité de soins critiques. La progression de l'activité en volume constatée sur les cinq ou six dernières années va se poursuivre ; le nombre de passages en réanimation a crû de 8,2 % par an entre 2014 et 2019. Par ailleurs, les patients en soins critiques sont de plus en plus âgés.
En ce qui concerne les parcours en soins critiques, nous montrons un manque évident de fluidité en aval. En effet, un certain nombre de patients, faute de débouché, occupent des lits de soins critiques qui font défaut pour des patients en ayant plus besoin. Nous avons été étonnés de constater que l'activité de soins critiques diminue fortement le week-end. Une marge d'amélioration existe certainement en la matière.
Je termine par un point sur les ressources humaines consacrées aux soins critiques. Ces services mobilisent 53 000 équivalents temps plein (ETP), soit 9 % des équipes médico-soignantes de médecine-chirurgie-obstétrique (MCO). Les infirmiers en représentent plus de la moitié, les médecins 11 % et les aides-soignants 31 %. On observe des tensions sur les effectifs de médecins anesthésistes-réanimateurs et de médecins intensivistes-réanimateurs. Surtout, on observe un turnover très élevé chez les infirmiers en soins critiques, de l'ordre de 25 % par an, soit le double de ce que l'on observe dans les services de soins conventionnels. C'est très lourd pour les équipes, d'autant qu'il faut former les nouveaux arrivants. Tout départ crée donc une difficulté pour le service.
Sur le fondement de ces constats, la Cour suggère des orientations. Elle propose d'abord de conserver la pluridisciplinarité des spécialités d'anesthésie-réanimation et de médecine intensive-réanimation. Il convient également d'anticiper les tensions sur les effectifs, compte tenu de la dynamique de l'activité et du vieillissement de la population. La Cour suggère de favoriser les passerelles entre spécialités médicales et de renforcer la reconnaissance des infirmiers diplômés d'État (IDE) en soins critiques, au travers d'une formation spécifique et d'une reconnaissance financière.
Par ailleurs, il faut anticiper, sur le plan matériel, l'avenir des soins critiques, afin que les établissements se préparent en amont, car la refonte des services de soins critiques nécessite de repenser les bâtiments. En outre, l'informatisation des services est très insuffisante et les systèmes d'information (SI) ne sont pas compatibles entre eux.
Enfin, il faut réformer le financement des soins critiques. L'ouverture d'un lit en réanimation représente, pour un établissement, un déficit moyen de 115 000 euros par an. Il y a donc une désincitation à ouvrir un lit en soins critiques s'il n'est pas adossé à un service de MCO. Il convient d'annihiler les effets tarifaires de l'ouverture d'un service de soins critiques et d'envisager une tarification permettant de libérer des lits quand ils peuvent l'être.